Le crédit et la dette dans l’industrie forestière de l’Outaouais
L’âge d’or de l’exploitation forestière
Tous ceux qui sont engagés dans l’industrie forestière doivent affronter le défi du cycle saisonnier du crédit et de la dette.
Quelques-uns d’entre eux (les bûcherons), explique-t-on en 1832, forment ce que l’on appelle une « équipe forestière » composée soit de personnes qui sont embauchées par un entrepreneur forestier qui leur paie un salaire et les fournit en provisions, soit d’individus qui s’entendent entre eux dans la poursuite d’un intérêt commun. Les provisions de nourriture, de vêtements ou autres s’obtiennent généralement à crédit chez les marchands, qui exigent en retour d’acquérir le bois que les bûcherons rapporteront l’été suivant.
Étant donné l’instabilité reliée à l’industrie forestière, les opérations de crédit sont pour le moins risquées. De façon générale, les entrepreneurs de l’Outaouais sont très dépendants du soutien financier de particuliers et d’entreprises de Québec ou de Montréal. Baxter Bowman, par exemple, n’aurait pu poursuive ses activités sans l’appui de William Price et, plus particulièrement, sans celui de l’homme d’affaires montréalais Peter McGill. Bowman léguera d’ailleurs la moitié de ses biens à ce dernier « en souvenir de son aide généreuse et de ses nombreux services. ». On pourrait ainsi croire que la dépendance financière n’engendre que de bons sentiments, mais on découvre, à travers d’autres documents, qu’elle est également source d’inégalité, de tension et d’animosité. Même si les entrepreneurs régionaux sont responsables des décisions immédiates reliées à leurs activités, pour leurs besoins financiers, leur sort repose entre les mains des marchands montréalais ou québécois et il n’est pas surprenant qu’ils en soient venus à hériter du surnom peu enviable de « damnées grosses sangsues ».
Au cours du XIXe siècle, plusieurs facteurs accroissent l’importance des capitaux pour les acteurs de l’industrie forestière. Le développement des marchés exige des entreprises de plus en plus imposantes même si elles sont de plus en plus éloignées avec le développement en amont de la rivière des Outaouais et le long de ses affluents. Les routes, plus longues, augmentent le coût du transport du bois et accroissent les risques inhérents à l’industrie forestière, spécialement au commerce du bois. Même les entrepreneurs ayant des dizaines années d’expérience demeurent toujours inquiets et, au dire d’un représentant gouvernemental, chaque année apporte ses surprises :
Curieusement, dans cette industrie, même si nous avons constamment interrogé certains de nos exploitants forestiers, nous n’avons jamais pu obtenir de réponse exacte quant au coût réel de production et de transport du bois vers le marché de Québec. Si l’on tient compte que ces coûts sont dépendants de tellement de facteurs, comme la distance du lieu de destination, la saison, les conditions de la rivière, dont les eaux sont hautes ou basses, etc., il devient dès lors évident qu’il est difficile d’obtenir une réponse adéquate.
Davantage en mesure de résister aux périodes difficiles, les grandes entreprises de l’Outaouais peuvent donc acheter les compagnies chancelantes à prix avantageux et devenir ainsi plus fortes lorsque la conjoncture est plus favorable. C’est ainsi que les frères Hamilton parviennent à améliorer leurs établissements sur la Lièvre aux dépens de la compagnie mis sur pied par Levi Bigelow. Comme tant d’autres, Bigelow est venu de la Nouvelle-Angleterre au début du siècle en quête de terres arables, mais, très tôt, il s’engage dans l’exploitation forestière. À sa mort en 1843, sa famille détient de vastes propriétés dans la vallée de la Basse-Lièvre, dont des scieries et des meuneries. Les temps difficiles qui s’annoncent en 1846 entraînent la compagnie de difficulté en difficulté pour finalement la mener à la faillite en 1849. Elle sera prise par les frères Hamilton et par John Thompson de Québec qui, de ce fait, augmenteront encore leur importance dans la vallée de l’Outaouais. Ces questions de crédit et de dette lient aussi les leaders régionaux et communautaires aux propriétaires terrains dans plusieurs seigneuries.
(Histoire de l’Outaouais. Sous la direction de Chad Gaffield. André Cellard, Gérald Pelletier, Odette Vincent-Domey, Caroline Andrew, André Beaucage, Normand Fortier, Jean Hawrvey, Jean-Marc Soucy. Centre de la recherche de l’institut nation de la recherche scientifique, 1994).
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