Vive le Québec libre ! (Ce texte a paru dans le journal La Presse, le 25 juillet 1967. Nous le reproduisons en entier)
Inouï, inimaginable ! Le 24 juillet 1967, Charles de Gaulle, grand libérateur de la France, fait l’histoire du Québec et du Canada tout entier.
Quatre mots ont suffi, ont ouvert l’abcès, mis à nu une crise qui, aujourd’hui, secoue le pays.
Ce grand adjectif «LIBRE» ajouté délicatement, sûrement, avec un ton peut-être subversif à Vive le Québec ! a tout ébranlé.
Ottawa est bouleversé, consterné. Le cabinet fédéral tient le lendemain matin une réunion extraordinaire. Québec, de son côté, dissimule mal sa nervosité. La surprise est trop brutale.
Mais les milliers de Montréalais qui ont entendu ces mots de la bouche de l’homme d’État les ont bus, s’en sont enivrés. De Gaulle s’est offert comme libérateur, ils l’ont accepté. De Gaulle leur a proposé la liberté, l’indépendance, ils l’ont accepté.
Un grand moment historique, c’est certain. Mais aussi des conséquences imprévisibles. Que fera Ottawa ? Que feront les anglophones du pays? Le ressac anglo-saxon est déjà là. Le général a peut-être changé le cours de l’histoire.
Devant les 15 mille ou 20 mille Montréalais venus l’entendre au balcon de l’Hôtel de ville, de Gaulle s’est servi de l’histoire pour transmettre son message : «Je vais vous confier un secret que vous ne répéterez pas. Ce soir, ici, tout au long de cette route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la libération».
Mots lourds, s’il en est, venant de la bouche du général. La libération de Paris, c’est le triomphe de sa vie, le superbe résultat de ses grands efforts de guerre.
Et à cela, il a associé le premier ministre du Québec. «Mon ami Johnson», a-t-il lancé, triomphant.
Sept discours
C’est vrai, il y avait un bon nombre de séparatistes, militants, venus voir la grande scène du balcon. Quelques centaines.
Mais également des milliers d’autres qui n’ont jamais hésité à entonner des Vive de Gaulle ! à s’en déchirer les poumons. Une scène qui ne s’était jamais vue à Montréal. Le clou d’une longue marche triomphale que ni la pluie, la chaleur, l’humidité, les défectuosités mécaniques, les bruits agaçants d’hélicoptères n’ont pu souiller.
Sept fois le général a parlé le long de la rive de ce fleuve découvert par un Français. Partout, il a mis du tigre dans le réservoir du nationalisme canadien-français. À Montréal, le réservoir était plein, de Gaulle a lancé la machine… vers l’indépendance.
Un fait demeure. Si les Montréalais n’ont pas hésité à huer leur maire qui soulignait, en passant, la contribution de l’élément non français de la métropole, les mêmes Québécois, ce million de nationalistes qui ont vu de Gaulle, ne lui ont rien reproché publiquement. Discrètement, quelques-uns ont dit: «mais il exagère», rien de plus.
À l’arrivée à l’Hôtel de ville, le premier ministre du Québec qui, en même temps, partageait l’automobile et la gloire du général, n’hésitait pas à exprimer physiquement sa grande joie. Au soir d’un triomphe électoral, il n’aurait pas paru plus heureux !
Mais à Ottawa, le premier ministre du Canada révise certainement le discours qu’il avait préparé à l’occasion de la visite du général.
Que dira-t-il ? Que fera-t-il ? Impossible à prévoir, évidemment, mais la réception ne pourra être que froide.
À moins que le général n’y aille pas !
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