Loterie au Québec

Billets de loterie : Pourquoi pas ?

Par Émile Bruchesi

Les sweepstakes passent un mauvais quart d’heure. Rien de nouveau ni d’étonnant. Le Procureur général de la P r o v i n ce vient de rappeler qu’il fera respecter, sans merci, la loi fédérale d’après laquelle la loterie est une offense punissable d’une amende de $2,000 au maximum, et même d’emprisonnement qui peut aller jusqu’à deux ans. Et le sort veut que ce soit encore l’Université qu’on vise.

M. Taschereau pourrait ajouter qu’il y a déjà assez de taxes sur les épaules du contribuable, sans qu’il faille tolérer celle qu’un économiste ironique a qualifiée de « taxe sur les imbéciles »; la seule, cependant, dont personne ne se plaigne, sauf, bien entendu, certains moralistes qui vont répétant la phrase fameuse de Franklin aux ouvriers :

« Tout homme qui vous dira que l’on peut acquérir la fortune autrement que par le travail et l’économie est un empoisonneur. » Ces moralistes, comme le fait remarquer LeRoy Beaulieu, « oublient que le travail et l’économie, et même le talent, ne sont pas les seuls facteurs des fortunes individuelles : il y a un autre élément dont la part est très grande, c’est le bonheur, en d’autres termes, le hasard ».

Donc, la loterie n’a pas de statut légal en notre pays d’après notre code criminel, article 236. Celui qui vend les billets, nous l’avons vu, s’expose à deux ans de prison et à $2,000 d’amende, et celui qui les achète, détail à retenir, à une simple amende de  $20.00 en plus de la confiscation de son gain au profit de l’État qui, depuis l’amendement de 1934, s’est substitué au dénonciateur.

Mais le même article 236 de notre Code criminel, dans son sous paragraphe 6, fait exception pour les bons, obligations ou autres valeurs rachetables par tirage au sort et remboursables avec intérêt en plus d’une prime.

Il s’agit évidemment ici des obligations qui ont cours en notre pays et qui sont émises par certaines compagnies, comme Dominion Textile, Canadian Cotton, Nova Scotia Tram and Power, et grand nombre d’autres. Ces compagnies rachètent annuellement un certain nombre de leurs titres par tirage, avec prime fixe variant de 1 p. c. à 10 p. c. Il n’est rien, à mon sens, dans le Code qui fixe le maximum de la prime qui s’ajoutera au capital de l’obligation ainsi rachetée.

En d’autres termes, c’est le même système que celui qui est employé par le Crédit Foncier de France et par la Ville de Paris. Ce genre d’obligations emprunte, il est vrai, à Ia loterie le mode de remboursement, qui attribue cet avantage d’une prime variable à ceux dont les titres sont remboursés d ms l’ordre indique par un tirage au sort.

Il ne faut pas oublier que ces obligations portent toutes intérêt, et que, sans exception, le capital est remboursable dans sa totalité. La seule variante consiste dans le taux d’intérêt qui, évidemment, sera moindre, car il faut pourvoir à un fonds d’amortissement.

Rien, en apparence, n’empêche l’Université de Montréal dont les finances sont très malades, mais qui possède des biens se chiffrant à plusieurs millions, d’émettre un emprunt remboursable par lots, et comportant un très bas taux d’intérêt. Il faut, dit-on, $2,500,000 pour compléter les immeubles universitaires. Qu’on lance un emprunt de ce genre pour $5,000,000, avec coupures de S5 à $10 portant intérêt à 3 p. c. rachetables par tirage annuel avec primes de $50 à $50,000, et il y a fort à parier que l’émission sera vite placée. Il faudrait évidemment pourvoir à l’intérêt et à l’amortissement. C’est le gros obstacle, mais l’Université pourrait avantageusement employer le résidu du capital non utilisé et s’en servir pour faire un placement profitable à un taux d’intérêt plus élevé que celui qu’il faudra verser.

Il se trouvera encore des moralistes pour critiquer amèrement cette méthode de prélèvement de fonds, même pour une œuvre comme celle de l’Université. Que ceux-là se rappellent qu’à Paris, le Couvent des Religieuses Bénédictines de la Présentation, l’Église Saint-Sulpice et l’Hôpital des Enfants Trouvés, pour n’en nommer que quelques-uns, furent construits avec le produit des grandes loteries alors en vogue.

Mais, il faut l’avouer, ce mode d’emprunt n’est pas à l’abri de toute critique. En 1924, certaines obligations de la Ville de Paris, comportant remboursement par tirage au sort avec lots, furent vendues par un courtier à un citoyen de la Province d’Alberta, et cette vente eut un écho devant les tribunaux de cette Province. Le courtier, Henley, dut s’expliquer devant le juge en chef Harvey; car on lui fit un procès en vertu de l’article 236 de notre Code Criminel prohibant les loteries. Le tribunal, après hésitation, conclut à la culpabilité du courtier; mais, dans ses notes, le juge ne put s’empêcher de souligner que la caractéristique principale de l’obligation de la Ville de Paris comportait promesse de rembourser un certain capital avec son intérêt. La date du remboursement ainsi que la prime étaient laissées au hasard, il est vrai, mais ceci ne devait être considéré que comme un accessoire. Toutefois, dans le doute, le président du tribunal, contrairement à la coutume, n’en fit pas bénéficier l’accusé. Il ajouta dans ses remarques qu’il trouvait l’accusé coupable, afin que la cause fût portée devant un tribunal d’appel qui pourrait trancher en dernier ressort. Toutefois, il n’apparaît point qu’aucun tribunal d’appel ait jamais été invité à définir le caractère des obligations de la Ville de Paris.

Il resta aux autorités de l’Université de Montréal à juger de l’opportunité d’un emprunt de ce genre, que rien, dans nos lois actuelles, ne prohibe formellement.

L`Action universitaire – vol. 1, no 2, janvier 1935.

Association des diplômés de l’Université de Montréal.

loterie nationale
Les clients aux guichets de la loterie de Secours d’hiver, dans les années 1940, en Belgique. Photographie de l’époque.

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