SUCO : 20 ans
SUCO. Service Universitaire Canadien Outre-mer. Organisme de coopération et de solidarité internationale. 1961-1981.
20 ans. À témoigner la solidarité. À l’Afrique. À l’Amérique latine. Trois mille deux cents francophones. Des noms prestigieux qui y ont été associés. Le journaliste Jean Pelletier, le scientiste Fernand Seguin, les administrateurs André Mailhot, Jean-Claude Desmarais, Paul-André Boisclair, des universitaires comme Lionel Lemay, Pierre Meunier. D’autres. Des diplômés de l’Université de Montréal. Des hommes et des femmes qui ont choisi d’œuvrer sur place. Sur le terrain. À ras de sol. Près des problèmes et des gens. Lucien Éthier, médecine 1979 (Guinée-Bissau); Sylvie Charron, sciences nutritives appliquées 1977 (Rwanda); Jacques Phaneuf, histoire 1972 (Nissa Mozambique); Pierre Richard, sociologie 1972 (Pérou); Renée Pelletier, médecine 1978 (Guinée-Bissau). Et la liste pourrait s’allonger. Les diplômés ont toujours été présents à SUCO dans le passé. De quelle façon ? Le sont-ils encore aujourd’hui? Quels types d’hommes ou de femmes acceptent encore de se porter volontaires? Pour y faire et y découvrir quoi? Pour répondre à ces questions, nous avons rencontré Marie-Claire Laforce, coordonnatrice du service du financement des programmes à SUCO. Pierre Véronneau (démographie 1979) chargé de programmes à SUCO, André Mailhot (droit) directeur général de SUCO de 1968 à 1973, Louis-Henri De Lorimier, étudiant en sciences politiques et Guy Lafrenière, deux volontaires outre-mer.
Dans ses premières années d’existence l’aide de SUCO à l’étranger se fait par le biais du monde médical et surtout par celui de l’enseignement. Son éventuelle clientèle se trouvait à l’Université, dans ses Écoles normales affiliées, dans les différents Collèges classiques qui dispensaient le baccalauréat es arts. Il était donc normal et logique que SUCO s’intéresse à l’Université. Et l’Université s’est intéressée à lui. En lui ouvrant ses portes. En le parrainant En acceptant sa publicité. En en faisant pour lui à l’occasion. SUCO en affiches. SUCO en conférence midi. SUCO sur les lèvres d’étudiants promoteurs.
SUCO qui a même son pied à terre permanent dans les murs de l’Université. Le message est entendu. Et bien compris. Et bien accepté. La réponse ne se fait pas attendre. On est à peine sorti du cours classique; c’est tout juste si on a fini ses lettres, si on a franchi les portes de l’École normale.
L’Afrique a crié à l’aide. SUCO a offert le sien. De jeunes diplômés s’en sont faits l’écho. Comment rester insensibles à l’appel de peuples encore à essayer de satisfaire des besoins essentiels? Apprendre à lire. À écrire. À compter. Qu’importe l’inconnu et l’inexpérience.
On a 20 ans. Ou moins. Un diplôme tout neuf sous le bras. La tête à l’aventure et à la nouveauté. L’enthousiasme et la générosité à la pointe du cœur. On se porte volontaire pour deux ans.
Le nouvel apport des diplômés
«L’Afrique et l’Amérique du Sud, dit Pierre Véronneau. Requièrent maintenant notre aide dans le domaine de la technique, de l’organisation, de la formation. Ces peuples ont maintenant besoin qu’on les aide à prendre conscience des ressources qu’ils ont pour les utiliser à meilleur escient possible. Ils réclament des ouvriers, des techniciens, des animateurs».
Comme ils ont besoin plus que jamais de médecins, d’ingénieurs, d’andrologues. Mais pas de la même façon. Non seulement a-t-on besoin de diplômés qui ont des qualifications universitaires mais plus encore des diplômés qui exercent leur métier depuis un certain temps.
Des gens qui ont de l’expérience. Des professionnels qui ont confronté la théorie à la réalité et qui ont su l’adapter. C’est ainsi que l’âge des «répondants» à SUCO a changé. Si autour des années 60 à 70. l’âge de recrutement se situait à 20 ans, aujourd’hui ce sont surtout des gens de 30 ans qui acceptent l’invitation. De jeunes diplômés… d’expérience.»
Mais comment un jeune professionnel peut-il laisser un travail rémunérateur, une position qui est en train de s’établir, une carrière souvent prometteuse, un monde matériel et culturel sécurisant? À moins justement que celui qui offre ses services à SUCO soit l’individu qui se cherche un job! Qui n’a rien à perdre. Personne à laisser et à retrouver.
Ou qui est mal dans sa peau et que SUCO lui en offre une de rechange. «On s’intéresse au travail outre-mer pour toutes sortes de raisons qui varient souvent d’un individu à l’autre. Il reste que des raisons sont plus «valables», plus convaincantes que d’autres. Celui qui ne recherche que ses intérêts, qui ne cherche qu’une fuite à ses réalités, à un intérieur trouble et insupportable n’est pas un bon candidat.
Comme il faut se méfier des illuminés qui ont découvert la vérité et qui désirent la porter aux cœurs et aux esprits supposément assoiffées de la connaître. Le bon candidat, enchaîne André Mailhot, c’est celui qui, dans la coopération outremer, ne cherche pas ses intérêts mais y trouve quand même un grand intérêt. Ce n’est pas une punition que l’individu s’inflige. Il faut qu’il y trouve une gratification. Il faut s’engager par goût».
Par goût de partir, d’enchaîner Louis-Henri De Lorimier. Par goût de voyager. Par goût de connaître d’autres mondes. Par la volonté, d’ajouter Guy Lafrenière, de se nourrir l’intérieur d’une autre façon. Par le désir de trouver un monde moins matérialisé, moins tourbillonnant, moins «productif-à-tout- prix». Et pourquoi pas, de conclure Marie-Claire Laforce, par l’altruisme, par désir d’aider.
Et voilà les premières motivations. Et quelles sont les autres critères qui permettent de choisir sans trop se tromper? «Des gens, dit André Mailhot, capables de s’intégrer facilement, qui ne «paniquent » pas devant la nouveauté et l’inconnu, des gens qui ne craignent pas de se remettre en question, des gens capables d’inventer, capables d’observer, de se taire, d’écouter.
Être patients, humbles. C’est souvent tentant de donner des solutions toutes faites. Ce serait une grave erreur. On a besoin de gens qui font découvrir. Des pédagogues. Des animateurs. Des individus capables d’aimer. D’aimer beaucoup. D’aimer des gens comme ils sont».
Mais ce sont des êtres exceptionnels que vous requérez. De saints hommes. Et Pierre Véronneau d’éclate de rire. « Pas des saints. Mais sûrement des êtres engagés. Des hommes et des femmes équilibrés. »
Mais comment savoir que les candidats ont ces qualités. «En observant leur passé. En les regardant vivre dans leur milieu. La personne inconsciente du problème de son milieu, incapable de s’y impliquer ne le fera pas davantage outremer.
L’égoïste ne devient pas altruiste parce qu’il change de décor. Ni le pessimiste, optimiste, ni le tiède, chaleureux. C’est ainsi que nos meilleurs candidats sont souvent des gens qui œuvrent dans les syndicats, dans les CLSC, dans les comités de citoyens.
Des gens habitués à se remettre en question, à conscience sociale, à partager des idées, à s’impliquer dans leur milieu, à aider les démunis.» Et l’argent dans tout cela? On entend souvent dire que les engagements outremer sont l’occasion de s’enrichir.
De se payer de beaux voyages aux «frais de la princesse». De se garnir un bon compte de banque pour le retour. «SUCO, de rétorquer Marie-Claire Laforce, ne peut se permettre d’enrichir les gens. Il n’en a pas les moyens. Et ce n’est pas non plus son objectif. Le volontaire SUCO n’aura jamais à l’étranger le salaire qu’il aurait ici. Qu’il soit médecin, agronome, ingénieur.
Des frais de voyages et de soins médicaux, des frais de compensation au retour. Et un salaire convenable sur place qui permet de vivre décemment en étant un peu plus à l’aise que les autochtones.
C’est tout. On ne vit pas dans une case, d’illustrer Louis- Henri De Lorimier. Ni dans une maison spacieuse. On vit dans une maison confortable.
Viser l’autonomie
Le rôle de SUCO, c’est d’aider. Et le processus est bien particulier. Au départ, ce n’est pas SUCO qui décide qui il va aider. Ni les gouvernements d’ici. Ni ceux de là-bas. On n’impose pas l’aide aux populations. Il est primordial d’attendre l’appel de la population. C’est elle qui connaît ses besoins.
Partir de la base. C’est un premier principe qu’il faut à tout prix respecter. Deuxième principe, aussi important que le premier : amener la population à se prendre en mains. À trouver chez elle des moyens pour régler ses problèmes, pour combler ses besoins, pour assurer son développement.
L’aide de SUCO, c’est de rendre la population autonome. Le rôle de SUCO, c’est d’amener la population à être capable après un certain temps de se passer de SUCO.
Objectif grandiose. Est-il réalisable? Est-il réalisé? «Il faut y arriver le plus souvent possible, dit Pierre Véronneau, sinon SUCO n’a plus sa raison d’être. Nous y arrivons. Avec des échecs. Avec des succès. Avec plus de réussites que d’échecs. Les budgets de SUCO sont modestes. Ainsi, s’il veut atteindre ses objectifs, doit-il s’attaquer à de petits projets. Nous avons pu réaliser des projets encourageants.
Simples, sans éclat, sans déplacement coûteux de matériel extérieur. Comme ce médecin, ajoute Louis-Henn, qui avait fait venir 10 microscopes et qui avait initié des infirmiers du village à s’en servir pour détecter des infections de la peau. Par la suite, ceux-ci avaient pu plus facilement faire de la médecine préventive auprès de la population. Comme cette expérience en pharmacopée qui a permis de taire des recherches auprès des guérisseurs locaux, quant au pouvoir curatif des plantes qu’ils utilisaient.
Il s’en est suivi une utilisation plus rationnelle et plus efficace de l’environnement. Et que dire, souligne Pierre Véronneau, de ce projet de culture maraîchère au Rwanda. Certains avaient essayé d’initier la population «à coups de tracteurs»; on ne réussissait pas. Ce n’était pas adapté au terrain, ni aux mentalités. Un agronome de SUCO travaille à proposer aux gens la culture par attelage. Il n’y a ni chevaux, ni bœufs. Mais il y a des buffles. On peut atteler des buffles.
La population est davantage susceptible d’accepter ce procédé. Elle devrait s’y sentir plus à l’aise. Elle fonctionnera à son rythme, à sa mesure.
Les résultats sont moins spectaculaires, moins rapides mais plus à la portée des gens et davantage appropriés au rythme des individus, et moins bouleversant sur le plan social.» Cette expérience d’une nutritionniste qui dispense sa science à un groupe d’autochtones en leur démontrant comment certaines maladies de la population pourraient être évitées par le rejet de certains aliments, par l’adoption d’autres. Par la suite, c’étaient ces mêmes autochtones qui se chargeaient d’éduquer la population avec un langage, un style, une mentalité qu’elle comprenait. Et on pourrait multiplier les exemples d’expériences semblables où des volontaires SUCO arrivent avec patience, persévérance, sans imposer des idées ou des systèmes, sans bousculer les traditions, à faire prendre conscience à la population de tous les moyens humains et matériels dont elle dispose pour se prendre en main.
Comme cette école dont une population de la Guinée-Bissau avait besoin. L’ingénieur SUCO et des ouvriers spécialisés ont initié des autochtones à la menuiserie, à la plomberie, à la maçonnerie.
On a fait l’inventaire des produits qu’on pouvait trouver. Les gens de la place ont pu construire leur école à un prix tellement moindre que s’ils avaient eu à importer matériaux et main-d’œuvre.
L’expérience des uns et des autres
On s’expatrie. On part pour deux ans outremer. On prend un certain temps pour s’adapter à notre nouvelle vie. On y réussit. On passe deux ans, souvent trois. Parfois quatre. Et voilà qu’on revient à l’ancienne «civilisation». On revient comment ? Enrichi ? Appauvri ?
«Parfois, dit Pierre Véronneau, certaines gens reviennent déçues. Déçues de ne pas avoir réalisé les objectifs visés. Certains reviennent épuisés, malades. Mais ce sont vraiment des exceptions. La plupart reviennent satisfaits, plusieurs avec le goût de repartir. D’ailleurs beaucoup ne se contentent pas d’un stage de deux ans. Ils s’engagent pour un an ou deux de plus». «Moi, reprend Louis-Henri De Lorimier. J’y ai redécouvert le temps. Le temps qui passe lentement, qu’on a le temps de voir. J’ai apprécié cette vie toute lente, sans être bousculé par des échéanciers. Le temps aussi de découvrir une vie intérieure que je ne soupçonnais même pas. Le plaisir de découvrir une nouvelle culture, d’autres mœurs. Le plaisir bien humain d’apprendre. Et quand je fais le bilan, je me demande si je n’ai pas reçu plus que je n’ai donné. Pourtant, j’étais parti pour donner.» «Moi, d’enchaîner Guy Lafrenière, j’ai découvert la chaleur humaine comme jamais ailleurs dans ma vie. Des gens chaleureux, qui rient facilement, des gens qui apprécient. Des hommes et des femmes qui n’ont pas perdu leur naïveté d’enfants, encore capables de s’ébahir. Le plaisir du travail. N’importe quel jour, n’importe quelle heure. Sans penser au repos.
Et qui vient alors qu’on ne l’attend pas. Du plaisir à faire plaisir. À découvrir qu’on est utile. De la confiance qui s’installe. En soi. Dans les autres. De la solidarité qu’on redécouvre. De la gâterie matérielle qu’on n’a pas et dont on se surprend à se passer si facilement.
Claude Lamarche, Les Diplômés, no 335, sept.-oct. 1981.
(Claude Lamarche a été animateur des activités socioculturelles et sportives au Collège des Eudistes. On a fort remarqué sa présence lors du dernier marathon international de Montréal).
À lire aussi :
