Une collision sur le fleuve

Une collision sur le fleuve au large du Bic

Le Lafayette et le Benmaple se sont frappés lundi matin – Dans la brume. – Le fréteur a sombré. – Une perte de vie et quelques blessés.

Le paquebot français Lafayette de la compagnie Générale transatlantique, est entré en collision lundi matin, 31 août, avec le fréteur Benmaple, de la Port Colborne & St-Lawrence Navigation Co. L’accident s’est produit au milieu d’une brume épaisse, au large de l’île Bicquet, à cinq milles en amont du Bic, à vingt-cinq milles environ de la Pointe-au-Père, théâtre, il y a vingt-deux ans, de la pire tragédie dont nos annales fassent mention: le naufrage de l’Empress of Ireland à la suite d’une collision en pleine nuit avec le Storstad.

Cette fois-ci, les rôles étant inversés, c’est le fréteur qui a sombré et il s’est écoulé assez de temps entre la collision et le naufrage pour que l’on portât secours aux marins et passagers du plus petit navire.

Pas à tous malheureusement. Un des timoniers Jack Dichey, 27 ans, de Cumingwood, Ontario, qui se trouvait, les uns disent sur une des passerelles, les autres, couché dans sa cabine, fut coincé et broyé à mort lors du choc. Trois autres membres de l’équipage, Lebrun, le second capitaine, Gordon Boyce et Thomas Clarke, matelots furent blessés, le premier à la figure, le second au bras, cependant le troisième s’en tirait avec des contusions.

Le drame s’est déroulé à 5 heures moins cinq minutes du matin, un lundi. Le Lafayette, 25,178 tonneaux, était parti de New-York dimanche matin; avec 511 passagers, dont 496 de croisière, et se dirigeait vers Québec. Le Benmaple, 1,278 tonnes, en route de Montréal à Sydney, avait à son bord quatre passagers seulement et quinze membres d’équipage.

À bord du cargo se trouvaient les passagers Madame Lily Burdg, M. John Cavanagh, Madame Cavanagh et Madame Tellie Splan. Les marins: le capitaine F.-R. Johnson, le 2e capitaine Lebrun, Le Lt Manuel Galops, W. Flatcher, mécanicien, Ernest Powell, 2e mécanicien, Alex McCormik, matelot, Stanley Lyon, matelot, Gordon Boyce, matelot, Joseph Massey, veilleur, Thomas Clarke, veilleur, L. Tucker, graisseur, Karl Lelly, chauffeur, Hartriaves, cuisinier, J. Mitchell, 2e cuisinier et Jack Dickey, timonier.

Depuis deux heures du matin, le Lafayette dans la brume faisait crier sa sirène. Le pilote Withelm Langlois, qui monta à bord à la Pointe-au-Père, a déclaré qu’il n’avait entendu aucun signal du Benmaple D’après des témoins de la tragédie, les navires se frappèrent à la proue. Comme question de fait, le Benmaple se serait jeté sur le Lafayette. Sa passerelle fut arrachée et le timonier Jackie, qui s’y trouvait, fut coincé entre les deux navires et fut tué instantanément.

Deux chaloupes à la mer

Le commandant du Lafayette M. William Vogel, ordonna aussitôt de mettre deux chaloupes à la mer, dont l’une avec moteur. On porta d’abord secours aux femmes, qui furent transportées en chemise de nuit puis aux matelots. L’arrêt au large de l’île Bicquet se prolongea pendant trois heures et cinq minutes.

Le navire coulé

Le capitaine du Benmaple, F.R. Johnson, ne voulait pas quitter son commandement tant que l’on aurait pas retrouvé Dickey. Mais on avait la preuve que celui-ci était mort. Peu de temps après que Johnson fut descendu du cargo ce dernier coula dans soixante brasses d’eau. Les passagers du Lafayette en eurent à peine connaissance tant la vision était mauvaise.

Deux médecins

Le It colonel. François Paul de Martigny, médecin de Montréal, qui revenait de France où il avait accompagné les pèlerins de Vimy, aida le Dr. Guy Faure, du paquebot français, à donner les premiers soins.

Le paquebot repart

Le Lafayette reprit ensuite sa marche, pas sa course car lors de l’accident il ne faisait qu’un nœud et demi à l’heure, presque l’immobilisation complète, et c’est seulement vers quatre heures de l’après-midi qu’il reprit son allure normale. La nouvelle de cet accident a causé une profonde émotion à Québec. Dimanche midi, le Benmaple passait devant la ville. Quant au Lafayette une cinquantaine de ses passagers étaient des Québécois, qui avaient fait la dernière croisière organisée par le journal l’Événement. Il y avait aussi de nombreux Montréalais.

Le navire de la « Transat » (C’est ainsi qu’on appelle le Compagnie Générale Transatlantique) était attendu dans le port à bonne heure lundi matin et, au commencement de la soirée, il devait repartir pour l’Europe avec de nombreux passagers, dont les membres du pèlerinage de l’Action Catholique à Lourdes.

Le Service des Signaux eut fort à faire pour renseigner le public. On s’informait de l’accident, on en craignait les conséquences on voulait savoir quand le Lafayette arriverait. « Onze heures » répondait on. Puis ce fut trois heures, ce fut sept heures et demie, enfin dix heures et demie.

L’arrivée du Lafayette à Québec

Le paquebot accosta à onze heures et quart au quai du hangar 18, à Québec.

Malgré la pluie il y avait foule parmi laquelle on remarquait plusieurs figures bien connues.

Aucune panique

-« La plupart des passagers n’ont eu connaissance de rien », dit M. Antonio Labelle, représentant de la « Transat » à Montréal, il y avait eu soirée de gala hier, on s’était couché très tard; alors vous pensez bien qu’à cinq heures ».

Le Lafayette intact

– « Est-ce que votre paquebot a été endommagé dans la collision »? demandèrent les journalistes au commissaire de bord.

– « D’un côté de la proue, la peinture a été enlevée. De l’autre, un trou d’un demi mètre de superficie, à trois mètres soixante (douze pieds) de la ligne de flottaison.

Un artiste à bord

Une rencontre inattendue: mademoiselle Antoinette Giroux, la grande artiste montréalaise.

– La tragédie ne vous a pas effrayée?
– Je ne l’ai apprise qu’au milieu de l’avant-midi.
_ Alors vous avez fait un beau voyage?
– Comme tout le monde.

Récit d’une passagère du Lafayette

Mademoiselle Hélène Beaudet, de Montréal, sœur du Docteur Eugène Beaudet, de Thetford Mines, a fait la croisière en compagnie de mademoiselle Anne-Marie Bouchard.

– Vous avez eu connaissance de la collision ce matin?

– J’étais éveillée depuis quelques minutes. J’ai entendu un choc, mais rien de terrible. Nous avons pensé: on a jeté l’ancre à la Pointe-au-Père, pour recevoir le pilote. Comme le paquebot ne bougeait plus, un peu inquiète je me suis rendue sur le pont. Déjà les garçons du bord balayaient et il y avait plusieurs passagers appuyés au bastingage. La brume était si épaisse qu’il était impossible d’apercevoir le Benmaple. J’ai quand même été témoin du sauvetage c’est-à-dire que j’ai vu arriver les blessés et les autres membres de l’équipage. Beaucoup de passagers du Lafayette n’ont eu connaissance de rien.

Assistance à la messe

« Il n’y a pas eu la moindre panique », dit Mlle Beaudet, « mais les prêtres qui célébraient leur messe ont dû être surpris de voir que l’assistance était plus nombreuse que d’habitude. Toute la journée, il a régné une certaine anxiété sur les ponts. Le Lafayette stoppait on n’avançait qu’à une couple de nœuds à l’heure. Nous nous demandions donc si on ne nous cachait pas quelque chose ».

Texte publié dans l’Événement, le 3 septembre 1936.

collison au large du bic
Large du Bic. Photo : © V. et E. Petrvosky

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