Les tribunaux en 1968

Les tribunaux, chronique judiciaire, une journée typique en mai 1968

Une requête pour faire déclarer coupable d’outrage au tribunal l’intimé Jacqus-Larue Langlois

Me Louis Paradis, procureur de la Couronne, qui a agi pour le ministère public avec Me Maurice Bourassa au procès de Pierre Vallières, doit présenter, au cours de la journée d’aujourd’hui, vendredi, une requête devant le juge Maurice Cousineau, de la Cour supérieure, qui siégera comme juge de la Cour du banc de la reine, juridiction pénale, dans laquelle le substitut du procureur général demandera que Jacques Larue-Langlois, journaliste et ex-réalisateur à la télévision et à la radio, soit déclaré coupable d’outrage au tribunal (mépris de cour).

C’est Me Jacques Bellemare, professeur de droit pénal à l’Université de Montréal, qui représentera l’intimé devant le tribunal. On prévoit qu’une fois que la requête aura été présentée, le juge Maurice Cousineau fixera une date pour l’audition de l’affaire et pour entendre l’intimé Larue-Langlois, qui sera alors appelé « à donner les raisons et les causes pour lesquelles il ne devrait pas être déclaré coupable d’outrage au tribunal et condamné aux peines prévues en pareil cas par la loi ».

Article incriminant ?

La requête fait suite à un article publié en mai de cette année dans le numéro un du volume un du journal « Le Voyage K » qui se dit organe d’information de l’homme nouveau dit le « logos français ». Cet article était intitulé: « Vallières, Debray, Riel, Debray et l’attente d’un autre Gagnon ». II avait été imprimé sur les pages 10 et il de l’organe précité en marge du procès que Pierre Vallières avait subi sous l’inculpation de meurtre par suite de la mort de Mlle Tltérèse Morin, victime de l’éclatement d’une bombe à la manufacture de chaussures Lagrenade, le 5 mai 1966.

Cette requête contient un extrait du dit article, qui prétend que Vallières avait été « jugé et condamné à partir d’un acte d’accusation fabriqué sur mesure, au beau milieu du procès, à partir des seuls faits permettant à la couronne de tenter de rattacher l’accusé à l’affaire Lagrenade. Pierre Vallières, poursuivait l’article, était, aux yeux de l’ordre établi. coupable dès le moment de son arrestation. Le fait que les procureurs de sa majesté la reine d’Angleterre n’aient jamais réussi à établir sa culpabilité, n’a aucunement influencé ses bourreaux qui sont également ceux du peuple québécois tout entier ».

L’article contient un autre paragraphe très long où l’attitude du juge Yves Leduc, président de ce procès, est vivement prise à partie.

Un des allégués de la requête mentionne que l’article signé par l’intimé ainsi que ses commentaires entoures de la publication d’une lettre de Charles Gagnon, qui incidemment doit subir son procès lundi sous une accusation de conspiration sont de nature à entraver le cours de la justice et le tribunal dans l’exécution de ses fonctions.

L’affaire Seven-Up : Une dame condamnée, mais trois hommes acquittés

Une diminutive secrétaire de la C.S.N. a été condamnée à $50 d’amende et aux frais, hier après-midi, par le juge Marc- André Blain, pour sa « participation » aux manifestations violentes qui s’étaient déroulées autour des usines de la compagnie Seven-Up, à Mont- Royal, en février dernier. En même temps, toutefois, le juge Blain a acquitté des mêmes accusations trois jeunes gens, Michel Lambert, 20 ans, du 271 Taillon, à Saint-Basile-le-Grand, Spiro Katsovrious. 22 ans, de l’avenue Linton, et John Gusdory, 22 ans, de la rue Rachel.

Ce faisant, toutefois, le tribunal a fait remarquer que le procureur de la Couronne, Me Bernard Fournier, n’avait fait que son devoir en présentant la preuve telle que faite devant la cour, et que les policiers qui avaient déposé avaient également manifesté beaucoup de bonne foi en n’exagérant pas les faits. Et c’est d’ailleurs parce que l’identification des prévenus ne pouvait être certaine, en raison même des circonstances, que les accusés ont été libérés.

Un autre incident

En condamnant la jeune Nicole Therrien, qui avait frappé un policier sur la tête au cours d’une « rencontre » entre manifestants et policiers, le juge Blain a fait remarquer que trop de jeunes Québécois étaient présentement enclins à prendre la loi entre leurs mains, de ce temps-ci. Et dans ce cas, dit-il, la plupart des manifestants n’avaient tout simplement aucune raison de se mêler de ce qui ne les regardait pas.

À la levée de la séance, par ailleurs, un incident mettant au prise l’un des accusés précédemment condamné à $25 d’amende et un policier a conduit Maurice Laviolette devant le tribunal à nouveau. Et, cette fois, pour menaces. Son procès s’instruira le 7 juin prochain. Tout cautionnement lui a été refusé entretemps.

Coupable d’avoir payé ses dettes à l’aide de ses jolies « hébergées »

Si la fortune souriait autrefois aux audacieux, il semble bien qu’elle fasse aujourd’hui la même chose… aux débrouillards.

Et c’est ce qu’aurait compris un jeune homme du nord de la métropole, Giovanni Marsella, qui, hier, subissait son procès devant le juge Gérard Laganière sous une accusation de proxénétisme.

Mais m les moyens étaient condamnables, et c’est ce qu’a effectivement décidé le juge Laganière, on ne peut dire que le prévenu avait manqué d’imagination dans la recherche d’un bon moyen pour payer ses dettes.

En fait, ce moyen était tombé sur les banquettes de- son auto, le jour où, avec un ami, il avait hébergé deux adolescentes qui faisaient du « pouce », sur la grande route.

Les deux filles venaient de quitter un foyer de protection et elles étaient apparemment prêtes à suivre n’importe qui n’importe où. Les deux jeunes gens les amenèrent donc dans une conciergerie de la rue Papineau où ils les initièrent rapidement à la prostitution. Marsella, pour sa part, en profita pour liquider quelques dettes avec des amis, en les amenant chez lui pour leur offrir, sans paiement requis, les faveurs de sa petite amie.

Mais bientôt, le va et vient devint si évident que la concierge se vit dans l’obligation d’évincer tout le monde.

Quelques heures avant le départ, toutefois, et alors que l’une des jeunes filles profilait pour une dernière fois de la piscine, l’accusé vint chercher l’une d’elles en lui disant qu’il lui fallait la voir tout de suite.

Et un témoin de déclarer devant la cour qu’à ce moment-là, la jeune fille avait laissé échapper, un peu lasse: « Non, pas encore dos clients ».

Déclaré coupable de l’accusation telle que portée. Marsella recevra sa sentence demain.

Accusés du vol de $17,000 de stéréos

Deux individus de l’est de la ville, François Amos, âgé de 23 ans, qui était déjà en Correctionnelle sous le coup d’une accusation de vol avec violence au port de Montréal et Guy Martel, 32 ans, ont clé inculpés, hier après-midi, d’avoir volé un stock de stéréos d’une valeur de $17,000, appareils venant
d’Allemagne et se trouvant, au moment de leur disparition dans un des hangars du port de Montréal.

Le vol aurait été commis il y a une quinzaine de jours. Représentés par Me Jean Salois, tous deux ont nié leur culpabilité, ont choisi un procès devant jury avec enquête préliminaire fixée ou 6 juin prochain.

Dans le cas de Amos, en faveur de qui un cautionnement de $5,000 avait été accordé dans la première cause, le juge Armand Chevrette, siégeant aux Comparutions, a exigé un cautionnement immobilier de $80, 000 ou un dépôt en espèces de $1,000 pour lui permettre de reprendre sa liberté provisoire et pour garantir sa présence future en Cour.

Coupables d’une fraude de $76,000

Un individu qui avait encaissé sans trop de difficultés un chèque de $76,000 qui était censé provenir de la compagnie Canadian Acceptance, en mars 1965, a été déclaré coupable d’avoir commis une fraude de ce montant, hier après-midi, par le juge Armand Chevrette.

Le prononcé de la sentence du prévenu, Pan Zervos, a toutefois été reporte au 5 juin alors que le procureur de la Couronne, Me Louis-G. Robichaud, fera ses représentations au tribunal. On sait qu’une demi-douzaine de prévenus ont déjà été condamnés à des peines diverses pour la série de fraudes dont celle-ci faisait partie. Et qui avait fait perdre à la C.A.C. quelque $300,000.

En déclarant le prévenu coupable, le juge Chevrette a surtout fait état du témoignage rendu par le gérant de la succursale de Rosemont, à l’époque. Ce dernier avait dit ne pas se souvenir d’avoir paraphé ce chèque, et que, d’ailleurs, il n’était pas autorisé à signer les chèques dont le montant dépassait $1,200.

Le même gérant avait également soutenu qu’il ne connaissait rien du contrat de financement (dont on ne sait trop quoi) sur lequel reposait toute la transaction. Zervos, incidemment, avait déposé le chèque entier à la banque, mais, par la suite, avait retiré presque totalement la somme à l’aide d’autres chèques qu’il avait eu la précaution de faire certifier.

Le tribunal conclut donc que le prévenu n’a jamais eu aucun titre ni aucun droit dans ce chèque, et qu’il s’est manifestement livré à une manœuvre frauduleuse en l’obtenant et en l’échangeant comme il l’a fait.

Corps repêché

Matane. Le corps, de Diane Pineault, 16 ans, précipitée dans les eaux de la rivière Matane, le 11 mai, à la suite d’un accident de la route, a été repêché hier. L’adolescente, qui habitait Matane, voyageait sur une motocyclette qui est entrée en collision avec une automobile. Le conducteur de la moto, Jean-Yves Richard, a été blessé dans l’accident.

Boisjoly victime d’erreur judiciaire (Me Sheppard)

Jean-Paul Boisjoly aurait été victime d’une erreur judiciaire; l’accusation portée contre lui ne comportait pas seulement un malentendu, mais encore une grave erreur puisqu’ayant été interrogé sur certains faits, il aurait été condamné sur d’autres.

C’est ce que Me Claude-Armand Sheppard, son avocat, a déclaré tard hier après-midi, au début de l’instruction de cette cause, en Cour d’appel, lorsqu’il s’est attaché à établir, comme nous le mentionnons plus haut, que la condamnation de son client comportait non seulement un malentendu, mais encore une erreur judiciaire.

Condamné à trois ans de pénitencier pour parjure, Boisjoly aurait purgé une grande partie de sa peine avant d’obtenir un cautionnement. Me Sheppard a soutenu que, même si la déposition qu’on reproche à son client n’était pas véridique, elle ne tombait pas sous l’article 114 du code pénal qui mentionne les fausses déclarations dans les procédures extrajudiciaires.

Me Sheppard n’a exposé hier que les grandes lignes de sa plaidoirie avant la levée de l’audience cl il poursuivra celle-ci aujourd’hui.

Me Maurice Bourassa représente la Couronne en cette affaire. Cette cause rappelle l’incident que la rumeur publique a désigné sous l’appellation des “faux certificats » et remonte à l’élection de 1962.

Alertée, la Sûreté provinciale avait surveillé une case à l’hôtel Windsor et avait saisi des documents qui firent l’objet de procès sensationnels. L’intimé Boisjoly avait été appelé à donner une version de celte affaire et l’accusation de parjure portée contre lui découle de sa déclaration faite à ce moment.

Jeune récidiviste condamné à dix ans

Une peine de dix ans de pénitencier a été imposée par le juge Jacques Anctil, hier après-midi, à un jeune homme de 19 ans qui s’était reconnu coupable d’avoir commis un vol à main armée de $1,962, à la Caisse populaire Saint-Roch, le 19 mars dernier.de dix années pour le vol lui-même et deux autres peines de deux ans pour conspiration et port d’un déguisement. Les deux dernières sentences seront toutefois purgées concurremment.

En envoyant le jeune Tony Fortune au bagne, le tribunal a fait remarquer qu’au moment où il commettait son crime, il était encore censé être en prison pour un premier. Le procureur de la Couronne, Me Arthur Lépine, avait en effet fait remarquer que l’accusé avait entrepris de purger une peine de deux années, pour un autre hold-up, en septembre 1966, et qu’il avait été remis en liberté conditionnelle bien avant la fin de sa sentence.

Voir aussi :

“Une oie va pliant le cou, mais à ses yeux rien n'échappe.” (Le Talmud / Megilla). Photo de Megan Jorgensen.
“Une oie va pliant le cou, mais à ses yeux rien n’échappe.” (Le Talmud / Megilla). Photo de Megan Jorgensen.

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