La difficile fabrication du nouvel atlas géographique québécois
Dès 1965, des études demandaient que le nombre des villes sur le territoire québécois soit réduit. Ce dont les opposants à la réforme en cours ne veulent surtout pas tenir compte. Petit rappel des grandes dates de l’histoire récente de la vie municipale québécoise.
Annonce des luttes à venir. (Par Éric Desroisiers, Le Devoir).
Selon certains observateurs, la réforme du monde municipal, mise en branle par la ministre Louise Harel, se révélera la plus grande aventure dans laquelle le gouvernement du Parti québécois se sera embarqué durant les dernières années. Ils en veulent pour preuve l’ampleur des changements proposés, leur rapidité, mais aussi et surtout la résistance qu’ils étaient susceptibles de rencontrer.
Le déclenchement d’une réforme politique s’avère une décision difficile à prendre, expliquait récemment Louis Bernard, mandarin bien connu de la scène politique québécoise, qui a été mandataire du gouvernement dans la cadre de la réorganisation municipale à Montréal. La ministre concernée sait quelle demandera temps, efforts et sacrifices de sa part et de son ministère. Elle exigera qu’il convainque les autres membres du cabinet de la nécessité d’y consacrer des ressources financières et du capital politique, avant d’essayer de convaincre la population en général.
«Au moment d’élaborer son projet de réforme en 1999, raconte Louis Bernard, Louise Harel a décidé de deux choses: elle voulait une réforme générale, et elle voulait que cela se fasse vite.» De plus, ajoute-t-il, deux objectifs devaient guider sa démarche: renforcer les zones urbaines et les municipalités régionales de comté (MRC), ainsi que réduire le nombre de municipalités.
Ces deux projets n’étaient pas le résultat d’un quelconque éclair de génie, dit Fernand Martin, directeur des politiques au ministère des Affaires municipales et de la Métropole (MAMM). Ils trainaient depuis longtemps dans les cartons du gouvernement.
Depuis les années 60
Déjà en 1965, la Commission Bélanger constatait l’irrationalité de l’organisation politique locale et la mauvaise utilisation des services et équipements municipaux. Sa principale recommandation était le regroupement des municipalités. Cinq ans plus tard, le ministre Lussier recommandait la création de nouvelles communautés urbaines et régionales ainsi que l’établissement de municipalités d’au moins 8000 habitants.
En 1973, on déposait à Montréal le Rapport Hanigan qui pressait le gouvernement de réduire le nombre de municipalités de Île de 29 à 19. Vingt ans plus tard, le Rapport Bichette recommandait la création d’un nouveau conseil dont la juridiction s’étendrait à l’ensemble du territoire métropolitain et invitait le milieu à se donner deux ans pour faire des propositions de regroupement de municipalités. Et on en passe, et des meilleures.
«Chacun de ses rapports a été rédigé par les meilleurs spécialistes du temps, dit Fernand Martin. Ils ont été commandés presque chaque fois par des gouvernements en fin de mandat ou des ministres qui furent par la suite écartés. Ils sont tous restés sur les tablettes. »
Puis vint la mondialisation. Dans le numéro du mois de mars de la revue bimestrielle du MAMM Municipalité, Louise Harel explique que sa bataille contre la fragmentation municipale est «essentiellement une question de survie sur le plan économique.»
En trente ans, les quelques mesures incitatives adoptées par les gouvernements n’ont contribué qu’à réduire le nombre total de municipalités de 1600 à 1300. «La fragmentation du territoire, dit-elle, comporte plusieurs désavantages, notamment l’absence d’une vision d’ensemble, une déficience dans la coordination des décisions, une concurrence locale stérile et nuisible sur le plan international, sans parler d’une iniquité sur le plan fiscal entre les citoyennes et les citoyens.»
Aussi a-t-elle déposé, en avril de l’an dernier, un livre blanc sur la réorganisation municipale. En juin, on sanctionnait déjà la loi 124, visant à clarifier et favoriser le processus de regroupement de municipalités, ainsi que la loi 134 créant la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM). Des mandataires sont dépêchés durant l’été auprès des élus municipaux des zones urbaines de Montréal, Québec, Hull-Gatineau, Longueuil et Lévis. Leurs rapports sont déposés au début de l’automne. On en tient plus ou moins compte dans la rédaction du fameux projet de loi 170, qui est adopté le 20 décembre et qui annonce la création de cinq nouvelles villes pour le 1er janvier 2002. Des comités de transition y sont instaurés. Leur tâche consistera notamment à préciser le partage des responsabilités entre le pouvoir central et les arrondissements, préparer le premier budget des nouvelles villes, assurer une intégration des unités d’accréditation syndicale et organiser l’élection des premiers conseils municipaux le 4 novembre 2001.
Résistances
La loi 170 provoque les remous que l’on sait. En fait, seuls les maires des villes-centres sont satisfaits. On a beau avoir prévu des arrondissements dans toutes les nouvelles villes (à l’exception de celle de Hull-Gatineau), dont les limites correspondent grosso modo à celles des anciennes municipalités, et qui conserveront certains pouvoirs de gestion sur les services de proximité, rien n’y fait. Les opposants y voient tout de même la disparition de villes à échelle humaine, dont la diversité faisait leur richesse et leur dynamisme. Dans les sondages, la réforme est rejetée par la majorité des gens. Moins forte dans les villes-centres comme Montréal, la proportion de mécontents est écrasante dans les municipalités de banlieue.
Le gouvernement peut bien s’être formellement engagé à ce que les taux de taxe foncière n’augmentent jamais plus que de 5 % par année durant les dix prochaines années, les rumeurs de déficits records courent II est vrai que l’exemple de Toronto, et son déficit de 300 millions cette année, inquiète. Bien forcées de reconnaître la détermination du gouvernement à aller de l’avant coûte que coûte avec sa réforme, 19 municipalités, dont 18 de l’Île de Montréal, se sont tournés vers les tribunaux. Elles plaident leur cause depuis la semaine dernière devant la Cour supérieure.
Une décision devrait être rendue avant la fin du mois de juin. Et ça continue Toute cette contestation n’arrête pas la ministre Harel. Les nouvelles villes de Saguenay, Sherbrooke et Trois-Rivières verront le jour le 1er janvier 2002.
Des regroupements, souvent volontaires, sont également prévus à Saint-Jean-sur-Richelieu, Alma, Rimouski, Dolbeau-Mistassini et Lachute. Viendront ensuite le tour de Saint-Jérôme, Matane, Saint Hyacinthe, Rouyn-Noranda, Shawinigan, Thetford Mines, Valleyfield, Magog, Baie-Comeau, la Tuque, Granby, Victoriaville, Juliette, Sept-Îles, Rivières-du-Loup, Sorel, Drummondville…
Comme il a été dit plus tôt. la réforme cherche à réduire le nombre de municipalités par des regroupements, mais elle vise aussi à renforcer les instances décisionnelles supramunicipales. À Montréal et Québec, cela s’est incarné par la création de communautés métropolitaines où sont représentés les municipalités de la grande agglomération urbaine.
Leur fonction sera notamment de prendre en charge le financement de certains équipements communs, d’établir un schéma d’aménagement, de se pencher sur la question du transport et de fixer des règles environnementales.
Dans le cas, à l’opposé, des 50 MRC rurales, qui ne représentent que 15 % de la population du Québec, mais 85 % de son territoire, la ministre propose, dans son projet de loi 29 déposé le 15 mai, que leur soient accordées des compétences additionnelles en matière de gestion des cours d’eau, d’évaluation foncière et de création de parcs. Elles pourront également, si elles le désirent, demander que leur préfet soit élu au suffrage universel. Des solutions «à la pièce» sont prévues pour les MRC à caractère mixte où cohabitent des agglomérations urbaines et le monde rural. En fait, dit la ministre Harel, «l’approche privilégiée par le gouvernement est celle du sur « mesure » et non celle du mur à mur.» Cette réforme sera complétée à pareille date l’an prochain, affirme-t-elle.
Que disait Ixiuis Bernard, déjà, à propos du type de réforme que la ministre avait résolu de faire en 1999? Ah oui, «une réforme générale, qui se fosse vite.»
(Ce texte a été publié le 27 mai 2001).
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