Terrible accident à la Gare Viger
Le débarcadère, encombré d’une foule joyeuse attendant le départ du convoi de Québec, est violemment soulevé par une explosion de gaz, et une centaine de spectateurs sont projetés dans les airs. Scènes de confusion indescriptibles.
Le 31 décembre 1909, vendredi, soir, quelques minutes avant le départ du train de Québec, une explosion de gaz « Pinscht » se produisit sous le quai de la gare Viger et lança dans les airs une centaine de personnes environ, dont une trentaine en sont sorties plus ou moins éclopées, d’autres ont pu seules regagner leur foyer, bien que souffrant fortement du choc nerveux que leur avait imprimé cette commotion. Pendant une heure, les voitures d’ambulance ont travaillé sans relâche à transporter les 22 blessés dans les différents hôpitaux et plusieurs se sont fait panser par des médecins qui se trouvaient sur le théâtre de l’accident.
Les dommages matériels s’élèvent à peine à quelques centaines de dollars, mais on ne connaîtra jamais peut-être ce que fait perdre à quelques-uns ce pénible accident qui marque si tristement la fin de l’année.
Il était 11 heures 27 minutes vendredi soir. Le train de Québec, bondé de voyageurs, allait partir dans quelques minutes et une centaine de personnes venues reconduire des amis ou des parents qui allaient passer le Jour de l’an dans leurs familles, attendaient son départ sur le quai lorsque, tout à coup, un bruit épouvantable se fit entendre et toute cette foule se trouva dispersée.
Le capitaine Bellefleur, de la police municipale, se trouvait sur le quai de la gare lorsque l’explosion s’est produite. Il dit qu’il ne peut définir la sensation qu’il éprouva et se demanda s’il était bien encore de ce monde. «Je ne suis ordinairement pas peureux, dit-il, et pourtant, je dois avouer que la crainte me retint immobile pendant quelque temps et je ne songeai pas à porter secours à mon ami Dupont que je venais reconduire au train et qui m’avait accompagné chez le barbier de la gare.
On peut s’imaginer l’effet que produirait un tourbillon de vent frappant une foule compacte d’une centaine de personnes et les disperserait comme des grains de poussière; c’est à peu près là ce que ressentirent les victimes de l’explosion, et même les personnes qui n’ont pas été blessées, au moment de l’accident.
Le pavé du quai fut ouvert sur presque toute sa longueur et quelques victimes retombèrent dans la poussière soulevée par la force de l’explosion.
De bonne heure samedi matin, une enquête était tenue par M. McNicoll, vice-président du Pacifique Canadien. L’avis de tous ceux qui connaissent quelque chose de l’explosion fut écouté cependant que des experts faisaient un minutieux examen du tuyau du gaz « Pinscht », qui avait fait explosion.
Le bris du tuyau a été – à ce qui paraît le plus rationnel – causé par le froid. Le gaz est amené du réservoir principal par un tuyau souterrain d’un demi – pouce. La pression est de 150 livres par pouce carré. La théorie de l’explosion serait que le gaz s’est trouvé emmagasiné sous la plateforme, après s’être échappé par une fissure du tuyau. Ne pouvant s’échapper – vu l’épaisse couche de glace qui couvrait les planches – le gaz se trouvait localisé comme en un vaste réservoir. Ce qui semble demeurer inexplicable, c’est la cause qui a produit l’inflammation du gaz. Le feu a-t-il été communiqué par un cigare allumé, ou autrement, on ne peut le dire.
La locomotive n’a pu – par son charbon enflammé – produire l’explosion, puisqu’elle se trouvait à dix longueurs de wagon de l’endroit où s’est produit l’accident.
D’après les renseignements fournis par le gardien des cours de la gare Viger, deux explosions se seraient produites. La première, pour ainsi dire insignifiante, fut aussitôt suivie d’un terrible choc.
Les experts en ces genres de réservoirs à gaz – les appareils « Pinscht » – sont de l’avis des officiers du Pacifique Canadien.
Parlant du terrible accident, le capitaine Bourgeois, du poste central, rappelait qu’à la même date et à la même heure, il y a neuf ans passés, un homme fut décapité par un train du Pacifique, à quelques pieds de l’endroit où eut lieu l’explosion.
Le capitaine, qui se trouvait en devoir à la gare Viger, ramassa lui-même la tête de la victime, à près de deux pieds de la voie ferrée.
Cette mort est toujours demeurée mystérieuse », a ajouté le capitaine, et l’on n’a jamais su s’il y eu suicide ou accident ».
La ravissante petite artiste, Juliette Béliveau, était à la gare lors de l’accident. Partie avec quelques camarades pour aller faire un tour de conduite à un parent qui partait pour Québec, elle eut l’heureuse chance que son parent fut forcé de monter dans l’un des premiers wagons, lequel se trouvait assez éloigné du lieu où l’explosion se produisit.
« Nous étions, mes amies et moi, à blaguer mon parent, nous lui disions bonjour, et comme il disparaissait dans le compartiment, voilà que je me sens enlevée, assez violemment. Ce fut la seconde d’un siècle que dura mon envolée, puis, soudain, je retombai sur le quai de la gare. Le choc fut très douloureux, mais énervée, je bondis sur mes pieds et attrapant une compagne, nous parvînmes à nous sauver».
(Note : Le gaz «Pinscht» était utilisé pour l’éclairage des wagons ferroviaires à l’époque).
Voir aussi :
- Chemins de fer au Québec
- Gare Viger et Gare Dalhousie
- Explosion à la gare Windsor en mars 1909
- Explosion fait trois victimes à La Presse