L’avenir de mille municipalités en jeu
Le président de la Fédération québécoise des municipalités, Michel Belzil, demande un temps d’arrêt avant d’opérer la réforme tous azimuts qui touchera les petites municipalités du territoire
Fusions, création de grands pôles urbains, renforcement des MRC. Le Livre blanc sur la réorganisation municipale de la ministre des Affaires municipales et de la Métropole, Louise Harel, déposé au printemps 2000, plonge les municipalités du Québec au cœur de changements sans précédent. Des changements salués par les uns, décriés par les autres. Engagé dans l’action, le président de la Fédération québécoise des municipalités, Michel Belzil, affirme pour sa part que, si rien est fait pour ralentir la cadence des transformations entreprises, le chantier, si prometteur soit-il, pourrait bien faire de nombreuses victimes.
Fondée en 1944, la Fédération québécoise des municipalités compte dans ses rangs plus de 1000 municipalités. Des municipalités de petite et moyenne tailles représentant, à elles seules, environ 85 % du territoire provincial. Un territoire plus rural qu’urbain, mais où, soutient le président de la Fédération, «bien que moins médiatisées, les transformations entreprises sont toutes aussi réelles».
De fait, si la réforme gouvernementale entreprise a surtout fait parler d’elle pour la création des nouvelles grandes villes, dont Montréal et Québec, elle n’épargne pas pour autant le reste du territoire québécois. Ainsi, de nombreux processus de regroupement ont été amorcés à l’extérieur des grands centres. Que l’on pense seulement à la création, officialisée ou non, des nouvelles agglomérations de Saint-Jean-Iberville, Alma ou Matane.
Pour Michel Belzil, qu’ils soient volontaires ou forcés, ces mouvements de regroupement auront des impacts importants sur la dynamique locale, notamment dans les secteurs où les réalités urbaine et rurale se côtoient.
Traditionnellement, explique-t-il, dans plusieurs des 28 MRC les plus populeuses, en dehors des grands centres urbains, la « ville-centre » a un poids décisionnel plus important,
une sorte de droit de veto au conseil des maires à cause de son poids démographique. En favorisant les regroupements autour des villes les plus importantes, la réorganisation municipale vient accentuer encore davantage ce déséquilibre et risque, à terme, de diviser définitivement l’urbain du rural.»
Une division qui pourrait selon lui, avoir des impacts négatifs considérables, notamment pour le développement des petites localités en marge de la grande ville parce que, soutient-il, «il est facile de croire que les priorités de développement ne sont pas les mêmes pour les municipalités rurales et celles plus urbaines». Poussant plus loin la réflexion, le président de la Fédération affirme même qu’exporter le concept de regroupement des grandes villes dans les régions du Québec revient, ni plus ni moins, à larguer l’arrière-pays et à laisser des régions entières sans outil de développement».
Plus encore, outre la survie des petites localités, le regroupement autour des villes – centre risque également, selon Michel Belzil, de mettre en péril l’existence même des MRC. «Pourquoi, interroge-t-il, des villes qui ont des ressources et une population suffisamment importante pour faire pencher la balance en leur faveur accepteraient-elles de confier à la MRC des responsabilités qu’elles peuvent assumer elles-mêmes, à leur façon. Le déséquilibre présent dans certaines régions crée déjà une difficulté d’évolution de la MRC; les regroupements n’arrangeront certainement pas les choses.
Prendre le temps
Conscient de cette réalité, le ministère des Affaires municipales et de la Métropole annonçait, en avril dernier, la création d’un groupe de travail chargé d’analyser la problématique dans les 28 MRC à caractère mixte (urbain et rural). Présidé par Francine Ruest-Jutras et Roger Nicolet, le groupe s’attardera notamment aux différents problèmes que pose l’organisation municipale à venir et aux nouvelles responsabilités qui pourront incomber aux MRC dans un tel contexte.
Une mesure que la Fédération québécoise des municipalités juge insatisfaisante. C’est que, de l’avis de son président, le mandat du groupe de travail aurait avantage à être élargi. «Le groupe de travail n’évaluera que la question des MRC, la prise de votes, les compétences, etc. Pour arriver à quelque chose de significatif, il faut, selon nous, que le mandat soit aussi large que possible et qu’il permette d’évaluer les dangers des regroupements par rapport au poids d’une ville – centre, les pouvoirs des MRC, le développement régional, etc.»
Au-delà du mandat du groupe de travail, la Fédération en appelle aussi à la cohérence dans les actions gouvernementales et à un ralentissement des activités.
«D’une main on nomme des conciliateurs qui formulent des recommandations de fusion et d’une autre main on met sur pied une commission tenue d’évaluer la dynamique MRC dans 28 agglomérations de recensement qui risquent de causer problème. On veut tellement faire vite que l’on va dans tous les sens. Il faut agir avec prudence et évaluer les impacts qu’auront les décisions que nous allons prendre. Bref, si l’on souhaite trouver une solution équitable pour l’ensemble du Québec, un temps d’arrêt est obligatoire.»
Une mesure qui s’impose aussi, selon lui, quant aux pouvoirs accrus que le récent projet de loi 29 déposé par la ministre Harel prévoit confier aux MRC à caractère rural. C’est que là encore, la Fédération craint que les villes ayant le plus de poids refusent de reconnaître les nouvelles compétences facultatives mises à la disposition des MRC. «Tout est une question de poids politique.
Même si on offrait 50 possibilités de compétences, si la volonté de la ville – centre n’y est pas, rien ne sera possible. À ce point-ci, il faut se demander si les regroupements prévus en valent la peine au point de diviser les communautés.
Dans sept des 16 régions du Québec, les perspectives de décroissance démographiques sont alarmantes. Il faut réagir si on ne veut pas encourager une scission dans des milieux qui au contraire devraient se serrer les coudes et travailler ensemble en pleine complémentarité.»
(Par Guylaine Boucher, article publié dans le journal Le Devoir, le 27 mai 2001).
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