
Reagan à Québec
Rencontre familiale à saveur irlandaise
Il était écrit dans le ciel que ce sommet allait être aussi cordial que possible. On devinait que les échanges à saveur politique allaient baigner dans une ambiance de réunion de famille – la grande famille irlandaise et une certaine parente idéologique – avec juste ce qu,il faut de familiarité à l’américaine pour mettre à l’aise un homme puissant qui aime néanmoins afficher ses côtés bon papa.
En descendant d’avion, Ronald Reagan annonçait ses couleurs dans le sens littéral du terme : son complet s’ouvrait sur une cravate d’un vert… disons, inoubliable.
Après que le premier ministre du Canada, Brian Mulroney, eut évoqué l’ascendance celtique des deux chefs d’État, le président des États-Unis dérogeait du texte préparé pour la circonstance et ajoutait : « Ma véritable contribution à la célébration de la Saint-Patrick, je vais la faire ce soir, au dîner. Je vais penser à la majorité parlementaire du premier ministre, et je vais devenir vert d’envie! »
Brian Mulroney jubilait. Le ton de la visite était donné.
Le soir, au Grand Théâtre, il y a bien quelques numéros qui sont tombés un peu à plat. Il n’est pas certain que Ronald Reagan sache exactement pourquoi le maire Jean Drapeau est si exquisément drôle, ou puisse être conquis par l’art un peu hermétique de Michel Lemieux. Mais le pub irlandais à tout racheté, le président è marché dans le punch final dont la teneur n »tait plus, depuis longtemps, qu’un secret de polichinelle. Et il a chanté, avec le premier ministre, « When Irish Eyes are Smiling… »
Après quelques poignées de main distribuées dans le lobby du Grand Théâtre, le président des États-Unis se retirait dans sa suite du Château Frontenac, au cœur d’un quartier bouché par les forces de sécurité, dans la vieille ville encore plus calme qu’à l’ordinaire.
En somme, tout sera allé très vite et très bien.
À commencer par cet accord sur la nomination de mandataires chargés d’approfondir le problème des pluies acides, que MM. Reagan et Mulroney ont annoncé 45 minutes après s’être retirés pour bavarder dans un salon du Château Frontenac.
Pendant la cérémonie d’accueil à l’aéroport de Sainte-Foy, on devinait aussi la mécanique bien huilée mise au point par les professionnels de ces rencontres aux plus hauts échelons, les gens de la sécurité, du protocole, de la logistique, des communications, des bureaux politiques.
De loin, de l’autre côté d’une clôture métallique et d’un rang de policiers, quelques citoyens du secteur consentaient à geler dur pour apercevoir pendant un instant l’appareil Air Force One s’immobiliser près du hangar du gouvernement du Québec : puis, pour contempler un instant le président et Nancy Reagan, pilotés par le couple Mulroney, arpenter un interminable tapis rouge pour s’engouffrer dans l’édifice où attendaient la fanfare, la garde d’honneur et la chèvre du 22e Régiment.
Ronald Reagan et son épouse ont instantanément charmé un public, il est vrai, conquis à l’avance, un public où abondaient les militants conservateurs. Autant le président est droit et sévère lorsque résonne l’hymne national, autant il paraît détendu lorsqu’il murmure quelques mots à l’oreille de son épouse, à la faveur du brouhaha de la mise en place.
Quelques minutes de protocole et de discours, un léger flottement lorsque tout le monde est monté à bord des limousines, des véhicules de sécurité, des minibus. El le cortège s’ébranlait, rapide, interminable (plus d’une trentaine de véhicules), roulant sur les voies fermées à la circulation, devant quelques curieux ni exagérément enthousiastes, ni hostiles, simplement fascinés par le spectacle.
Rien d’aura gâché la première journée de Ronald Reagan à Québec, pas même les bannières des militants du Front du peuple et du Parti communiste du Canada (marxiste-léniniste) inévitablement postés devant le Château Frontenac. Le président n’en a rien vu, puisque sa limousine a pénétré dans la cour intérieure de l’hôtel par une autre voie, et il n’est pas certain qu’il ait entendu les slogans hostiles, pourtant lancés haut et fort par la troupe de protestataires.
Ce matin, la meute de journalistes et de techniciens des médias – il y en a près d’un millier – va abandonner pour quelques minutes les deux chefs d’État à leurs préoccupations, pour s’intéresser aux pérégrinations de Nancy Reagan et Mila Mulroney dans le Vieux-Québec. À l’ombre des vieux murs « qui nous rappellent que les Canadiens et Américains ont depuis longtemps mis de côté leurs différences pour devenir des amis », disait le président en touchant le sol de Québec.
(Cela se passait le 18 mars 1985)

Gala Reagan-Mulroney au Grand Théâtre de Québec en 1985. Lors de cette soirée mémorable, Les Sortilèges ont exécuté la pièce conçue par Brian Macdonald : Irish Pub/Le pub irlandais. Source de la photo : sortileges.aminus3.com
Voir aussi :
- Château Frontenac
- Petit tour dans le Vieux-Québec
- Brian Mulroney veut promouvoir l’égalité des femmes
- Clean Air Act
- Tournée d’adieux de Mulroney
- Brian Mulroney poursuit Ottawa
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