
Le blond, le noir, le nommé Leblond et le petit balai
Un vol sur la personne qui reste inexpliqué sauf la libération du suspect – Au Val-d’Or – Chronique judiciaire (mars 1939)
Austin Stevens, 236 ouest, rue La-Gauchetière, type de noir athlète et déluré avait avait un sourire avant coureur du printemps lorsque devant le juge Gustave Marin, en fin de semaine il entendit ce tribunal le libérer d’une accusation de vol sur la personne, qui comporte une peine de quatorze ans au bagne, sans plus. L’aventure d’Austin a sa saveur puisque le pauvre nègre est le factotum de la boîte de nuit Val-d’Or, 1417 boulevard Saint-Laurent et tout en passant le petit balai sur les tuxedos de ces messieurs, il leur vend des serviettes de papier et leur loue des serviettes de toile, chacune ayant son usage particulier comme dirait Lapalisse.
Ainsi donc le soir du 26 février, pendant que deux danseuses hawaïennes faisaient tourner le « foin » de leurs robes ancestrales à la grande joie des spectateurs, l’un des convives, M. X.-Oram Leblond, un libre citoyen de Thetford-Mines, entré voir le « floor-show » avec deux amies, poussé par un besoin naturel et explicable partout où l’on consomme de la bière, piqua par la ligne droite à la chambre de toilette, le sanctum de Stevens. Leblond déclare au tribunal que son nègre avait été aux petits soins et l’avait épousseté sur les épaules, les hanches, le dos et que sais-je pendant cinq minutes. Résultat : au retour auprès des invitées Leblond n’avait plus son « roll » (mot employé par plusieurs pour désigner le papier-monnaie et en l’occurence le « roll »e de Leblond était pour une somme de $110).
Devant pareille preuve Me Paul Désy, avocat de la défense, fit entendre le sergent-détective Murray et le témoin déclara que le plaignant en avouant la mésaventure à la police judiciaire avait ajouté que la salle de bain du Val-d’Or, il avait toisé un grand jeune homme blond. D’après la description donnée cet inconnue serait un pic-pocket notoire actuellement recherché par la police. Le tribunal accepta cette version et la présence d’un blond avec Leblond et le noir crée un doute suffisant pour en donner le bénéfice au prévenu.
Depuis Austin Stevens qui avait été renvoyé de son emploi a reprise son balai et ses serviettes et son large sourire vous fait croire à un croissant de lune, sur un ciel sombre lorsque vous allez où je vais de ce pas.
(Cette nouvelle de la Chronique judiciaire canadienne date du 20 mars 1939, texte publié dans le quotidien Le Canadien, lundi 20 mars 1939).

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