Lettres au Devoir sur l’aide canadienne à l’Haïti, sur les écoles secondaires, sur les services postaux…
Ces lettres témoignent de sujets importants qui étaient au centre de l’attention du public en 1982. Elles ont été publiées le 27 mars 1982. Remarquez au fait qu’aujourd’hui, près d’un demi-siècle plus tard, la société se préoccupe des mêmes questions :
L’aide canadienne à l’Haïti
En lecteur assidu du DEVOIR, j’aimerais vous signaler une erreur incroyable relevée dans l’article de David Lord, en page 2, édition du 12 mars courant (1982). On y lit, en effet: «Depuis 1973, date à laquelle le Canada avait conclu un accord bilatéral d’aide avec l’ex-président François Duvalier (père de Jean-Claude)…»… Même Papa Doc, mort en 1971 ne peut signer un accord deux ans après sa mort. Mais j’attire votre attention là-dessus surtout parce que cela permet de souligner une des conditions de l’aide canadienne à Haïti.
Dans un dossier de l’ACDI non daté qui nous a été remis en décembre 1980, on lit ceci: «Depuis le début des années 70, après la venue au pouvoir de Jean-Claude Duvalier…, les donateurs ont développé des programmes de coopération avec Haïti en se fiant sur le nouveau climat de détente instauré dans ce pays… Le Canada pour sa part signa en 1973 un Accord général de coopération bilatérale avec Haïti. Le programme de coopération d’alors visait a accorder un appui direct au plan de développement du pays… » (c’est moi qui souligne).
On pourrait en dire long. Mais, fort brièvement, on comprendra que le gouvernement canadien, si soucieux du respect des droits de l’homme en Pologne, a reçu sans broncher la gifle administrée à un de ses représentants en novembre 1979, le rappel à l’ordre de son délégué par le ministre Berrouet un an plus tard, après le coup de force du 28 novembre 1980 contre toute forme de liberté de parole. (Le brave délégué ne venait d’ailleurs pas de blâmer cet acte anti-démocratique; il croyait pouvoir faire de vagues remarques sur le respect des droits auquel serait sensible le public canadien). On comprendra le silence qui a suivi l’ignoble procès en moins de 20 heures de 22 prisonniers politiques condamnés à 15 ans de travaux forcés.
Il a fallu que la corruption prenne des proportions telles, au DRIPP, que cela aurait commencé à avoir des répercussions publiques plus criantes au Canada pour qu’on cesse d’alimenter des pillards au nom de l’aide aux plus pauvres. Le Canada, comme d’autres, avait décrété que le régime de Duvalier-fils était acceptable: il avait créé un «nouveau climat de détente».
Bien sûr. Car, après avoir massacré, expulsé, on croyait avoir étouffé toute forme de vie démocratique; la dictature pouvait se «détendre». Jusqu’au jour où on s’est aperçu que des incorrigibles osaient encore parler. L’assassinat du journaliste Gasner Raymond n’ayant pas suffi à faire taire des gens qui n’attaquaient même pas la présidence-à-vie, mais parlaient des problèmes du pays, se croyant alors «indépendants» mais non «opposants»… il a fallu prendre les grands moyens de répression dictatoriale.
Mais il faudra sans doute que des «terroristes» — car ceux qui tuent officiellement ne sont pas des terroristes; ceux qui ont récemment assassiné sans autre forme de procès trois «envahisseurs» non armés, ne sont pas des terroristes — il faudra donc que de vrais terroristes, c’est-à-dire les désespérés de la liberté, fassent couler le sang à flot en Haïti pour que des pays démocratiques comme le Canada, leur recommandent de déposer les armes et suggèrent au dictateur d’organiser une petite élection avec l’aide de quelques conseillers militaires américains (qui ne sont jamais étrangers nulle art; ce n’est que la présence des Cubains qui pourrait constituer une ingérence), et de quelques hélicoptères anticommunistes.
En terminant je voudrais encore faire deux remarques. La première, c’est qu’il est inexact de dire qu’on a «dépensé $8.2 millions à Haïti en 1981». On doit parler des sommes «affectées» au programme Haïti dont une bonne partie, sans doute la majeure partie, sert à payer des Canadiens et des entreprises canadiennes comme la firme Lavalin mentionnée dans l’article.
Ma seconde remarque est une note de félicitations adressée au journaliste Jean-Claude Leclerc pour ses éditoriaux en matière internationale, mais aussi pour l’appui à la lutte en faveur de Victor Regalado.
Ernst Verdieu, Montréal, 15 mars 1982.
Posté aux États-Unis
(Lettre adressée d M. André Ouellet, ministre de la Consommation et ministre responsable de la société des postes.)
Veuillez trouver sous ce pli 13 cents en timbres comme remboursement aux Postes.
En route pour la Californie, j’avais oublié de glisser dans une boîte une lettre que j ai dû poster à Los Angeles, privant ainsi le Canada de la somme de $0.13 étant donné que j’aurais dû apposer un timbre de 30 cents sur l’enveloppe.
J’ai envoyé la lettre en l’affranchissant d’un timbre de 18 cents comme l’exige le Bureau des Postes des USA, soit 30 cents moins 17 qui égale 13, montant de mon remboursement. Quant au cent (.01) supplémentaire que j’ai dû payer aux USA, je veux bien l’oublier.
Souhaitons vivement que ma démarche ne soit pas imitée par des expéditeurs de circulaires qui, pour économiser 12 cents par envoi, pourraient bien à la faveur au week-end aller à Plattsburgh, Burlington et autres villes de la frontière utiliser la poste américaine plutôt que celle de notre cher pays et priver ainsi ce dernier de revenus auxquels il a droit.
Permettez-moi, cher monsieur Ouellet, de profiter de l’occasion pour vous féliciter de tout coeur de vos déclarations intelligentes durant la grève postale et aussi de votre attitude si judicieuse dans l’affaire de la mousse d’urée formaldéhyde. Malgré tous les agitateurs qui cherchent à déstabiliser notre société, vous avez eu, comme d’habitude, raison sur toute la ligne et le gouvernement est chanceux de pouvoir compter sur la sagesse d’un ministre comme vous.
Janvier April. Montréal, 15 mars 1982.
Je me compare et je me console
Comme tant d’autres je me désole de la médiocrité qui régnerait, selon les rapports, dans nos écoles secondaires. Puis je lis le discours navrant du président sortant de l’American Association for the Advancement of Science (Science, vol. 215, p. 1035, 26 février, 1982).
Un tiers seulement des high schools, américains offrent plus d’un an d’options mathématiques ou sciences. (Ne pas oublier que le secondaire aux E.U. se termine après la douzième année).
Plus de la moitié des diplômés ont fait tout au plus un an biologie, et aucune autre science.
Seulement 105,000 étudiants (l’équivalent de 3000 au Québec) font actuellement du calcul différentiel, à comparer à des millions dans d’autres pays. Les pénuries d’équipements ont fait diminuer de moitié les périodes de laboratoire, par rapport a 1970.
Seulement 75% des étudiants obtiennent leur diplôme; dans certaines régions le pourcentage tombe à 55.
20’% des «diplômés» sont à toutes fins utiles des illettrés.
Parmi notre classe favorisée il est courant de s’en remettre à l’école privée pour l’instruction de notre future «élite». Mais ils sont nombreux maintenant aux E.U. à penser qu’une partie du succès de leurs concurrents du Japon et d’Europe tient à la qualité supérieure de leur main-d oeuvre. Et chez nous, l’indifférence de notre classe dirigeante à l’égard de l’éducation de la masse n’est-elle pas pour quelque chose dans le médiocre contenu technologique de notre industrie? (Bien sûr, il y a d’heureuses exceptions.)
Bernard Terreault. Montréal, 22 mars 1982.
Voir aussi :
- Chronique de Carole (Le Soleil, 1958)
- Ligne du temps, le Québec en 1882
- Ligne du temps, le Québec en 1982
- Mars au Québec, ligne du temps
- Communistes, adversaires de la défense nationale
- Le Québec, effondrement ou reprise ?
