La vengeance d’une femme

Vivant dans un château « sans pain », c’est Mme Kughiel qui aurait elle-même lancé les cagoulards sur la piste de son mari – Témoignage d’un prévenu

Vivant dans un état de quasi-mendicité dans une très luxueuse maison de Mont-Royal, ou même le téléphone avait été “coupé », c’est l’épouse même d’Israël Kughiel qui aurait mis un groupe de cagoulards armés sur la piste de son mari, en leur faisant miroiter une fortune de deux ou trois millions prétendument cachée dans une penderie de cèdre, dans un chalet de Sainte-Agathe.

C’est ce qu’a raconté hier après-midi, devant le juge Armand Chevrette, en créant par la même occasion un suspense peu souvent atteint devant nos tribunaux, l’un de ceux qui sont présentement accusés et de la « séance de torture » des Laurentides, contre Kughiel, sa seconde « épouse » et son fils de 7 ans, et du cambriolage de son domicile de la rue James Morrice, dans le nord-ouest de la métropole.

Employé d’une agence de collection locale. Ronald Bourgon a dit avoir rencontré Mme Denise Kughiel et sa fille Elizabeth, à leur domicile de la rue Roselawn, en mal, pour la première fols.

Il avait pour tâche, à ce moment- la, d’obtenir le paiement d’une somme de $300.27 due à l’un de leurs fournisseurs.

Mais le paiement devait se faire définitivement attendre. Finalement, toutefois, la jeune Elizabeth fit un jour un chèque que sa mère avait signé d’avance, mais en faisant l’erreur d’y inscrire le montant de $327. Au lieu de $300.27.

Bourgon dit avoir alors averti la jeune femme que sur réception de la somme erronée, il viendrait porter la « différence ». Mais cela ne revêtait aucune urgence, car le même chèque avait été « postdaté » de trois semaines.

Puis, la veille de recaissement, il devait se rendre compte qu’à la succursale bancaire Indiquée sur le petit rectangle de papier, les fonds n’étaient aucunement suffisants pour échanger celui-ci.

Il tenta alors de téléphoner chez les Kughiel, mais le téléphone n’y sonnait plus. Et apparemment pour raison de défaut de paiement de quelques comptes déjà longuement différés.

Dans un placard de cèdre

Interrogé par le procureur de la Couronne, Me Gabriel Grenier, Bourgon soutient qu’il s’est alors rendu avenue Roselawn et que Mme Kughiel, la prévenue a la barre, lui avait alors déclaré qu’elle était tout simplement désespérée.

Depuis six mois, selon ses dires, son mari ne lui avait pas versé la pension alimentaire qu’il était censé lui donner, et quelques bijoux déposés en gage, entre temps, n’avaient pas suffi pour payer les multiples dettes qu’elle avait forcément accumulées.

C’est alors qu’elle révéla que son mari était un homme riche à millions, qui avait ses moyens à lui de faire fortune dans tous les pays où il passait.

Elle lui dit également que c’était un homme qui n’avait qu’une confiance très relative aux banques, et qu’il gardait toujours chez lui une somme liquide variant entre deux ou trois millions de dollars.

Elle estimait, d’autre part, qu’une bonne part de cette fortune était sienne, en dépit de leur séparation légale entérinée par la cour.

Et elle se demanda tout haut, devant lui, s’il n’y aurait pas un moyen … ou un autre, d’aller récupérer une partie de ces millions dans le cèdre d’un placard enfoui.

Elle expliqua alors a l’agent collecteur que, la semaine précédente, sa fille avait tenté de se suicider, et qu elle avait dû lui soustraire ses bijoux, afin qu’elle n’aille pas les troquer contre une drogue quelconque, à nouveau.

C’est alors que. selon ses dires, Bourgon lança dans l’air le nom de Jean-Paul Déveillé. Selon lui, c’était l’homme à voir, dans les circonstances.

Et pour l’excellente raison que c’était un cambrioleur expert.

Il remet $3 à la prévenue

Puis, prochain pas, il le présenta aux deux femmes.

On aurait alors expliqué à ce présume as du celluloïd que la maison qu’il aurait a « visiter », dans les Laurentides, serait vide

Mais, d’autre part, on aurait également souligné qu’advenant certaines présences, il y aurait peut-être moyen de soutirer le secret de la cachette aux millions en menaçant le dernier fils de M. Kughiel, Roberto, qui était, selon le dire de ces dames, son « adoration ».

Et l’on s’en fut vers Ste-Agathe.

Mais Bourgon n’a apparemment pas de dispositions pour raconter dans le détail ce qui s’est passé la. Et il souligne tout simplement au Juge Chevrette que quelque chose s’y est sans doute produit, que les tribunaux ont d’ailleurs raconté a profusion.

Au retour du Nord, cependant, la première chose que Mme Kughiel lui demanda, ce fut de l’argent. Il dit lui avoir alors remis trois dollars américains auxquels elle trouva, selon ses dires, une . . . odeur de cèdre (sic!).

On aurait alors décidé de piquer une pointe vers le domicile montréalais du propriétaire de l’hôtel de La Salle.

On fit donc une première visite, mais la clef que la jeune Elizabeth avait dans son sac à main n’ouvrait pas la porte d’entrée.

On retourna donc rue Roselawn, où Mme Kughiel prêta à Léveillé un tournevis. On s’entendit, par la même occasion, sur le fait que si les millions de Kughiel étaient trouvés, maman aurait sa quote-part et les autres leur pourcentage.

Le « pic » au lieu de tournevis

Arrivé sur place, toutefois. Déveillé ne trouva pas utile de recourir au tournevis de la quinquagénaire, et c’est avec son propre « pic » qu’il crocheta la porte arrière, pour livrer passage à Bourgon et à la fille Elizabeth, par l’avant.

Tout ce qu’on trouva alors, furent seulement quelques millions de cruzeiros qui, un peu malheureusement, ne valent présentement que $400 dans la monnaie légale de notre propre pays.

Et quelques effets divers, mais apparemment précieux, que Mme Kughiel avait précédemment évalués à un total de $20,000.

 

loup-garou
Pauvreté n’est pas loin de devenir infidélité. Un loup bleu. Illustration : Megan Jorgensen.

Par la suite, on serait retourné rue James Morrice, pour en avoir le cœur net avec cette histoire de coffre de cèdre.

Et, a cette occasion. Déveillé aurait montré ses dons naturels de démolisseur de placard. Mais sans rien trouver de plus qu’au premier cambriolage.

Bourgon termine alors sa déposition et il semble alors définitivement trop tard pour que l’avocat de la prévenue, Me Yves Fortier, entreprenne immédiatement un contre-interrogatoire qui, de toute évidence,
pourrait être fort long.

On ajourne donc l’instruction à cet après-midi.

Auparavant, toutefois, la seconde « compagne » de Kughiel, l’ex ballerine Gertrude Bruchat, de l’opéra de Vienne, avait identifié pour le bénéfice du tribunal la brochette d’articles volés chez elle, rue James Morrice, le 5 août dernier.

Mais si son interrogatoire principal s’était fait sans heurt, son contre-interrogatoire par Me Fortier devait être beaucoup plus « mouvementé », disons.

Car le procureur de Mme Kughiel voulut savoir comment elle était . .. entrée dans la famille,

À trois sous le mémo toit

Elle dut donc raconter, malgré les objections répétées de Me Grenier, qu’elle connaissait le riche Israël depuis une bonne douzaine d’années.

Et qu’après avoir vécu sous le toit des époux Kughiel tout d’abord en Europe, puis au Brésil, puis a Montréal, elle avait plus ou moins pris la place de la « légitime » de l’hôtelier, dans une maison qu’elle avait toutefois payée de ses propres deniers, a son arrivée dans la métropole

Me Fortier demandant au témoin si, pendant tout ce temps, ou, partie de ce temps, elle avait été la maîtresse du plaignant, celle-ci lui demande à son tour.

– Est-ce que, par hasard, cela vous dérange ?

Et c’est sur cette réponse interrogative qui met l’audience hilare que le sergent d’état-major Bernard Desnoyers, de la P.P. commence sa propre déposition.

Et, à son tour, il raconte comment, en cherchant la jeune et jolie Elizabeth pour le forfait de Ste-Agathe, il a trouve sa mère vivant dans un « château sans pain », à Ville Mont-Royal.

(Ce témoignage a été enregistré le mercredi, 23 août 1967).

Laisser un commentaire