Des nouvelles pas fraîches

La grève des tramways

La grève des tramways

La grève des tramways est déclarée

6 février 1903. Montréal, ce matin, dès les premiers rayons du jour, avait l’aspect d’une cité des morts. Le son du gong des Tramways auquel nos oreilles sont si habituées ne se faisait plus entendre, on ne voyait plus de loin en loin les lumières mouvantes sur les rails, on n’apercevait plus les étincelles bleuâtres se détacher des fils électriques avec un bruit ses de craquement, enfin on ne voyait plus les gens attendant avec impatience aux coins des rues pour savoir combien la voiture espérée était en retard.

C’était la grève des p’tits chars qui venait d’être déclarée.

Jamais une grève n’a suscité autant d’intérêt dans toute la population de la ville de Montréal, puisqu’elle touche de près, chaque citoyen en particulier, depuis le riche actionnaire, qui voit avec désespoir, baisser ses points, jusqu’à la petite ouvrière aux épaules maigrelettes et aux souliers éculés qui est obligée de parcourir trois, quatre et cinq milles à pied pour se rendre à son travail, et revenir, le soir, au foyer.

La déclaration de la grève

Il était minuit : dans l’immense salle du marché Bonsecours avaient retenti des cris d’enthousiasme poussés par dix mille poitrines. La foule mouvante élevait la voix de temps à autre pour protester contre certains actes de la compagnie des tramways et applaudir à certaines périodes que les orateur semblaient prononcer avec plus de pathétique à cause de l’importance des circonstances et la portée des paroles qu’ils prononçaient.

M. John Bumbray, le jeune avocat choisi par le comité pour donner la direction au point de vue légal, avait la parole.

Messieurs, dit-il, le temps est venu d’agir; il faut faire la séparation des boues et des brebis. Que les employés de la Montreal Street Railway Company se place à l’extrémité ouest de la salle; que les amis venus ici pour nous encourager par leur présence et la promesse de leur concours prennent l’extrémité est. Bon, comme cela… dressons mieux la ligne de séparation.

Maintenant, messieurs les employés des chars urbains, conducteurs et garde-moteurs, qui depuis si longtemps courbez les épaules sous la tyrannie d’une compagnie impitoyable, êtes-vous décidées de secouer le joug? – Qui, qui, crient des milliers de voix – Dans ce cas, continue M. Bumbray, que ceux d’entre vous qui sont consentants à se mettre en grève immédiatement, restent là où ils sont, que les autres se retirent dans ce coin là.

Comme démocratie syndicale on aurait pu évidemment souhaiter mieux. Mais il faut comprendre que le syndicalisme en était à ses premiers balbutiements, et que l’Union (comme on disait à l’époque) des employés des tramways risquait d’être mort-née puisqu c’est justement le refus de la compagnie de reconnaître son existence qui se trouvait à la base même du conflit ouvrier.

Dans une déclaration, signée de la main de F. L. Wanklyn, gérant général de la compagnie, cette dernière se défendait de maltraiter ses employés en soulignant que s’était la première fois que surgissait un accrochage entre les deux parties. La compagnie soulignait par exemple qu’en juin 1899, la compagnie augmenta les salaires des conducteurs et des mécaniciens à son emploi depuis deux ans ou plus; tous les employés reçoivent en outre gratuitement une assurance contre la maladie et les accidents; tous les conducteurs et les mécaniciens depuis cinq ans ou plus au service de la compagnie reçoivent gratuitement des uniformes, des casquettes et des pardessus.

En juillet  1902, les salaires des conducteurs et des mécaniciens à l’emploi de la compagnie depuis deux ans et plus furent encore augmentés.

Conséquences de la grève

Au début, ce fut évidemment une surprise, et jamais n’avait-on vu autant de piétons sur les trottoirs, au point qu’on comparait les grandes artères (Sainte-Catherine, Saint-Jacques et Saint-Laurent) au Broadway de New York.

Mais rapidement, profitant du temps doux, les bicyclettes faisaient leur apparition.

L’un de ces bicyclettes qui avait une grande cloche attachée à sa machine, descendait la rue Saint-Denis, vers sept heures. À l’angle de la rue Duluth, il a failli causer une panique en sonnant trop fort sa cloche dont le son ressemblait, à s’y méprendre, à un gong de tramway.

Les cochers de place faisaient des affaires d’or : le public est enchanté du service des cochers de place qui n’ont pas profité de la grève des tramways pour surcharger leurs clients. Ils se sont mis à la disposition du public, et pour n’importe quelle destination, ils n’ont chargé que les taux alloués par leur tarif. Tous les cochers riaient de bon cœur. Tant mieux, il y aura toujours quelqu’un de satisfait.

Et on pourrait en dire des restaurants et des hôtels, dont les propriétaires bénissaient la grève.

Les appuis aux grévistes

Quant aux grévistes, ils avaient la sympathie d’à peu près tout le monde, et plusieurs entreprises le leur ont fait sentir en leur envoyant des présents, cigares, café, sandwiches, « cordiaux » comme on disait pudiquement, etc.

Il faut dire qu’à part quelques accrochages et quelques vitres cassées, à cause de tentatives de sortir des tramways des différents dépôts de la compagnie, la grève se déroulait dans un calme relatif. Mais les hommes du chef de police Legault étaient prêts à intervenir. Ce dernier toutefois refusait de faire des commentaires : Aujourd’hui, dit-il, je n’y suis pour personne.

Même les usagers appuyaient les revendications des employés. Comme le disait l’un d’eux : Si on traitait plus humainement ces pauvres gens et qu’on leur payât un meilleur salaire, ils  ne se seraient pas mis en grève. Sur cent personnes interrogées, une seule n’était pas d’accord avec la grève, jugeant les demandes des grévistes exagérées.

(Cela se passait le 6 février 1903).

Tramway de Montréal

Tramways à Montréal au milieu du 20e siècle, photographie du domaine public.

Pour compléter la lecture :

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *