Plus on voit des vedettes québécoises à Paris, moins on s’intéresse au Québec
En arrondissant un peu les comptes, on constate que la « grande percée » culturelle québécoise date à peu près de vingt ans.
En 1971, Gilles Vigneault n’était pas loin du sommet du succès. Charleboix était à la veille de faire l’Olympia en vedette. Les Mâles de Gilles Carle constituait le premier triomphe critique d’un film québécois, et le film allait faire une impressionnante carrière publique à Paris.
Ce qui se préparait, c’était la rentrée de l’automne 1972, où pas mal de gens pensèrent que le Québec était devenu vraiment à la mode sur les bords de la Seine.
Si l’on dresse un bilan – provisoire – vingt ans après, on se rend compte de l’immensité du chemin parcouru. Comme si on avait changé de siècle. Une révolution qui n’est pas sans intérêt, car ce sont à 90% les « culturels » – surtout les chanteurs, mais aussi les autres – qui ont d’abord fait connaître aux Français l’existence du Québec, puis continué de forger l’image qu’il a dans le public.
Une vingtaine d’années après les grands débuts, l’exportation culturelle québécoise à Paris se porte mieux que jamais… et on a pratiquement cessé de parler du Québec. En comparaison de l’ignorance abyssale d’antan, un nombre impressionnant de Français situent sans hésitation cette contrée lointaine en Amérique du Nord et parviennent de subtiles distinctions entre Québec, Montréal et le Canada. Cependant, en ce qui concerne la politique, le « sujet Québec » n’intéresse rigoureusement personne dans les grands médias. Philippe Meyer, auteur d’un excellent Québec dans la collection Petite Planète au Seuil, avait proposé il y a plusieurs semaines un article de fond sur la crise constitutionnelle au Canada à un magasin auquel il collabore. On lui a répondu: « Mouais.., on va y penser ». On y pense toujours.
Entre le début et la fin des années 1970, le Québec n’a certainement jamais été un grand sujet de préoccupation très « grand public », mais les médias, croyant peut-être que ce serait « vendeur », y accordaient beaucoup d’importance. Comme à un sujet nouveau, étonnant, exotique ou folklorique.
Les artistes qu’on mettait sur le devant de la scène, étaient présentés comme de véritables ambassadeurs et porte-parole. Vigneault pourrait être le parfait symbole de cette époque: on répéta cinq cents fois qu’il « chantait le Québec ».
Jamais on n’aura vu autant de très grands succès que ces toutes dernières années. À commencer par Roch Voisine qui vient tranquillement tenir la vedette pendant 90 minutes un vendredi soir à l’émission la plus commerciale et populaire de la télé (12 millions de téléspectateurs). Dans les milieux du show-business français, on considère Voisine comme le succès le plus phénoménal de deux dernières années, toutes nationalités confondues.
Mais justement : Roch Voisine peut pratiquement passer une heure et demie en direct sans qu’on aborde le sujet Québec. Roch Voisine vient du Québec comme Jean-Luc Godard vient de Suisse: on le sait, mais ça n’a aucune importance.
Si on prend la liste des meilleurs coups réalisés ces derniers temps. Ils ont en commun de n’avoir rien de vraiment québécois. Ils n’ont pas été « vendus » avec le drapeau fleur de lys, ils n’ont pas non plus été achetés par le public sous cette étiquette.
En somme, plus on voit de Québécois tenir la vedette à Paris, et moins on s’intéresse au Québec. Ou alors, plus le Québec « se banalise » dans l’esprit du public, et plus les « culturels » engrangent de bons succès. Pour ce qu’ils sont, pas pour le drapeau. C’est peut-être mieux comme ça.
(Publié dans La Presse, le 7 avril 1991).

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