Combattre un fou

Combattre un fou furieux

Sept-Îles, avril 2007

Pour un enfant, la récréation est un moment de plaisir et d’insouciance attendu avec fébrilité. Pendant quelques minutes à peine, le temps est suspendu et les jeux, les rires et la franche camaraderie prennent le pas sur les fractions, l’accord des verbes et tout le reste. Les parents pourront dire des milliers de fois à leurs petits trésors qu’ils doivent rester constamment prudents et alertes, peu importe la situation, comment leur en vouloir de baisser la garde à ce moment précis ? Néanmoins, malgré toutes les précautions du monde, le jeune Daven Jean-Duchesne n’aurait rien pu faire pour s’extirper des griffes d’un désaxé qui avait l’intention de le tuer… en le brûlant vif. N’eussent été le courage et la vigilance d’un seul individu, voilà le sort horrible qui attendait ce garçon innocent.

Une récréation est située dans le quartier Ferland de la ville se Sept-Îles. Cette zone résidentielle, où sont alignées un nombre incalculable de maisons, ne diffère en rien de n’importe quelle banlieue urbaine : le calme et le confort y règnent en rois et maîtres. Un endroit parfait pour construire une école.

Le matin du 4 avril 2007, la cloche se met à sonner dans les classes et les corridors de l’établissement accueillant 273 élèves : c’est l’heure de la première récréation de la journée…

Guillaume Letendre, 54 ans, entend bien en profiter, enseignant en musique, il dégage un calme qui s’accorde parfaitement avec son nom de famille…

Aux environs de 10 h 25, un vacarme assourdissant se fait entendre à l’extérieur de l’école. En effet, une voiture vient de défoncer à toute allure la clôture de métal ceinturant la cour de récréation. Le véhicule noir s’immobilise au milieu de la zone de jeu réservée aux enfants de la maternelle, n’ayant miraculeusement fait aucun blessé. La portière du conducteur s’ouvre alors et apparaît un homme dans la trentaine avancée, visiblement dans un état psychotique, hagard et l’air perdu…

Après quelques secondes, ne sachant trop où aller, le regard trouble, le fou furieux avance machinalement en direction de l’école, jetant violemment par terre des enfants qui ont le malheur de croiser son chemin. Une enseignante présente sur les lieux va à sa rencontre et tente de le raisonner, lui disant de s’en aller immédiatement, mais au lieu de l’écouter, l’homme l’attrape par les cheveux et la tire vers l’intérieur.

Mais qui est cet homme et quelle est son intention ? Est-il armé ? En veut-il à un membre du corps enseignant ? A-t-il des enfants dans cette école qui devraient craindre pour leur sécurité ? Les premiers témoins de la scène ont immédiatement en tête la fusillade au Collège Dawson, survenue sept mois auparavant, ce qui a de quoi les inquiéter. Se débarrassant de la professeure, l’individu pénètre dans l’école.

À la recherche d’une proie

Daven Jean-Duchesne, neuf ans, est affairé à son casier. Avant qu’il puisse réagir, le forcené est déjà devant lui et l’agrippe fermement par le cou. Il le soulève et l’amène contre lui, en fait son otage. Daven ne connaît pas son agresseur : le hasard a voulu que celui-ci jette son dévolu sur lui. Le jeune garçon entend alors ces mots qui lui sont destinés, des mots assez graves pour glacer le sang des plus stoïques et des plus braves : « Je vais te tuer ». Daven supplie son bourreau de le lâcher, mais, comme unique réponse, il reçoit une claque au visage. Du haut de ses neuf ans, le petit garçon est totalement à la merci de cet adulte à la forte carrure et à la force brutale. Il ignore ce qui lui arrivera.

Louise Bergeron est la la directrice de l’école Bois-Joli… Elle court appeler 9-1-1 et informe les autres professeurs de la situation dangereuse à l’aide de l’interphone. Les enfants étant par la plupart à l’extérieur, le mieux pour les professeurs est soit de se barricader dans une pièce, soit de s’enfuir dehors en courant.

C’est à ce moment précis que Guillaume, le professeur de musique, arrive sur les lieux. Maintenant seul contre l’adversité, Guillaume toise la bête humaine qui se trouve à 3 m devant lui : un homme grand, musclé et couvert de tatouages, avec ce petit quelque chose de trouble dans l’œil qui signifie une grave perte de raison… La tête de Aven est coincée sous le bras de son tortionnaire ; son visage est rouge et ses pieds ne touchent pas le sol. L’enseignant le reconnaît: c’est l’un de ses élèves. Il n’a pas l’intention de rester là sans agir. Il est prêt à tout afin de le sauver.

Poursuite

Guillaume a beau tenter de raisonner l’homme qui se tient devant lui, il n’y a rien à faire ; c’est comme s’il s’adressait à un mur de ciment. Celui-ci, comme un animal affolé, commence soudain à chercher une porte de sortie, tout en resserrant son étreinte sur Daven. L’enseignant les suit de près, tout en rassurant le garçon, en lui disant de ne pas s’en faire, que tout rentrera bientôt dans l’ordre, qu’il s’agit d’un mauvais rêve sur le point de se terminer. S’agit-il, pour Guillaume aussi, d’un mantra afin de se réconforter ?

Une fois à l’extérieur, le détraqué s’éloigne lentement de l’école avec le garçon. Où se dirige-t-il ? Guillaume le soupçonne de se rendre à la station-service Irving située boulevard Laure, en face de l’école, derrière un lotissement de quelques maisons. Il décide de devancer le ravisseur et sa victime, et avertit les clients de l’établissement de leur arrivée, leur conseillant de rester sur leurs gardes. L’homme apparaît bientôt, toujours en jurant et en menaçant Daven.

L’enseignant tente une dernière fois de le calmer, ce qui, contre toute attente, fonctionne un instante ; jusqu’au moment où, sans crier gare, comme s’il était possédé du diable, le détraqué s’empare d’un fusil à essence et commence à arroser le garçon de la tête aux pieds. L’odeur singulière du carburant hautement inflammable se répand dans l’air, tandis que Guillaume reste sur le qui-vive, prêt à réagir.

C’est lorsqu’il aperçoit l’homme fouiller dans l’une des poches de son pantalon, convaincu qu’il va en sortir des allumettes ou un briquet pour mettre le feu au garçon, que l’enseignant bondit. Il saute carrément sur le désaxé. Au diable s’il est plus gros et plus fort que lui. La vie du garçon en dépend.

Une lutte féroce

Un combat sauvage s’ensuit. Plusieurs coups sont échangés avant que les deux hommes s’affaissent sur le sol. Dans la confusion, Davent parvient à s’échapper et file tout droit vers la station-service. Il est enfin hors de danger. Mais rien n’est aussi sûr pour Guillaume. Un client du commerce court prêter main-forte à l’enseignant. Ils parviennent à retenir le fou furieux un instant, avant qu’il réussisse à se libérer, se relève et agrippe un employé de la station-service par la gorge. Aidés par un autre individu, Guillaume et le client finissent enfin par libérer l’employé et maintenir l’homme en position de soumission jusqu’à l’arrivée des policiers.

Le danger écarté, l’enseignant retrouve son élève à l’intérieur de la station-service, assis dans un coin, empestant l’essence, de chaudes larmes coulant sur son visage. C’était fini. En tout, l’incident aura duré à peine 15 minutes. Une éternité pour ceux impliqués.

Un drame qui se termine bienheureuse

Le psychotique avait un nom : Alain Bérubé. Âgé de 38 ans, il vivait au moment du drame un épisode de délire psychotique déclenché par une consommation de drogue. Faisant face à 13 chefs d’accusation, il sera finalement condamné à 7 ans de prison après avoir plaidé coupable à des accusations d’enlèvement, de séquestration, de menaces de mort et de voies de fait graves.

Le 9 novembre 2009, Guillaume Letendre a reçu la médaille du civisme lors d’une cérémonie tenue dans la salle du Conseil législatif de l’hôtel du Parlement, à Québec.

Daven n’a heureusement gardé aucune séquelle de son enlèvement Le lendemain de sa mésaventure, il était même déjà de retour à l’école pour rassurer ses professeurs et ses amis. Après qu’il a été suivi plusieurs jours par un psychologue de l’école, il fallait se rendre à l’évidence : l’enfant n’avait subi aucun traumatisme et était, à sa manière, un héros, car il était resté calme durant et après le drame. Lorsque les journalistes lui ont demandé ce qu’il pensait d’Alain Bérubé, du tac au tac, il a répondu que, tôt ou tard, il allait devoir payer… pour avoir gaspillé de l’essence !

(Extrait du livre Les héros du Québec, par Thomas-Charles Vachon et Éloïse Trinel. Les éditions Caractère Inc. 2014).

À lire aussi :

On lui avait toujours affirmé qu’une bonne mémoire était un atout dans la vie, mais lui en avait trop. (Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard.) Photographie de Megan Jorgensen.
On lui avait toujours affirmé qu’une bonne mémoire était un atout dans la vie, mais lui en avait trop. (Marivaux Le jeu de l’amour et du hasard.) Photographie de Megan Jorgensen.

Laisser un commentaire