Un leg d’un père défunt annulé par ses enfants

L’échec judiciaire d’une garde-malade en Cour supérieure du Québec

Les enfants d’un défunt font annuler une donation de leur père en faveur de son infirmière

Question de droit

Le document sous seing privé ainsi conçu « Moi, Charles Latour, je donne à ma garde-malade, Liliane Grenier, le montant que J’ai à la Banque Canadienne Nationale pour la récompenser des services rendus à ma femme et à moi-même », constitue-t-il un testament ou une donation de biens présents ? L’honorable juge Alfred Duraleau, de la Cour supérieure, est d’opinion que c’est une donation entrevis de biens meubles et qu’en l’absence de livraison, le document est nul parce qu’il n’est pas notarié ; mais, toutefois, il règle la question autrement, en annulant tout simplement le document comme faux, frauduleux et illégal, et en maintenant avec dépens l’action intentée par Roseanne et Alphonse Latour ç Liliane Grenier, tous de St-Jean d’Iberville.


Cette affaire, qui ne manque pas d’intérêt, a pris naissance aux derniers jours de la dernière maladie de M. Charles Latour, cultivateur de la paroisse de St-Jean l’Evangéliste, district d’Iberville, décédé le 13 octobre 1937, à la suite d’une angine de poitrine. Alité depuis le 8 octobre et soigné depuis cette date par la défenderesse qui est garde-malade, M. Latour mourut alors qu’il se sentait déjà mieux. Quelques jours après ses funérailles, la défenderesse se révéla l’existence du document en question et, le considérant comme une disposition testamentaire, elle le fit vérifier en la manière ordinaire et prit les mesures nécessaires pour obtenir de la Banque Canadienne Nationale le paiement de son legs, soit une somme de quelque $11, 000.

C’est à ce moment que Roseanne et Alphonse Latour, enfants et héritiers légaux du défunt, prirent action pour faire annuler ce document qu’ils prétendaient faux, frauduleux et illégal.

La défenderesse contesta cette action en plaidant que le document était authentique ; que le défunt l’avait fait de lui-même, librement, alors qu’il était parfaitement sain d’esprit ; qu’il avait confiance en sa garde-malade dont il appréciait le dévouement pour lui-même et pour des services rendus précédemment, tandis que, d’un autre côté, il n’avait jamais été en très bons termes avec ses enfants ; et, qu’à tout événement, le document était régulier, qu’il avait été fait devant deux témoins et que le testateur y avait apposé sa marque après lecture. (Le document, en effet, avait été signé par deux témoins, MM. Antonio Lachance et J. – Albert Payant.).

Après l’examen des témoignages, l’honorable Juge Durauleau n’a pas accepté cette défense et il a annulé ce document comme n’ayant jamais été fait par le défunt. Qu’il soit disposition testamentaire ou donation, il est invraisemblable, de dire le jugement, qu’il puisse être l’œuvre du défunt. En effet, première invraisemblance, le fait que cette jeune garde-malade de 25 ans lui était absolument étrangère ; qu’il l’avait bien payée pour les services qu’elle avait rendus : qu’elle ne le soignait que depuis quatre ou cinq jours et qu’il n’avait absolument aucun motif de faire ce testament, la veille même de sa mort, alors qu’il avait déclaré ce jour-là à plusieurs personnes qu’il se sentait beaucoup mieux.

Deuxième invraisemblance, le fait que le document ne portait pas la signature mais bien la croix du défunt. Or la preuve démontre que, bien que ne sachant ni lire ni écrire, il savait signer et signait toujours ses chèques et autres documents. Comment croire qu’il aurait apposé sa croix, surtout à un moment où il était capable de signer puisqu’il se déclarait beaucoup mieux et plein de santé. D’ailleurs, la veille même, il avait signé certains documents et, pour un acte de cette importance, il aurait apposé sa croix ? C’est invraisemblable.

Troisième invraisemblance, le fait que personne n’a vu les prétendus témoins du document, lesquels seraient venus signer vers les cinq heures, le 12 octobre, juste au moment où la servante de la maison (la seule autre personne habitant avec le défunt, outre la défenderesse) n’est absentée quinze minutes pour traire deux vaches à cent pieds de la maison. « Il est difficile de concevoir », dit le juge, « que l’on ait pu procéder à la confection d’un testament, quelque soit son laconisme, dans un si court espace de temps ».

Valeur du serment

L’arrêt relève d’autres invraisemblances et aussi des contradictions flagrantes et il conclut à l’annulation du document en disant : « Le Tribunal, après avoir vu, interrogé et entendu les témoins, avoir pesé et considéré toutes les circonstances, ne peut ajouter foi aux affirmations de la défenderesse et de ses deux témoins, le poids de ces circonstances et des présomptions qui en résultent, écrasent et détruisent ces dites affirmations. À notre avis, nous sommes en présence de l’un de ces nombreux cas attestant le peu de respect que l’on a de nous pour le serment et la vérité. »

Le droit

À tout événement, le juge considère, en droit, que le document en question ne contient pas une disposition testamentaire mais bien une donation de entrevis de biens meubles présents. Selon la loi une semblable donation est nulle si, l’objet de la donation n’ayant pas été livré par le donateur, le document qui constate la donation n’est pas notarié. Or, en l’occurrence, l’argent n’a pas été livré et le document n’est pas notarié. Donc, le document est nul puisque l’objet de la donation, l’argent en banque, est un bien meuble.

Cette affaire porte le numéro 3950, C.S. District d’Iberville. Maître Jacques Cartier agissait pour la demande.

(Cela arrivait le 13 mars 1939, à Montréal).

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Un homme sans argent est comme un arc sans flèche. (Thomas Fuller, Gnomologia, 1732.) Photographie de Megan Jorgensen.
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