Chahut à l’ouverture de la Place des Arts
Après des années de difficultés et des mois de querelles, la Place des Arts a été inaugurée samedi soir (21 septembre 1963) mais non sans malaise. Pendant qu’à l’intérieur de la Place, près de 3 000 personnes contemplaient le luxueux édifice et attendaient nerveusement dans les halls le début du concert, à l’extérieur la révolte grondait.
Peu s’en fallut que la manifestation de protestation qui a marqué l’ouverture officielle de la Place des Arts ne dégénérât en effet en une véritable échauffourée digne de l’émeute de 1955 occasionnée par la suspension de Maurice Richard.
La plupart des invités étaient arrivés par le garage, et non par l’allée centrale de la rue Sainte Catherine où une garde d’honneur de 120 PP (Police Provinciale, ancien nom de la Sûreté du Québec) les attendaient au garde-à-vous, et ne s’étaient pas rendu compte que plus de 400 manifestants, auxquels s’étaient joints presque autant de badauds, étaient aux prises avec 250 policiers de Montréal qui avaient reçu l’ordre de réprimer toute manifestation.
La police attendait de pied ferme les 400 jeunes manifestants du RIN, du PRQ et du CVN qui avaient décidé, au nom de la nationalisation de la Place des Arts et de l’indépendance du Québec, de parader – drapeaux fleurdelisés et pancartes en tête – devant l’entrée principale de cette salle de concert au moment de son ouverture officielle.
En dix minutes, tout était fini. Douze policiers à cheval, 15 motocyclettes et une centaine d’agents à pied avaient foncé à toute vapeur sur la colonne des manifestants dès leur apparition au coin des rues Ste-Catherine et St-Urbain, vers 8 h. Pancartes déchirées, drapeaux arrachés, les manifestants étaient repousses vers le terrain de stationnement, de l’autre côté de la rue Sainte-Catherine, et dispersés au milieu d’un va-et-vient effarant de motos pétaradant et de chevaux lancés au galop.
Le bilan de cette partie de la soirée: 19 arrestations – au moins – et quelques blessés tant chez les policiers que chez les manifestants. Une femme aurait subi la ruade d’un cheval. Les personnes arrêtées, dont les organisateurs du PRQ, M. Yvan Piché, seront accusés d’avoir troublé la paix.
Place des Arts…
Pendant que, rue Ste-Catherine, on s’époumonnait à chanter le «Ah, ça ira, ça ira, ça ira», dans la grande salle de concert, on entonnait nos hymnes nationaux «O Canada» et «God Save the Queen». Dans la Place, très peu d’invités étaient au courant de ce qui se passait dehors. Au reste, les policiers de faction à l’intérieur de la Place défendaient à quiconque de parler de la manifestation du RIN, du PRQ et du CVN. Quand un reporter a voulu se rendre du côté des manifestants, on lui a ordonné de ne plus revenir si c’était pour raconter ce qui se passait dehors.
Texte, paru le 22 septembre 1963 dans la Presse.
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