Désastre en Beauce
L’Action catholique, 1er août 1917.
L’inondation cause un désastre incalculable dans les villages de Beauce
Sainte-Marie et Scott sont ravagés – Nombre de maisons sont inondées et emportées par les flots – les récoltes sont détruites – nombreux sauvetages – une perte de près de deux millions. L’eau a commencé à se retirer hier soir.
La nouvelle inondation de la Beauce résultant des pluies torrentielles de lundi est la plus désastreuse que l’on ait enregistrée depuis longtemps. Les pertes matérielles sont énormes; le bois seulement, qui a été emporté et qui descend actuellement au gré des flots dans le Saint-Laurent, est évalué à plus d’un million.
L’endroit qui a le plus souffert des dégâts est le village de Sainte-Marie de Beauce que la crue des eaux a presqu’entièrement inondé. L’eau a atteint même les rues les plus reculées. Nombre de personnes surprises dans leur demeure par les flots sans cesse augmentant de volume, eurent toutes les peines du monde à s’échapper; beaucoup n’y réussirent qu’avec des canots. Nombre d’habitations ont été partiellement démolies, la force du courant ayant renversé leur base. Dans les basses-cours, les bestiaux, à maints endroits, ont péri.
Entre Sainte-Marie et la jonction de Scott, la voie du Québec Central est couverte de 11 pieds d’eau. Le pont de Valley Jonction, emporté par le courant, est descendu jusqu’à Sainte-Marie et a frappé le pont en fer de cette localité, qui a été endommagé.
Les rues de Sainte-Marie de la Beauce sont changées en torrents et en cascades, et un grand nombre de maisons se sont écroulées dans les flots tumultueux. On ne rapporte pas encore de pertes de vies, mais des familles entières se sont réfugiées aux étages supérieurs ou sur les toits, complètement isolées et sans moyens de sauvetage, et l’eau monte toujours, avec une rapidité stupéfiante. Comme les fils de téléphone ont été entraînés dans la chute des poteaux, il ne reste plus d’autres moyens de communication que le chemin du roi, encore qu’il faille y circuler très lentement jusqu’à la partie inondée, tout détrempé qu’il est par les fortes pluies de ces derniers jours. Pendant un certain temps, l’eau montait à raison d’un pouce par dix minutes. Elle a atteint, chose unique, les endroits les plus élevés de Sainte-Marie. La plupart des maisons sont remplies et ceinturées d’eau. L’une des premières à s’écrouler fut celle de Madame Marie Morissette, sur les rives de la rivière Chaudière, et ses débris flottent sur les eaux. Madame Morissette fut aperçue flottant sur l’eau, et M. Ernest Mercier, accourant dans un canot, put maintenir la malheureuse par les cheveux dix minutes, jusqu’à ce qu’une autre embarcation vint lui prête main-forte. On dit qu’il y a déjà eu cinq sauvetages aussi dramatiques que celui-là.
Toutes les communications, téléphoniques, télégraphiques ou par chemins de fer sont interrompues. On ne peut atteindre que le village de Scott où la situation est tout aussi désastreuse, sinon plus, qu’à Sainte-Marie. A Scott, toutes les maisons ont été inondées jusqu’au premier étage, et la population dût chercher refuge sur les hauteurs environnantes. La plupart des habitants de la localité n’ont rien sauvé ou à peu près. Ils ont passé la nuit dans des granges qui offraient quelque sécurité contre les flots. Beaucoup d’habitations ont été emportées. Il y en a quelques-unes, aujourd’hui, sur la voie du Quebec Central, qui est recouverte, aussi, de grandes quantités de bois de pulpe. On ne rapporte pas de pertes de vies mais il y a eu de nombreux sauvetages et beaucoup l’ont échappé belle.
Le Québec Central ne fait aujourd’hui qu’un service local jusqu’à Scott et continuera plus loin, à mesure que les conditions le permettront. L’eau a commencé à se retirer et on espère que ce soir, la rivière Chaudière aura repris son cours normal. Un convoi du Québec Central quittera Lévis à 3.40 heures cet après-midi pour Sherbrooke, par le Grand-Tronc afin d’accommoder les passagers de Sherbrooke à Leeds. On estime que l’eau a monté, hier à raison d’un pied par heure.
On estime les pertes de bois seulement à plus d’un million. Toutes les estacades se sont rompues et des centaines de mille cordes de bois de pulpe et de billots s’en vont à la dérive sur le Saint-Laurent. Le fleuve en était tellement rempli, hier, que la navigation devint un moment impossible et plusieurs navires durent jetés [sic] l’ancre. A la Chaudière, entre une heure et trois heures, hier après-midi, il y avait tellement de bois que l’on aurait pu traverser la rivière à pied sec. Les compagnies qui subissent des pertes sont la Brown Corporation, la Cie Breakey, la Cie Atkinson et la Cie H. B. Howard. L’une des propriétaires est d’avis que l’écluse du lac Mégantic a dû se briser pour qu’une telle inondation ait eu lieu.
De l’avis des vieux Beaucerons une inondation aussi désastreuse ne s’est pas vue depuis longtemps. On se demande un peu partout à quoi l’attribuer. Sans doute elle est due tout d’abord aux pluies torrentielles et au déboisement de la région, mais on se demande si le flottage du bois sur la rivière ne se fait pas dans des conditions qui sont en grande partie cause de ce désastre.
Rivière Chaudière
Depuis le lac Mégantic, tranchant l’axe des plis appalachiens, à travers un bassin de 6 690 km2, elle reçoit de nombreux affluents parmi lesquels on remarque les rivières du Loup, de la Grande Coulée, Famine, Chassé, Beaurivage et le bras saint-Victor. Aux pentes raides marquées par des cascades et des rapides qui caractérisent son cours supérieur jusqu’au pied des rapides du Diable, juste en amont de Beauceville, succède une vallée étalée, les fonds de la Beauce, régulièrement inondés au printemps ou lors de fortes pluies. De spectaculaires chutes, situées près de Charny, ponctuent le cours inférieur de la rivière qui rejoint ainsi le fleuve à travers une tranche soumise à la fluctuation des marées.
La dénomination Chutes de la Chaudière a été étendue à la rivière Chaudière. C’est pourtant sous le nom de Rivière des Etchemins que Champlain l’inscrit sur les cartes de 1612 et de 1632, il signalait ainsi que cette rivière était la voie déjà utilisée par les Etchemins dans leurs déplacements entre la côte de l’Atlantique et Québec – ils ne seront pas les seuls d’ailleurs puisque le général américain Arnold l’utilisera en 1775 pour envahir Québec. Par la suite, depuis la “Relation des Jésuites de 1651”, jusqu’aux environs de 1737, les documents parlent presque uniquement de la Rivière du Sault de la Chaudière, puis, jusque vers la fin du XVIIIe siècle, Rivière de la Chaudière sera l’usage habituel tandis que la forme apposée Rivière Chaudière, s’implantera par la suite, probablement sous l’influence de la cartographie et de l’usage en langue anglaise. Quant à Sault de la Chaudière, on lui préférera la forme Chutes ou Chute de la Chaudière et, plus anciennement, de Charny.
Au cours de siècles, la rivière a connu quelques désignations plus ou moins éphémères. Aisi, vers la fin du XVIIe siècle, les Abénaquis installés près des chutes l’avaient appelée Kikonteku, ce qui suivant l’abbé Provost, signifiait “rivière des champs”.
Quant au nom Méchatigan Msakkikkan, “rivière ombreuse”, déforme en Sartigan et même en Saint-Igan, il semble avoir servi à désigner l’ensemble de la Nouvelle-Beauce tout aussi bien que la rivière vers le milieu du XVIIIe siècle, c’est-à-dire peu après la concession et le début du peuplement des seigneuries. Les Abénaquis actuels la désignent Papwikotekw, ce qui signifie “rivière de la chaudière en étain.”
Reste le cas de Rivière Bruyante qui, sur les cartes de Champlain, s’applique à la rivière Etchemin ; pourtant, dans une lettre datée de 1804, le seigneur Gabriel-Elzéar Taschereau parle bel et bien de “la rivière Chaudière (ou Bruyante), ce dernier nom étant d’ailleurs cité dès 1686 dans l’acte de concession de la seigneurie de Lauzon.