Un désastre national qui cependant n’abat pas le courage des autorités universitaires
L’immeuble de notre grande maison d’enseignement supérieur, rue Saint-Denis, est la proie des flammes samedi soir et les dommages se chiffrent à plusieurs centaines de mille dollars. La brigade entière des pompiers est appelée. Un travail des plus rudes à exécuter pour combattre le feu.
L’Université de Montréal vient de subir des pertes pratiquement irréparables par l’incendie désastreux qui, samedi soir (le 22 novembre 1919), a causé des dégâts matériels évalués à $250000 ou $300000 (l’université n’était assurée que pour une somme de $150000, nous apprenait LA PRESSE du même jour) au superbe édifice et ameublement que cette institution purement canadienne-française possède, rue Saint-Denis, près Sainte-Catherine. Bien des choses précieuses ont été épargnées par les flammes mais, combien d’autres ont été détruites ou sérieusement endommagées par le feu, l’eau et la fumée, qui ne sauraient être remplacées à prix d’argent. C’est une perte quasi nationale que notre province vient de subir et il faudra bien des années pour arriver à remplacer tous les travaux de maîtres qui ont été détruits en quelques heures, dans les deux étages supérieurs de l’édifice.
Cet incendie a été l’un des plus menaçants que l’on ait eus, dans la métropole canadienne, depuis bien des années. Découvertes malheureusement trop tard, les flammes perçaient déjà la couverture, à l’extrémité est de l’aile sud, lorsque la première alarme fut sonnée.
Danger imminent
Le vent soufflait en tempête et poussait les flammes vers le nord-est de l’université où se trouve l’église de Notre-Dame de Lourdes, l’église Saint-Jacques, deux ou trois institutions religieuses et nombre de magasins qui se trouvaient ainsi menacés. Des pièces de bois enflammées, poussées par le vent, pouvaient à tout instant retomber sur l’un de ces édifices et y allumer un nouvel incendie; en somme, tout ce quartier important était menacé de destruction. Le chef de la brigade des incendies n’hésita pas le moindrement, et coup sur coup il donna le troisième appel et l’alarme générale, appelant sur les lieux toutes les casernes, sauf celles des quartiers excentriques.
Dès le tout début, le chef-adjoint Saint-Pierre avait pris sous sa charge la rude tâche de protéger les édifices voisins. Plusieurs équipes d’hommes furent chargées d’arroser les toits et d’établir un voile d’eau, que les flammés ne pourraient franchir, autour de l’église Notre-Dame de Lourdes, qui se trouvait la plus rapprochée de l’université.
Cause du sinistre
Jusqu’ici, il a été impossible de s’assurer de la cause exacte de l’incendie, bien que, généralement on semble porté à croire que ce sont des fils électriques défectueux. Les pompiers affirment que c’est dans l’aile sud, en arrière, que l’incendie s’est déclaré. La rapidité avec laquelle les flammes se sont propagées, partout, à l’étage supérieur s’explique par l’explosion qui s’est produite, dès le début, dans le laboratoire de chimie, situé dans l’aile sud.
Le travail des pompiers a été entravé sérieusement, dès le début. Il a fallu couper tout un réseau de fils électriques, en avant, puis la tour d’eau, la tourette et les pompes siamoises ne pouvaient être installées assez près de l’édifice, à cause de la construction particulière de l’entrée principale.
En premier lieu, on avait dressé une couple d’échelles sur la grande galerie en avant, mais, après l’explosion du laboratoire de chimie, les pompiers reçurent l’ordre de ne plus s’y hasarder et ces échelles y furent brûlées. De cet endroit, on pouvait facilement, avec les jets d’eau, atteindre le foyer principal, mais, ce fut encore là une chance enlevée à nos braves pompiers.
Première alerte
Suivant la version de M. W. Caron, concierge et gardien de nuit de l’édifice, c’est en terminant sa tournée d’inspection de 9 heures qu’il découvrit les flammes. Il arrivait au quatrième lorsqu’il vit des étincelles tomber dans le puits de l’ascenseur. Il grimpa rapidement l’escalier conduisant à l’étage supérieur et vit tomber l’ascenseur C’est alors qu’il courut donner l’alarme.
Immédiatement après avoir sonné l’alarme, M. Caron courut prévenir un certain nombre d’étudiants qui étaient occupés à compter les bulletins d’élection de la faculté de médecine qui avait eu lieu au cours de la journée. Ce fut un sauve qui peut général et plusieurs durent abandonner leurs chapeaux et autres effets.
Au rez-de-chaussée et au premier étage, quelques étudiants et professeurs parvinrent a sauver quelques-uns des objets les plus précieux consistant en peintures, photographies et autres articles qu’il aurait été impossible de remplacer.
L’édifice détruit
La construction de l’université avait été commencée en 1880, peu de temps après que le terrain fut donné par les Sulpiciens; elle fut terminée en 1895, alors que les différentes facultés qui, jusqu’alors avaient été séparées, furent amalgamées. La corporation des médecins et chirurgiens obtint sa charte en 1845 et les premiers cours universitaires furent donnés à l’angle des rues Craig et Saint-Urbain, à l’endroit maintenant occupé par la Montréal Light, Heat and Power. Plus tard, à la suite d’un incendie, l’école fut transportée rue La Gauchetière, puis rue Saint-Antoine. En 1873, les cours furent donnés dans l’édifice en face de l’Hôtel-Dieu, avenue des Pins; en 1891, au Château de Ramesay, et enfin, dans l’ancienne Cour du recorder, sur la Place Jacques-Cartier, jusqu’en 1895. alors que le présent édifice fut terminé.
La séparation avec l’Université Laval de Québec ne fut obtenue qu’au mois de mai dernier, alors que Sa Grandeur Mgr Bruchési, après maintes démarches fit directement appel au pape. À Montréal, la nouvelle fut annoncée le 9 mai par Mgr Gauthier.

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