Billard : Dion remporte la queue d’or (Nouvelles pas fraîches)
Joseph Dion est, en 1866, un billardiste qui s’est fait connaître, à Montréal surtout, par ses innombrables défis lancés à tous les joueurs qui se targuaient d’avoir quelque talent. À tous les coups, jouant à l’américaine, c’est-à-dire en utilisant quatre blouses et quatre billes, provoquant des carambolages sur le tapis vert et tirant profit des bandes qui lui retournent ses billes, Dion surclasse ses concurrents.
À Montréal, on sait qu’il est de l’espèce des champions mais on se demande jusqu’à quel point sa manie de défier les uns et les autres ne touche pas la « jactance ». En 1866, notre billardiste national, ce virtuose de la bille et de la queue, prend la décision de participer au tournoi américain de billard, créé à New York par un champion incontesté : Michael Phelan. Cette homme a donné ses lettres de noblesse au billard américain, ajoutant aux écoles française et anglaise, l’école américaine. Partout, on se passionne pour ce jeu qui réclame des aptitudes physiques et scientifiques, de la stratégie et de l’adresse.
En septembre 1865, le New Yorkais John Deery avait l’honneur de posséder la quelque d’or d’une valeur de 250$ que Dion voulait lui arracher. Ce trophée a « cinq pieds et demi de longueur et se compose de trois pièces, de trois sortes de bois, chêne, noyer noir et érable. La poignée est en or massif ». Dion ayant lancé son défi, la traditionnelle partie de 1500 points débute à vingt heures précises, au « Couper Institute » de New York. Un Canadien présent à la rencontre décrit les deux antagonistes : «John Deery, quoique fort jeune, possède un superbe physique et ses fréquentes joutes en public lui avaient inspiré l’aplomb d’un vétéran au feu. »
« Joseph Dion, bien cambré, pas trop petit pour avoir à s’élever jusqu’aux rebords, pas trop grand pour se casser la poitrine en se courbant sur le jeu, n’était guère connu ici que par la réputation qu’il s’était acquise à Montreal. » Une partie de 1500 points pouvant durer de quatre à cinq heures, ceux qui y participent doivent faire montre d’une résistance exceptionnelle et d’une égale patience. Le public, nombreux, observe le jeu des deux hommes : « Le côté fort de Deery consiste dans une opération fort en vogue qu’on appelle « nursing », c’est-à-dire, si je la comprends bien, à frapper les billes de façon à les grouper, à les serrer dans quelque coin; là le joueur se borne à faire rouler mollement sa bille dans ce cercle restreint.
Ce n’est pas très brillant, mais c’est assez sûr. » Quant aux « carambolages de Dion qui faisait voler sa bille hardie », ils lui procurent l’avance qu’il recherchait et qui devient évidente à la neuvième centaine. C’est alors que certains « mauvais sujets’ animés d’un chauvinisme brutal, et furieux de voir les chances de leurs paris frappées mortellement à la tête, commencèrent un branle-bas qui dura jusqu’à l’arrivée de la police. S’ils avaient l’intention d’intimider le Canadien, ils se sont trompés de tactique. Bien que, avec les précautions prises à l’avance par le directeur de l’affaire, il n’y eut pas de danger à appréhender, néanmoins le courage calme de notre compatriote qui ne s’est trahi que par une émotion peu visible, lui fait plus d’honneur que son incontestable habilité au billard. »
Le calme revenu, Dion, fidèle à son style, continua d’accumuler les points et, à une heure « précise du matin, le préposé au comptage annonça que Joseph Dion venait d’atteindre les 1500 points voulus et qu’il avait battu son adversaire de 134 points. L’arbitre le proclama alors le champion de l’Amérique et lui remit la queue d’or, gage de sa vaillance. »
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