
Armes à feu: un projet qui aura peu d’impact sur la criminalité, dit Duchesneau
Même s’il considère comme essentiel le projet de loi sur le contrôle de armes à feu, le directeur du service de la police de la CUM, Jacques Duchesneau, estime qu’advenant son adoption, il aurait peu d’impact sur la criminalité. Mais selon lui, ce n’est pas l’objectif principal du contrôle accru préconisé par le ministre fédéral de la Justice Allan Rock.
« Ce projet de loi vise avant tout à mettre un terme au cycle de la violence. C’est un message indiquant que la société ne tolère plus que l’on règle ses problèmes avec une arme. » Il estime toutefois que la loi telle que formulée devrait permettre de réduire le nombre de suicides et d’homicides. On sait que la plupart des homicides se produisent dans le milieu familial. L’enregistrement obligatoire des armes devrait permettre de sensibiliser les propriétaires à prendre conscience qu’une arme mal entreposée représente toujours un danger potentiel.
« Quand un jeune se tire une balle dans la tête, c’est toute la société qui en souffre. Et la société ne tolère plus ce cycle infernal. » Comme tous ceux qui se sont manifestés en faveur de ce projet de loi, M. Duchesneau a toujours à l’esprit qu’aux États-Unis, l’arme à feu est devenue le moyen numéro 1 pour se protéger. En 1994, il y a eu 52 meurtres sur le territoire de la communauté urbaine de Montréal.
Lors d’une réunion, le chef de la police de Los Angeles m’a dit que dans sa ville, on en comptait autant à chaque fin de semaine. À New Orléans qui compte environ 500 000 habitants, on enregistre de 600 à 700 meurtres par année. » Le chef Duchesneau se réjouit que le fait de perpétrer un crime avec une arme à feu soit punissable d’un minimum de quatre ans de prison. Là aussi, dit-il, il s’agit d’un message clair de la société qui veut mettre un terme à la violence avec les armes à feu. Il concède que les chasseurs devront se soumettre à de nouvelles restrictions, mais il se fait philosophe: « La liberté des uns s’arrête où commence celle des autres »
(Ce texte a été publié par le journal La Presse, le 17 février 1995).
Le ministre de l’Environnement et de la Faune, Jacques Brassard, craint que les dispositions du projet de loi sur le contrôle des armes à feu n’aient un impact très négatif sur la chasse sportive au Québec, une activité dont les retombées économiques directes sont de Tordre de 250 millions de dollars par année. Le ministre estime en outre que si le gouvernement fédéral avait fait les efforts nécessaires pour amener les propriétaires d’armes à respecter les règlements sur l’entreposage en vigueur depuis deux ans, le projet de loi d’Allan Rock n’aurait pas sa raison d’être.
M. Brassard estime que les tracasseries administratives et les coûts imposés pour l’enregistrement des armes des chasseurs risquent d’en amener plusieurs à abandonner leur sport. « Nous avons des problèmes de relève en matière de chasse au Québec. Les mesures proposées par le ministre Rock ne vont pas aider les choses, au contraire. Je crois que l’enregistrement universel n’est pas une mesure souhaitable. »
Même s’il est en faveur d’une loi qui peut réduire la criminalité ou les actes de violence perpétrés avec des armes à feu, il n’est pas évident, selon lui, que l’enregistrement des armes de chasse va diminuer la criminalité comme le soutient le gouvernement fédéral. « Il faudrait m’en convaincre », dit-il. ! Mais dans le milieu de la santé, on réclame depuis un bon moment l’enregistrement de toutes les armes à feu. On se montre donc très satisfait du projet de loi du ministre Rock.
L’Association des médecins spécialistes en santé communautaire du Québec estime que l’enregistrement ne pourra que sensibiliser les propriétaires d’armes à les entreposer de façon sûre. Pour sa part, le président du Conseil des directeurs régionaux de santé publique, le docteur Luc Boileau, tient le même langage. « C’est avant tout une question de santé publique, dit M. Boileau. Au Québec, on compte de 400 à 450 décès par année attribuables aux armes à feu, dont près de 300 suicides. La majorité de ces actes violents ont été perpétrés avec des armes de chasse. Si elles avaient été entreposées correctement, nul doute que plusieurs de ces accidents auraient été évités. »
Il explique en outre que 80 p. cent de la mortalité par homicide se produit dans le milieu familial. Il s’agit souvent d’un geste spontané à la suite d’une querelle. M. Boileau raconte aussi qu’on a tort de croire que celui qui a tenté de se suicider recommencera. La plupart des personnes qui ont raté leur suicide sont bien heureuses d’être en vie aujourd’hui. Mais avec une arme à feu, il est difficile de manquer son coup.
Crime avec arme à feu : la peine minimale de quatre ans fort critiquée
Le ministre de la Justice du Québec, Paul Bégin, s’oppose à l’imposition d’une peine mini- male de quatre ans aux personnes reconnues coupables de cri- mes perpétrés avec une arme à feu, comme le propose le projet de loi du ministre fédéral Allan Rock déposé mardi aux Communes. Selon un porte-parole, le Procureur général du Québec met en doute le caractère dissuasif d’une telle peine. Le ministre Bégin a d’ailleurs avisé son homologue fédéral de sa position lors de la rencontre des ministres de la Justice tenue à Victoria à la fin de janvier. Le ministre Bégin craint aussi que l’imposition de cette peine, notamment dans les cas de vols qualifiés avec une arme à feu, ne crée une foule de nouveaux prisonniers qui ne pourraient être absorbés par le système carcéral.
Vice-président régional du Syndicat des employés du Solliciteur général du Canada, François Gaudreau pense qu’il est illusoire de croire que les prisons fédérales au Québec puissent héberger encore plus de prisonniers. Les peines de deux ans et plus doivent être purgées dans une institution fédérale. M. Gaudreau explique que Ton compte 3400 cellules dans les prisons fédérales au Québec et qu’on y loge actuellement 4400 détenus. Chaque prisonnier coûte en moyenne de 45 000 $ à 48 000 $ par année au trésor public. Selon M. Gaudreau, qui re- présente 2300 employés dont 1200 gardiens de prison, une peine de quatre ans qu’il faudra obligatoirement purger en entier ne peut tout simplement pas être applicable dans les circonstances actuelles. À moins que l’effet dissuasif de la loi soit tellement important qu’il réduise considérablement la criminalité. Ce dont il doute. Le Code criminel actuel pré- voit une peine minimale d’un an de prison pour avoir été en pos- session d’une arme lors de la perpétration d’un crime. Cette sanction est consécutive à toute autre peine d’emprisonnement. Le ministre Rock veut porter ce minimum à quatre ans pour éviter les ententes à l’amiable (plea bargaining) entre les avocats de la Couronne et de la défense. Pour Claude Parent, procureur chef pour la région de Montréal, le plea bargainnig se poursuivra comme c’était le cas dans le passé. U fait valoir que si un contre- venant est reconnu coupable de 10 vols qualifiés avec une arme à feu, situation relativement fréquente dans la région de Mont- réal, il serait maintenant con- damné à un minimum de 40 ans de prison pour le seul fait d’avoir été en possession d’une arme à feu, si on appliquait les articles du projet de loi à la lettre. Et le juge devrait ensuite imposer une peine pour le vol proprement dit. Parlant en son nom personnel, Me Parent, explique que ces sentences risquent d’être contestées.
Armes à feu : un rôle aux pompiers
À des fins de sensibilisation à la sécurité, le Québec songe à confier aux pompiers un rôle de prévention dans le dossier des armes à feu, lorsqu’ils font des visites de prévention contre les incendies dans les résidences. «Ce ne sont plus des arroseurs de feux, mais des spécialistes de la prévention. Ils font beaucoup de visites dans les domiciles. Us pourraient sensibiliser les gens aux mesures de sécurité », a dit hier le ministre de la Sécurité publique, Serge Ménard.
Commentant le projet de loi déposé la veille à la Chambre des communes par le ministre fédéral de la justice, Allan Rock, M. Ménard a appuyé l’idée de rendre obligatoire l’enregistrement des armes à feu. « Je suis personnellement en faveur de l’enregistrement des armes à feu, a-t-il dit. Au Québec, toutes les armes sont enregistrées depuis 1972 mais le système pourrait être amélioré ». Me Ménard a rappelé avoir eu l’assurance du ministre Rock que le projet de loi fédéral tiendra compte de ce qui existe déjà au niveau de chaque province.
Déjà, Québec songe à des me- sures pour améliorer son système. Par exemple, profiter de l’enregistrement de chaque arme, en collaboration avec les spécialistes de la faune, pour sensibiliser son détenteur aux mesures de sécurité. Ou encore utiliser les pompiers à cette fin.
La loi fédérale prévoit l’enregistrement obligatoire de toutes les armes avec des amendes pouvant aller jusqu’à 2000$ ou même la prison pour les fautifs.
(Ces textes ont été publiés par le journal La Presse, le 15 et le 16 février 1995).

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