Le vol à l’étalage a tenu la vedette en Correctionnelle au cours de 1965
Il y a immanquablement chaque année, devant nos tribunaux criminels, de grands procès, des « affaires » qui passionnent pendant quelques semaines ou quelques mois l’opinion publique et qui font, pendant le même temps, la manchette, petite ou grande, de nos journaux.
Il y a certes eu, en 1965 comme pendant toutes les autres années, de ces affaires retentissantes.
Mais il y a par ailleurs eu, devant nos cours locales, ces douze derniers mois, un phénomène nouveau, troublant par sa régularité et presque affolant par son incidence numérique. Et ce fut celui des vols à l’étalage. Jamais on n’avait vu autant de justiciables défiler à la barre des prévenus pour ce crime que tout le monde considérait comme mineur, sinon négligeable, jusqu’à ce qu’il constitue une véritable épidémie et une plaie que les, tribunaux ont vainement tenté de cautériser, ces derniers mois.
Et jusqu’à ce qu’il fasse monter le chiffre des comparutions, de 25,533 qu’il était en 1964, à 26,765 qu’il aura été, en 1965.
Tous et chacun des quelque vingt juges de la cour de police y ont été de leurs boniments et de leurs réprimandes sur le sujet, semaine après semaine.
Ils ont tout d’abord donné des sentences suspendues, accordé des remises de peines. Puis ils ont imposé des amendes légères. Puis d’autres, plus élevées. Puis d’autres, finalement, qui voulaient être exemplaires.
Ils ont fait pendre au-dessus de la tête des coupables (et il y en a eu, certains jours, jusqu’à quinze ou vingt) la menace de la prison. En fait, certains ont imposé des peines de quelques heures, puis de quelques jours de détention. Mais rien n’y a fait.
Chaque matin, on retrouve à la barre de la Correctionnelle le même contingent d’accusés (des femmes en très grande majorité) qui, la veille, ont raflé un, deux ou six articles sur les comptoirs d’un grand magasin. Il y a là, encore une fois, quelque chose de fort inquiétant, d’autant plus que ceux qui sont accusés en sont généralement à leur premier délit, et qu’il n’est évidemment pas question de montrer à leur endroit une sévérité qui serait hors de proportion.
Mais leur nombre, devant nos cours, constitue encore une fois un problème majeur, que nos juges doivent affronter quotidiennement sans en tenir la solution.
Les vols d’automobiles à l’échelle… industrielle
Les vols d’autos, eux, n’ont rien de neuf, devant ces mêmes tribunaux.
On en vole, bon an, mal an, des milliers, dans les rues de la métropole. On a l’habitude.
Ce à quoi on était moins habitué, toutefois, c’était la mise au jour de réseaux de voleurs de voitures à l’échelle industrielle, si l’on peut dire.
Et, à cet égard, la superbe pièce de travail policier qu’a été la mise au jour du « charnier de Brossard », en fin d’année, a démontré au public que certaines organisations ne reculaient devant aucun moyen pour dépister la police.
La plus effarante des constatations, en fait, ce fut d’apprendre que, dans nombre de cas, une voiture avait pu être complètement démantelée, dans un garage hautement spécialisé, avant même que cette même police eût été avertie que le véhicule avait été dérobé.
Comment vouliez-vous qu’elle fit, dans ces conditions, pour le retracer ?
Mais il faut dire que le processus de répression est nettement en bonne voie.
Déjà, il y a quelques semaines, l’un des hommes-clés de l’une des bandes les plus prospères a été mis sous verrous pour les quinze prochaines années.
Son comparse, un ancien policier, a lui-même été accusé de soixante-dix vols de voitures. Au cours d’une autre enquête, on s’est par ailleurs rendu compte qu’il n’y avait peut-être pas que les voleurs d’autos qui étaient à blâmer de l’état de choses actuel.
Il y a aussi les acheteurs.
Les coureurs d’aubaine, qui ne peuvent pas résister à la tentation de s’offrir une voiture pour le tiers ou même le cinquième de sa véritable valeur.
Une quinzaine de ces acheteurs, tous ex-fonctionnaires municipaux, se retrouveraient tous en cour, au début de la prochaine année, pour s’être ainsi laissé prendre.
Compte non tenu de l’affaire Rivard, qui n’était pas locale, mais qui a fait couler plus d’encre que toutes les autres saisies du genre, c’est l’arrestation de cinq ressortissants français à l’aéroport de Dorval qui a conduit à la plus grosse saisie de narcotiques dans la métropole, au cours de l’année écoulée.
Les drogues trouvées à cette occasion valaient quelque quarante millions, sur le marché clandestin, a-t-on dit. Aucun des accusés n’a encore connu son sort, dans cette affaire, principalement à la suite du refus des autorités judiciaires françaises de permettre à une commission rogatoire canadienne d’aller interroger des témoins à Paris selon la façon de procéder dictée par les lois de notre pays.
Le juge qui préside le procès n’a d’ailleurs pas manqué de souligner, à ce sujet, que si les accusés sont privés de certains moyens de défense auxquels ils avaient droit, ils ne pourront s’en prendre qu’à l’intransigeance des magistrats de leur propre pays.
Il y a par ailleurs eu, en fin d’été, une série de razzias de la Gendarmerie Royale chez des trafiquants de Montréal, Toronto et Vancouver, mais, à Montréal tout au moins, on n’a pu parler à cette occasion dp réseau international ni de trafiquants d’importance.
La police fédérale a par ailleurs traduit en cour un médecin qui avait fourni une forte quantité de barbituriques à des prisonniers de Bordeaux, et la police de Montréal a de son côté accusé un autre praticien du recel d’une forte quantité de tableaux, apparemment achetés en grande partie de narcomanes en quête de drogues.
En décembre, la PP a porté un dur coup à la distribution des billets de loteries irlandaises dans tout le pays lors de deux raids successifs effectués à Ville LaSalle et à Dollard des Ormeaux.
Le procès, dans les cas des deux accusés, a été ajourné au 18 janvier, et l’affaire a remis en question toute la controverse sur l’illégalité de ces loteries.
Le ministre de la Justice, Me Claude Wagner, tout en appuyant sans réserve le geste de ses policiers, s’est pour sa part déclaré favorable à la légalisation et à la nationalisation des loteries. Et il a manifesté son intention de soumettre son point de vue à la conférence des procureurs-généraux à Ottawa dans quelques jours.
Quelques semaines plus tôt, on avait par ailleurs saisi, au domicile de l’ex-maire de Jacques-Cartier, M. Aldéo Rémillard, des milliers de billets et d’exemplaires d’un journal indépendantiste, le tout devant apparemment servir de base à une vaste loterie.
Dans ce cas également, le procès n’a pas encore eu lieu. Parlant d’indépendantisme et de son apparent sous-produit, le terrorisme, la seule manifestation notable de celui-ci aura été, en 1965, la participation d’un groupe local à un complot pour dynamiter une demi-douzaine de monuments américains, à travers le pays voisin.
Du peloton initial d’accusés devant la cour locale, il n’y a que le professeur de psychologie Michèle Saunier qui n’ait pas encore connu son sort.
Les autres ont été condamnés, pour la plupart, aux longs mois qu’ils avaient passés en prison, en attendant leur procès, cependant que l’un s’est enlevé la vie en attendant ce même procès, à Bordeaux. Et en causant la commotion que l’on sait.
(Texte publié le 3 janvier 1966 par le quotidien montréalais La Presse).
