Luttes politiques des temps révolus : Échange violent au Parlement
Le 1er août 1866, le journaliste Elzéar Gérin-Lajoie, rédacteur au journal publié à Ottawa, le Canada, et le député de Drummond et Arthabaska Jean-Baptiste-Éric Dorion, dit l’Enfant Terrible, se rencontrent par hasard dans la bibliothèque du Parlement, à Ottawa. Gérin Lajoie y fait quelque recherche tout en rongeant son frein. Dans un récent numéro du « Défricheur », Dorion l’a injurié en l’attaquant sur sa vie privée. Dorion qui entre dans la silencieuse bibliothèque, sait sans doute à quoi s’attendre.
Son adversaire politique lui offre un siège. Dorion le refuse, préférant les marches d’un escabeau à un siège où Gérin-Lajoie s’était assis. Le jeune journaliste demande à son confrère les raisons d’une telle attitude et la conversation s’anime, se transformant bientôt en combat. Il faut séparer les adversaires, ce qui est aussitôt fait et, quelques minutes plus tard, le député Holton annonce à la Chambre qu’un événement dramatique vient d’avoir lieu. Selon lui, les privilèges de la Chambre avaient été violés au moment même où l’un de ses honorables membres avait été attaqué. Jean-Baptiste-Éric Dorion, invité à décrire l’assaut dont avait été victime, entra alors avec le député Alexandre Dufresne.
Il raconta comment, étant allé à la bibliothèque pour y prendre quelques livres, il avait eu une conversation assez pénible avec l’éditeur du « Canada », conversation qui tourna mal. « Après quelques mots d’explication au sujet de l’article en question, il devint très excité et fit usage d’un langage très injurieux à mon égard… Comme je n’aimais pas à continuer une conversation de cette sorte, je me levai de mon siège pour le quitter, c’est alors qu’il commença à m’attaquer en me frappant à la figure avec sa main fermée. Je me protégeai autant qu’il me fut possible. Il me frappa à plusieurs reprises avec sa main fermée. »
Elzéar Gérin-Lajoie, que la Chambre avait gardé prisonnier jusqu’à ce qu’elle soit prête à l’entendre son « procès », donna une version légèrement différente, plus vivante et, somme toute, plus naturelle. Selon lui, Dorion avait admit l’avoir atteint dans sa vie privée parce que le Canada s’était permis de l’attaquer injustement « pour les actes de sa vie publique ». Gérin Lajoie aurait fait observer à son interlocuteur qu’il n’était pas allé-au delà de l’expression d’une opinion que Dorion lui demanda de rétracter.
Il était dès lors trop tard pour que la conversation conserve un tour léger. Gérin-Lajoie aurait dit qu’il ne regrettait pas une ligne de ce qu’il avait pu écrire, traitant même Dorion de « mouchard ». Il parut frissonner un peu… Je lui fis remarquer d’une manière un peu plus développée combien il était vil d’espionner des adversaires ou de les faire espionner pour rendre publics leurs actes les plus intimes. Je répétait le mot mouchard à plusieurs reprises. L’honorable membre me dit alors, puisque vous voulez me tenir un pareil langage, je me retire. Je repris aussitôt, je vous répète que vous êtes un mouchard et un effronté menteur. L’honorable membre, se tournant vers moi, me frappa à la figure avec un livre qu’il tenait dans sa main. Je frappai à mon tour.
Dorion nia le tout et la Chambre réprimanda Gérin-Lajoie. La Minerve se porta à sa défense : « Voici le sens du jugement de la Chambre : M. Dorion rédige son journal en qualité de membre du Parlement. Le « Défricheur » fait partie de son bagage parlementaire. On est à la veille de le faire imprimer aux frais de la Chambre, parmi les appendices. Quand un homme est membre du Parlement, tout lui est permis, et ses adversaires sont sans protection contre lui. Voilà ce que la Chambre a jugé. »