Un testament épatant
Par Eustache Gagnon, c.s.c.
Le testament de Madame Z. Généreux, décédée récemment à Montréal, nous révèle que cette dernière a disposé de ses biens d’une façon merveilleuse. Comme elle n’avait pas de parents rapprochés, elle a eu l’heureuse idée de faire des gratifications substantielles aux œuvres d’éducation et de bienfaisance canadiennes-françaises.
Plus de vingt institutions de Montréal et des environs seront les bénéficiaires de sommes assez rondelettes. Par la façon dont elle a disposé de ses biens, Madame Généreux a fait preuve d’un sens patriotique et d’une charité sociale vraiment dignes de la philanthropie la plus altruiste des Anglo-saxons ou des Américains. Il ne sera pas sans intérêt de prendre connaissance de la substance de ce document de haute portée éducative.
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La fortune disponible de Madame Généreux, fruit de quarante années de labeur ardu et d’épargnes méthodiques de son époux, dépasse le million de dollars. L`Université de Montréal, œuvre vitale dont la détresse fait pitié, doit toucher le gros lot, soit la somme de $500,000. Excellente aubaine par les temps difficiles que vit notre université !
Sa situation financière n’en est pas réglée ipso facto, le don permettra du moins à ses administrateurs de prendre haleine pendant quelques mois et d’assurer aux professeurs inquiets le salaire de l’année. Peut-être telle Faculté dite « de luxe », dont le budget est d’une pauvreté monastique, sera-t-il accru de quelques cents dollars. Les quinze professeurs n’auront pas lieu de s’en réjouir outre mesure, puisque à l’heure actuelle leur rétribution globale est inférieure à celle d’un seul professeur de l’Université de Toronto.
Ce fait motive le choix de la ville – reine, de préférence à Montréal, pour la fondation de l’Institut d’études médiévales.
Quel que soit le mode de répartition du demi-million, l’Association des diplômés de l’Université de Montréal doit se féliciter d’avoir été pour quelque chose dans la rédaction du testament de Madame Généreux. L`Action universitaire, par sa propagande discrète, n’a-t-elle pas fait tomber de nombreux préjugés à l’endroit de l’Université ? Elle lui a même gagné des profondes sympathies.
Les rédacteurs et les membres du conseil provisoire de l’A.G.D.U.M., qui, depuis plus d’un an, donnent leur collaboration gratuitement, ont raison de se réjouir de ce premier succès. Ils bénéficieront directement d’une allocation de $10,000 dont l’insigne donatrice a bien voulu les doter. Telle est la réponse à la démarche du président, le docteur Stephen Langevin, démarche apparemment infructueuse, faite en janvier dernier.
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Les autres legs de Madame Généreux sont au profit des œuvres missionnaires, des hôpitaux, des institutions religieuses, etc. Relevons quelques noms chanceux.
L`Archevêché de Montréal – $50,000.
L`Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal – $50,000.
Le Séminaire des Missions Étrangères, Pont-Viau – $50,000.
Mgr Alfred LePailleur, c.s.c, Chittagoug – $25,000.
Maison-Mère des Dames de la Congrégation – $25,000.
Maison-Mère des Sœurs de Ste-Croix – $25,000.
Collège de Saint-Laurent – $50,000.
Chapelle de la Réparation, Pointe-aux-Trembles – $25,000.
Hôpital du Sacré-Cœur, Cartierville – $25,000.
Hôpital Notre-Dame, Montréal – $25,000.
Hôtel-Dieu, Montréal – $25,000.
La Société Saint-Vincent de Paul – $20,000.
La Palestre Nationale – $10,000.
Secrétariat de la J.F.C – $ 5,000.
Secrétariat de la J.O.C – $5,000.
Secrétariat de la J.A.C – $5,000.
À cela s’ajoute une liste très longue de dons de $2,000 et moins. Voilà certes une femme qui avait l’intuition du sens social national et catholique, au sens plein du mot.
Hélas ! Cette donatrice et son testament ne sont que des êtres de raison entia rationis. La philosophie mal servie par l’imagination et le cœur a de ces hypothèses par trop cruelles.
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Ce qui chez nous n’est que rêve et fiction d’ordre imaginaire ou idéal, est réalité « très réelle » chez nos compatriotes de langue anglaise. Lisez pour vous en convaincre le testament de Mrs. Maria-Famicha Ganong, veuve de l’Honorable Gilbert « White Ganong, ancien lieutenant-gouverneur du Nouveau-Brunswick, décédée à St. Stephen, N.B., en février 1935. Absolument authentique celui-là, il peut servir de modèle, mutatis mutandis.
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L’héritage de Mrs. Ganong se chiffrait à $1,145,780.64. Une fondation de $200,000 est affectée à la construction d’un hospice (Old Folks Home). Un double fonds de réserve, dont les revenus respectifs annuels sont de $25,000 et de $22,000, doit défrayer les dépenses d’entretien et les salaires de cette institution. Les domestiques de Mrs. Ganong se partagent $27,000.
L’industrie de famille fondée en 1873 par M. Ganong passe aux mains de ses neveux et de ses nièces qui en continuent l’exploitation.
Madame Ganong a distribué le quart des actions ordinaires à tous les employés de sa firme qui occupaient les emplois les plus importants (positions). Elle donna $15,000 en argent à tous les autres ouvriers qui comptaient plus de deux ans de service chez Ganong Brothers. Au-delà de trois cents personnes bénéficièrent de cette allocation. Le testament stipulait qu’un montant d: $7,000 serait versé au Chipman Mémorial Hospital de St. Stephen, pour l’hospitalisation des ouvriers indigents, actuels ou anciens.
The Union Street Baptist Church reçoit en fidéicommis $15,000. The Robinson Mémorial, construit aux frais de Mrs. Ganong et de son frère, M. Robinson, est gratifié de $2,500. Un montant de $5,000 est affecté à la construction d’une chapelle mortuaire. Noms et chiffres sont parfois éloquents.
Voici :
New Brunswick Protestant Orphan’s Home, à St-Jean – $2,500
Inter-Provincial Home for Women, à Coververdale, N.B – $2,500
University of New Brunswick – $5,000
The Y’s of St. Stephen – $1,000
Women’s Christian Tempérance Union – $ 500
Salvation Army of St. Stephen (Pour la guignolée de Noël) – $500
To the War Vétérans Association of St. Stephen. N.B – $500
To the Girl Guides, Company No. 1 – $ 500
To the First St. Stephen Troop of Boy Scouts – $ 500
To the Red Cross Society of St. Stephen – $ 500
To the trustees of the Baptist Church of Hatfields – $ 500
To the trustees of the Baptist Church of Kiersteadville – $ 500
À des amis personnels – $26,000
Le testament est daté du 25 septembre 1924. Quelques codicilles, ajoutés à des dates postérieures, font voir avec quelle minutie il a été fait. C’est que Madame Ganong s’était habituée de longue date à secourir ses concitoyens.
Ne relève-t-on pas, parmi les bonnes œuvres de ses dix dernières années de vie une souscription de $5,000 en faveur d’Acadia University, de Wolville et une autre de $100,000 pour l’érection d’une école à St. Stephen toujours ? Voilà certes une petite ville fortunée, grâce à la munificence d’une seule personne. N’y aurait-il pas avantage à ce que cette vertu si hautement louée par saint Thomas se développe au même degré chez nos concitoyens?
E. Gagnon, C.S.C.
Paru dans l’Action Universitaire, vol. 2, numéro 2, janvier 2935.

Voir aussi :
- Refuge Meurling
- Ligne du temps : les femmes du Québec dans les années 1930
- Testament de Samuel de Champlain