Guy Favreau démissionne
Le ministre de la Justice Goy Favreau vient de remettre sa démission au premier ministre Lester B. Pearson – Le juge Dorion est bien convaincu que Me Denis a bien offert les $20,000
Ottawa – Le dévoilement du contenu du rapport Dorion, le 29 juin 1965, sur l’affaire Rivard, a sérieusement ébranlé l’administration libérale et forcé le premier ministre à accepter la démission de M. Guy Favreau du poste de ministre de la Justice.
Face aux regards inquisiteurs de l’opposition, M. Lester B. Pearson a réaffirmé sa foi absolue en l’intégrité et l’honnêteté du député de Papineau et déclaré qu’il lui confiera sous peu un autre portefeuille.
Ce sont les critiques du rôle de M. Favreau contenues dans le rapport Dorion, qui ont entraîné cette suite d’événements inattendus. Le juge soutient que le ministre de la Justice aurait dû, avant de prendre la décision de ne pas porter d’accusations contre Me Raymond Denis, soumettre d’abord le dossier aux conseillers juridiques de son ministère.
Aujourd’hui, le commissaire croit qu’une preuve « prima facie » (à première vue) a été établie devant lui selon laquelle Me Raymond Denis, alors chef de cabinet du ministre de l’Immigration, a offert un pot-de-vin de $20,000 à Me Pierre Lamontagne pour que ce dernier ne s’oppose pas à la libération sous caution du présumé trafiquant de drogues Lucien Rivard.
Par ailleurs, le juge estime que le ministre de la Justice était « justifiable », en septembre dernier, de croire qu’une plainte portée contre Me Denis serait difficilement prouvée devant les tribunaux.
La RCMP est critiquée
Dans ce rapport lourd de conséquences politiques et juridiques, la conduite de la RCMP n’échappe pas aux critiques du juge Frédéric Dorion. Ce dernier blâme la « force » tout au long du document et parle des « graves conséquences » que peu vent entraîner certains de ces actes.
Le ministre, dit le juge, n’avait certes pas une connaissance suffisante du dossier pour prendre la décision qui s’imposait mais cependant « était sous l’impression que les officiers de la RCMP lui avaient exposé tous les faits pertinents à l’affaire ».
Peu après sept heures hier soir, M. Pearson a déclaré que le gouvernement a demandé au sous-ministre de la Justice d’étudier le cas de Me Raymond Denis pour déterminer si l’on doit ou non porter une plainte devant les tribunaux. Le premier ministre a promis de prendre « toutes les mesures qui s’imposeront dans les autres cas ».
La démission dramatique du ministre de la Justice a presque éclipsé le rôle de premier plan du député de Dollard, M. Guy Rouleau, que le juge critique très sévèrement dans son rapport.
L’ex-secrétaire parlementaire du premier ministre a tenté, dit le juge, d’utiliser l’influence que lui procurait sa fonction pour tenter d’obtenir l’admission à caution de Lucien Rivard.
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L’intervention de M. Rouleau constitue certainement un acte répréhensible, affirme le commissaire. Mais ne contient pas les éléments nécessaires à la perpétration d’une infraction criminelle.
Dans son rapport, le juge Dorion tient à souligner que la conduite de l’autre ministre dont le nom a été mêlé à l’affaire, soit M. René Tremblay, alors ministre de l’Immigration et patron de M. Denis, « a été absolument irréprochable ».
Les épithètes que le juge ajoute aux noms de Robert Gignac, Eddy Lechasseur et de Mme Lucien Rivard n’ont rien d’élogieux mais sont éloquents. Le témoignage de l’épouse du célèbre évadé « est un tissu de mensonges ». Ainsi que les deux autres se sont parjurés à maintes reprises.
Le juge affirme également que Guy Masson, l’entremetteur libéral, et Raymond Denis ont tous deux menti. On sait que Guy Masson a déclaré à l’enquête avoir dit à son ami Raymond Denis que $50,000 à $60,000 étaient disponibles pour la caisse du parti libéral. Bien plus, Masson a, de son propre aveu, offert ces derniers au trésorier du parti. Notamment au sénateur Louis-P. Gélinas, qui a cependant refusé de le rencontrer.
Moins de trente-six heures avant l’ajournement de la session, ce rapport tant attendu a quand même eu l’effet d’une bombe. M. Guy Favreau était des plus confiants avant sa publication, mais hier après-midi, quelques minutes après que M. Pearson l’eût rendu public, il s’est précipité dans le bureau du premier ministre, une lettre de démission à la main. C’est là que M. Pearson l’a convaincu d’accepter un autre poste au sein du gouvernement.
(C’est arrivé le 29 juin 1965).
