
Trudeau et Johnson s’accusent mutuellement de mettre en danger l’existence du Canada
Sur le brûlant sujet de la personnalité internationale du Québec, le premier ministre du Canada Trudeau et le premier ministre du Québec, M. Daniel Johnson, s’accusent mutuellement de vouloir saboter l’existence même du Canada.
C’est le second affrontement majeur entre MM. Trudeau et Johnson. La virulence du premier, lors de la conférence constitutionnelle de février dernier, en laissait présager d’autres.
M. Trudeau a pris l’initiative de la seconde en exposant la thèse suivante hier (le 8 mai 1968) au cours d’une conférence de presse :
- Le gouvernement du Québec, sans attendre une révision constitutionnelle déjà décidé, établit de son côté des précédents susceptibles de lui gagner un statut d’État souverain dans la communauté des nations.
- Or, soutient M. Trudeau, si Ottawa ne demeure pas l’unique juge en dernier ressort des relations du Canada avec les puissances étrangères, c’est est fait de l’autorité fédérale et le Canada n’est plus un pays s’étendant d’un océan à l’autre.
De son côté, M. Johnson ne tarde pas à répliquer : « Mé Trudeau réussit magnifiquement à déterrer des préjugés et à provoquer des remous à travers le pays ». La position inflexible d’Ottawa fait courir un grave danger au Canada.
Au cours de sa conférence de presse, M. Trudeau a rendu public un « Livre blanc » portant sur les conférences internationales, dans lequel le gouvernement fédéral exclut toute participation du Québec à des réunions semblables aux récentes conférences de l’éducation de Libreville et de Paris.
M. Johnson, qui avait ce document en main depuis mardi, s’indigne qu’Ottawa lance ce débat devant l’opinion publique avant même le début des négociations constitutionnelles avec les provinces. En outre, M. Trudeau s’est montré « plus électoraliste que patriote » en publiant son « Livre blanc » à ce stade de la campagne électorale.
Prenant note d’autre part que trois lettres « personnelles et confidentielle » de l’ex-premier ministre Pearson étaient rendues publiques dans le « Livre blanc », le premier ministre québécois dit qu’il répliquera en publiant la lettre « personnelle et confidentielle » dans laquelle il répondait aux missives de M. Pearson.
Dans sa conférence de presse, M. Trudeau avait pris la peine de souligner que M. Johnson n’avait répondu qu’à une seule des trois lettres de son prédécesseur, notamment à la dernière en date du 8 mars 1968, et ce près d’une mois plus tard, soit le 5 avril.
Johnson : Une attitude rigide d’Ottawa deviendrait une menace pour le Canada
Le premier ministre du Québec, M. Daniel Johnson, a lancé hier, l’avertissement que le gouvernement fédéral fera créer un grave danger au Canada s’il veut appliquer avec rigidité sa docttrine actuelle en matière de relations internationales.
Accusant le premier ministre du Canada, M. Pierre Elliott Trudeau, de faire de l’électoralisme avec la question des relations internationales, le chef du gouvernement québécois a indiqué que, pour sa part, le gouvernement provincial étudiait présentement des mécanismes susceptibles de satisfaire à la fois les compétences exclusives du Québec et les intérêts généraux du Canada.
« En publiant en pleine campagne électorale un document sur les relations internationales dans le domaine de l’éducation, M. Trudeau risque de soulever des préjugés et de provoquer des remous à travers le Canada. M. Trudeau se montre plus électoral que patriotique, a dit M. Johnson.
Le chef du gouvernement a fait ces déclarations au cours d’une longue conversation avec les courriéristes parlementaires qui l’interrogeaient après l’ajournement de la Chambre, sur la publication à Ottawa de trois lettres que lui avaient adressées l’ancien premier ministre M. Lester B. Pearson, et d’un addenda au livre blanc sur les relations internationales du Canada rendu public à la fin de la conférence constitutionnelle d’Ottawa, en février dernier.
Brièvement, voici les points soulevés par M. Johnson :
- En rendant publique, comme il l’a fait, une annexe au rapport sur « le fédéralisme et les relations internationales » portant sur la question particulière des conférences internationales en matière d’éducation, M. Trudeau pratique une stratégie dangereuse car elle met en danger les négociations prochaines sur la réforme de la constitution ;
- le point de vue exprimé par le gouvernement fédéral dans ces documents apparaît trop rigide ;
- si Ottawa veut appliquer ces principes, le Canada court grave danger ;
- au contraire, si Ottawa veut faire preuve de flexibilité, le Canada ne court aucun danger ;
- quant au Québec, il ne veut pas négocier immédiatement sur la question de la personnalité internationale du Québec car il désire une réforme complète de toute la constitution ;
- le gouvernement du Québec étudie présentement trois formules qui permettraient l’établissement de mécanismes respectant à la fois les juridictions exclusives du Québec (et des autres provinces) et les intérêts généraux en matière de relations internationales.
Commentant le geste de M. Trudeau, le premier ministre du Québec a rappelé que les lettres que lui a adressées M. Pearson et sa réponse à la dernière lettre, étaient des échanges « personnels et confidentiels ». « Ces deux mots no veulent donc plus rien dire », a souligne M. Johnson.
Il a toutefois ajouté qu’il s’attendait à ce que ces lettres soient éventuellement rendues publiques et qu’il avait donc « rédigé la sienne en conséquence ». La réponse de M. Johnson sera rendue publique demain dans la Vieille Capitale.
Ce que M. Johnson reproche surtout à M. Trudeau, c’est d’avoir rendu public l’addenda au « livre blanc » sur les relations internationales du Canada.
Le chef du gouvernement québécois, tout en faisant allusion à l’élection fédérale en cours, estime que ce qu’il considère comme une tentative de M. Trudeau de faire dévier les discussions constitutionnelles sur un point particulier, délicat par surcroît, les conférences internationales en matière d’éducation, « est un drôle de façon d’amorcer des négociations ».
« Quant à nous, a-t-il dit, nous avons toujours considéré le document sur le fédéralisme et les relations internationales » remis à la conférence d’Ottawa comme un document de travail.
M. Johnson s’est dit convaincu que le problème constitutionnel canadien ne pourra se résoudre que par la négociation qui est une affaire de « prends et laisse ».
D’autre part, M. Johnson a révélé que les experts constitutionnels de son gouvernement lui avaient soumis trois formules proposant des mécanismes destinés à éliminer les tensions que provoque la participation du Québec à des conférences internationales en matière d’éducation.
(La Presse, le plus grand quotidien français d’Amérique, jeudi 9 mai 1968. Saint Grégoire de Naxiance, 84e année, #110).

Facebook
Twitter
RSS