Le courrier de Colette

Notre histoire: Le courrier de Colette (extraits, La Presse, 21 janvier 1943)

(On est prié:

  • De ne formuler qu’une seule demande à la fois.
  • De ne demander aucune adresse commerciale, les annonces y pourvoyant.
  • De donner son adresse quand on demande à échanger recettes, chansons ou enseignements.
  • De ne poser autant que possible que des questions d’intérêt général.
  • D’être patient enfin parce qu’aucune lettre ne peut recevoir de réponse dans la semaine de l’être écrite. Le courrier est pour cela trop volumineux).

L’amour est peut-être une folie, mais on ne s’en guérit pas facilement à vingt ans.

Question: – Mes parents voudraient me voir épouser un jeune homme qui a de l’argent et qui n’est pas un mauvais diable, mais que je n’aime pas du tout. Je ne l’aime pas parce que mon cœur appartient à un autre. Celui-ci est pauvre, il ne sera pas prêt à se marier avant quelques années, car il est encore étudiant. Mais nous sommes jeunes tous deux et nous pouvons attendre. Cependant, je dois dire que je n’a reçu de lui aucune promesse et qu’il n’a jamais abordé avec moi la question du mariage. Je le rencontre chez une amie, et nous allons ensemble au cinéma ou au restaurant. Il n’oserait sans doute se présenter à la maison, connaissent la sévérité de mes parents. Ces derniers sont pauvres après avoir connu le richesse, ils pensent que le bonheur est dans l’argent et que l’amour est une folie. Comment les convaincre que ce mariage ferait mon malheur. Conseillez-moi?

(Signé: Gisèle).

Réponse: – On ne vous mariera pas malgré vous. Refusez tout simplement ; il n’est pas nécessaire que l’on comprenne vos raisons.

Il se peut que l’amour soit une folie, comme le pensent vos parents, mais c’est une folie dont on ne se guérit guère lorsque l’on a vingt ans. Or, pour se marier à cet âge, il importe d’être atteint de cette divine folie et je suis bien sûre, quoi qu’ils en disent, que vos parents, dont leur temps, ont été fous comme vous l’êtes aujourd’hui. Seulement, ils ne s’en souviennent pus.

Que l’on soit pauvre ou riche, c’est, à vingt ans, l’amour qui fait passer le mariage, même si des malins prétendent que le mariage ne tarde pas à faire passer l’amour. La vraie folie serait de se marier pour échapper à la pauvreté.

Il me serait impossible de vous conseiller l’adhésion au vœu de vos parents ; je pense, cependant, qu’il est regrettable pour vous que les choses soient ce qu’elles sont. Car, il est bien à craindre que votre roman ne se termine pas comme vous le souhaitez.

Vous agiriez sagement en faisant port à votre jeune ami de la demande en mariage que vous avez reçue. Il s’effacerait, peut-être, mais non sans vous communiquer ses intentions, s’il en entretient à votre sujet. Vous pourriez alors vous expliquer, et si vous jugiez que l’attente doit être inutile, interrompre une idylle qui ne mène à rien. D’un outre côté, vous pourriez obtenir un délai de votre prétendant sérieux et qui soit si le cœur ne finirait pas pour s’accorder avec la raison? On se trompe si souvent sur ses sentiments.

Le mariage est l’acte le plus grave de la vie. Il est entendu que, cet acte, on l’accomplit au début de sa jeunesse, c’est-à-dire quand on n’a encore que peu d’expérience. Pour qu’il apporte le bonheur qu’on en attend, il faut, au moins, prendre le temps d’y réfléchir.

Réfléchisses, demandez du temps, ne restez pas dans le doute, quand vous pouvez atteindre à la certitude. C’est ainsi que vous vous éviterez des regrets.

(Colette).

Question : – Durant le deuil, peut-on porter une bague avec pierre noire?

(Signé: Anxieuse de savoir).

Réponse: – Oui.

Question: – Nous avons fait des arrangements après notre mariage, laissant au dernier vivant els biens. Mon mari vient de donner à un de ses enfants mariés, une propriété et il en a d’autres qu’il prétend laisser à chacun des autres enfants à sa mort. Et moi, il me recommandera aux enfants, tout simplement. Après des années d’un parfait accord, voilà comment je me vois frustrée. Mon mari a-t-il ce droit?

(Signé: France Bien Aimée).

Réponse : – Quant au droit, je n’ai pas qualité pour vous renseigner, il faudra vous adresser à votre notaire. Mais je vous recommande d’insister auprès de votre mari pour qu’il ne vous laisse pas, après sa mort à la charge de vos enfants. C’est un mauvais arrangement. Les enfants, quelque bien disposés soient-ils, ont à combler avec le mari ou la femme et avec leurs propres enfants et la pauvre mère a presque toujours des injustices à subir quand ce ne sont pas des mauvais traitements. Votre mari, s’il a des la droiture et du sens commun, comprendra qu’il est juste et sage d’assurer pour les jours quand il n’y sera plus, une vie indépendante à la compagne de ses bons et de ses mauvais jours.

Question : – J’ai une amie à qui j’ai laissé entendre que je l’épouserais. J’ai modifié ma vie en vue de ce projet, mais elle, que je croyais douce, soumis et délicate, voilà qu’elle se montre coléreuse, autoritaire, qu’elle ne me laisse pas le temps de m’expliquer s’il survient un différend entre nous et, de plus, qu’elle est jalouse au point qu’elle me refuse, en société, le droit de parler à d’autres jeunes filles. Cependant, dès que je parle de me retirer, elle en fait une crise à se rendre malade. J’ai trente-cinq ans, elle a quelques années de moins. Un bon conseil, s’il vous plaît?

(Signé: Perplexe).

Réponse : – Vous n’êtes pas obligé de vous marier contre votre gré, mais si vous ne désirez plus ce mariage, qui, entre parenthèse, ne semble pas devoir promettre plus de déboires qu’autre chose, la justice et la loyauté vous commandent de brusquer la rupture. Plus vous tergiverserez, plus la chose deviendra difficile et plus la jeune personne s’attachera à vous.

Question : – Un veuf, père de famille, m’a courtisée quelque temps, et nous avons rompu les relations, parce que je me suis aperçue de ses défauts. Depuis lors, il est venu trois fois s’échouer chez moi, parfaitement ivre et ne sachant ce qu’il faisait. Ses enfants, le voyant ensuite arriver dans cet état, pensèrent qu’il avait bu chez moi, ce qui me cause un tort que je n’ai pas mérité. Ferais-je bien, si la chose arrive encore de le faire reconduire par la police?

(Signé : Passe Modèle).

Réponse : Ce serait une mesure un peu radicale. Vous pourriez simplement prier quelqu’un des vôtres de lui prêter son bras, ou encore appeler un taxi, ou enfin, ce qui serait le plus simple, lui fermer votre porte.

Pour compléter la lecture :

Biographie de Colette Lepagehttps://grandquebec.com/gens-du-pays/biographie-colette-lesage/

Chaque lettre a une odeur, chaque verbe, un parfum. Chaque mot diffuse dans la mémoire un lieu et ses effluves (Philippe Claudel). Photo de GrandQuebec.com.
Chaque lettre a une odeur, chaque verbe, un parfum. Chaque mot diffuse dans la mémoire un lieu et ses effluves (Philippe Claudel). Photo de GrandQuebec.com.

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