La guerre aux rats
On découvre un vrai ratapoils en plein centre de Montréal. – Un groupe de chiens ratiers a commencé la lutte
Guerre aux rats : Le rat, le fléau des grandes villes, est instrument de vengeance divine à ce que prétendaient les païens, cet ennemi redoutable de l’hygiène et de la santé publique, ce fléau des basses-cours le désespoir des ménagères, et le cauchemar des agriculteurs, menacerait-il, par hasard, d’envahir tous nos grands établissements?
On dit que ce rongeur est le produit de l’invasion des barbares, et que, par le nombre de variété de rats dans un pays, on peut compter les couches de barbares qui se sont superposées. À ce compte-là, le Canada a dû être, à une époque indéterminé, habité par des infinités de hordes sauvages, surtout, s’il faut en juger par le nombre et les variétés de rats qui, tous les soirs, pullulent et grouillent sur le parquet de certains de nos grands entrepôts de viandes.
C’est ainsi que La Presse, dans son édition du 18 décembre 1903 commence un article que le quotidien consacre à la lutte contre c détestable et dégoûtant rongeur qu’est le rat. Et n’eût été du fait qu’il s’agit d’une bête repoussante, on serait porté à apprécier le texte à cause de la qualité des images projetées par la plume de l’auteur.
L’article traitait de la méthode utilisée la veille, pour éliminer les rats qui avaient envahi le marché Bonsecours. Pour ce faire, on avait décidé de recourir à une meute de ratiers, ces chiens spécialisés dans la chasse aux rats. Retournons au texte de l’article:
Hier soir (17 décembre 1903), une quinzaine de chiens bas sur pattes, de toutes races, couleurs et descriptions, arrivaient sur le coup de neuf heures, accompagnés de leurs maîtres.
Les chiens rentrent en scène
Un coup discret à la porte, et le gardien laisse entrer les conspirateurs. Pour attirer l’ennemi on avait eu la précaution de lui offrir des présents sous formes d’appâts appétissants.
Un grand silence se fit : les lumières furent éteintes. À la clarté des lumières électriques du dehors, tout le monde fut témoin du spectacle qui avait étonné le gardien quelques jours auparavant. Les rats venaient de tous côtés. Dans l’obscurité, on voyait briller leurs yeux. C’était une étrange scène. Si cette horde de rongeurs se fut tout à coup jetée sur le petit groupe d’hommes blottis dans un coin de l’escalier, il serait curieux de savoir ce qui en aurait résulté.
Au signal donné : la guerre aux rats
À un signal donné, les lumières électriques inondèrent de leurs foyers la vaste pièce. Les chiens, en sentant leurs ennemis, s’élancèrent dans le tas avec une ardeur incroyable. Ce fut un désastre terrible pour les rongeurs. En moins de cinq minutes, 60 carcasses jonchaient le champ de bataille. Un rat mordit un des ratiers au nez. Il lâcha un cri de douleur et d’un bond il se planta devant le trou où les fuyards se dirigeaient pour opérer leur retraite, puis, pour mieux animer et prolonger le carnage, il saisissait les rôdeurs par la nuque et les lançait prestement au milieu de la pièce afin de donner une meilleure bouchée à ses frères d’armes.
Le combat est court
Le combat, quoique de courte durée, fut dès plus animés. Les témoins déclarent qu’ils n’ont jamais vu de pareille scène.
Plus tard, dans le soirée, un excellent tireur de la ville eut l’idée d’aller pratiquer le tir à la carabine sur les repoussants quadrupèdes. La fusillade s’anima et. On a compté donc de nombreuses victimes. Un constable qui passait entendit la détonation. Il crut que les pillards attaquaient le gardien à main armée et entra pour perquisitionner. Il resta lui-même étonné de voir un tel amoncellement de cadavres de rats.
La hiérarchie chez les rats
Le professeur Didier Desor, chercheur du laboratoire de biologie comportementale de la faculté de Nancy, a voulu comprendre l’aptitude des rats à la natation. Six d’entre eux ont donc été rassemblés dans une cage dont l’unique issue débouchait sur une piscine qu’il leur fallait traverser en nageant pour accéder à une mangeoire contenant des croquettes.
Il est vite apparu que les rats ne s’élançaient pas de concert à la recherche de leur nourriture et que, au contraire, tout se passait comme s’ils s’étaient distribué des rôles précis entre eux.
Il y avait deux « nageurs exploités », deux « non-nageurs exploiteurs », un « nageur autonome » et un « non-nageur souffre-douleur ».
* Guerre aux rats
Les deux exploités plongeaient sous l’eau pour aller chercher la nourriture. À leur retour dans la cage, les deux exploiteurs les frappaient jusqu’à ce qu’ils abandonnent leur pitance; une fois repus, ils acceptaient toutefois de leur laisser les restes. Les exploiteurs ne nageaient jamais, se contenant de terroriser les nageurs afin de se rassasier.
L’autonome était un nageur assez robuste, capable de rapporter son repas et franchir la barrière des exploiteurs pour se nourrir de son propre labeur.
Le souffre-douleur, enfin, était à la fois incapable de nager et d’effrayer les exploités, alors il ramassait les miettes tombées. La même répartition – deux exploiteurs, deux exploités, un autonome, un souffre-douleur – se renferma dans les vingt cages où l’expérience fut reproduite.
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Pour mieux comprendre ce mécanisme de hiérarchisation, Didier Desor plaça six exploiteurs ensemble. Ils se battirent toute la nuit. Au matin, ils avaient recréé entre eux la même réparation des rôles.
Il obtint encore le même résultat en réunissant six exploités dans une même cage, six autonomes, ou six souffre-douleur. Ainsi, quels que soient les individus, ils finissaient toujours par se répartir les mêmes rôles. L’expérience fut conduite dans une cage plus vaste contenant deux cents individus. Les rats se battirent toute la nuit. Au matin, on retrouva trois rats tués, que les autres avaient de surcroît dépecés.
Moralité : plus la population s’accroît, plus la cruauté envers les souffre-douleur augmente. Dans le même temps, les exploiteurs de la grande cage avaient désigné un super-exploiteur servi par des lieutenants qui se chargeaient de répercuter sont autorités sans même qu’il ait besoin d’agir.
Les chercheurs de Nancy prolongèrent l’expérience en analysant par la suite les cerveaux de leurs cobayes. Ils constatèrent que les plus stressés n’étaient pas les souffre-douleur ou les exploités, mais bien au contraire… les exploiteurs. Ils craignaient en effet sans doute de perdre leur statut privilégié et d’être contraints un jour de devoir aller chercher eux-mêmes leur nourriture.