
Les Chambres de Commerce seront-elles capables d’écouter autant qu’elles parlent
À son congrès de Sherbrooke, la Chambre de Commerce s’inquiétait l’autre jour de ce que les Québécois pensent d’elle.
Elle souhaitait en avoir le cœur net et parlait d’inviter la population de la province à lui fournir bientôt ces renseignements.
La Chambre « tombait » bien mal. Car on venait de lire dans les jours précédents des dépêches selon lesquelles la Chambre considérait les conventions collectives des professeurs comme autant d’entraves à l’enseignement.
On y lisait aussi qu’elle entendait accorder son entier appui aux médecins spécialistes « dans leur lutte pour la liberté » (Il est vrai que certains de ces spécialistes seraient plus à l’aise dans une Chambre de Commerce qu’au Collège des médecins, ce qui, on en conviendra, n’est pas peu dire).
Dans ces dépêches, la Chambre disait « non » à la possibilité pour le gouvernement de légiférer pour faire du français langue de travail et langue d’usage au Québec. Elle expliquait que cela paraissait déjà acquis, au moins dans l’esprit des gens qui comptent.
Enfin, ces dépêches rendaient compte des craintes de la Chambre de Commerce au au cours de la montée du socialisme an Canada.
C’était donc, psychologiquement, un bien mauvais moment pour remplir le doux devoir auquel nous conviait la Chambre de commerce.
Sur les entrefaites m’arrivent trois documents :
- Une lettre du Parti québécois section de Hull sur l’enveloppe de laquelle on trouvait en surimpression les mots suivants: « jaycee week ».
- Un petit feuillet publicitaire de la Jeune Chambre dans lequel, pour des raisons symboliques que j’ignore, le chapitre sur ses moyens d’action est illustré par une marionnette de bois qu’agitent une bonne douzaine de ficelles.
- Le mémoire de la Chambre de Commerce au comité de la Chambre chargé de l’étude du projet d’assurance-chômage, dans lequel la Chambre démontre que l’idéal pour un Canadien est bien « d’avoir un emploi ».
Il n’y a pas dans tout cela de quoi rassurer un citoyen qui s’apprête à informer la Chambre de ce qu’il pense d’elle. Il n’y a pas là de quoi faire oublier les préoccupations des Chambres de Commerce en matière de campagne d’illuminations des villes aux fêtes, son souci de former de grands orateurs publics (mes excuses aux amis qui ont déjà gagné ces concours) ou les perles de civisme que les chambres diffusent à la radio et dont l’essentiel est d’ériger l’insignifiance en système de pensée.
Bien sûr, on doit à la vérité de dire que les chambres s’intéressent à la. chose publique. Elles sont même devenues à cet égard de véritables moulins à mémoires. Mais il est également vrai que si vous en avez parcouru un, vous les avez tous lus. En ce sens, le premier ministre, s’il avait l’occasion de le faire, en dirait peut-être ce qu’il disait autrefois des journaux d’opinion, savoir qu’on sait toujours d’avance ce qu’ils vont penser.
Ces mémoires sont généralement très caractérisés. C’est toujours merveille d’y découvrir que la notion de changement parait tout à fait étrangère aux Chambres de Commerce. Cela est à n’en pas douter une constante de leur pensée.
Il y en a une autre; c’est que l’économique doit primer le social, que la politique Sociale ne peut se développer plus rapidement que le progrès économique ne le justifie.
Est-ce à dire que ces attitudes plaisent assez, de façon générale, aux gouvernements ? Il faut le croire, car les Chambres de Commerce sont bien reçues dans les hôtels de ville, les Assemblées nationales et les parlements.
Est-ce à dire qu’elles y exercent une grande influence? Voilà la question à force d’y songer je me demande s’il n’existe pas à cet égard une situation semblable à celle que le sénateur Lamontagne décrivait un jour en parlant des journalistes.
Il expliquait que les hommes politiques ont bien tort d’attacher de l’importance aux journalistes du fait surtout que ces derniers n’auraient autrement que par le biais des hommes politiques qui les écoutent, aucune influence sur l’opinion publique.
Peut-être y a-t-il quelque vérité, et peut-être s’applique-t-elle à la situation des Chambres de Commerce qui n’auraient l’oreille des politiciens que parce que ces derniers ignorent l’apathie du public à l’égard de ces organismes.
Quoi qu’il en soit, et toutes ces méchancetés étant dites, il sera intéressant de voir ce que les Québécois diront à la Chambre de Commerce au sujet de sa réputation. Sans doute serait- elle sage de se préparer au pire.
Car le vent n’est pas bon. N’est-ce pas le chef des conservateurs lui-même, M. Stanfield, qui parlait l’autre jour du devoir des hommes d’affaires d’assainir eux-mêmes les pratiquas de la société de consommation, s’ils ne veulent pas que le gouvernement s’en charge ?
N’est-ce pas M. Jean-Jacques Servan-Schreiber qui convie les industriels à doubler leur force matérielle d’une force morale ? N’est-ce pas M. Robert De Coster qui invite la Chambre durant son propre congrès, à briser la solidarité traditionnelle des hommes d’affaires en commençant à dénoncer les fraudes, la publicité mensongère, les transactions illicites et les situations d’exploitation ?
Quelque chose me dit que c’est dans ces veines que les Québécois fouilleront quand La Chambre de Commerce leur demandera pour de bon ce qu’ils pensent d’elle.
On verra alors si, habituée qu’elle est de parler, la Chambre de Commerce est également capable de se mettre à la tâche tout aussi méritoire et féconde d’écouter.
(Cette nouvelle date du 3 septembre 1970).

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