Bouchard est sauvé
La note était maladroite, difficile à déchiffrer. Une vingtaine de lettres parfois superposées, parfois alignées. Mais elles disaient ce que tout le monde voulait entendre: Lucien Bouchard était bien en vie. Il était sauvé !
Le chirurgien Pierre Ghosn a exhibé devant les représentants des médias la note rédigée péniblement par le chef du Bloc québécois Lucien Bouchard dans son lit de l’hôpital Saint-Luc et qui se lit ainsi : « Qu’on continue… »
Le Québec entier a poussé un grand ouf…
« C’est presque un miracle », a admis le docteur Patrick D’Amico, qui a annoncé la nouvelle lors d’une conférence de presse tenue hier midi à l’auditorium de l’hôpital Saint-Luc, à Montréal.
Celui que tout le monde qualifie de «politicien le plus aimé du Québec » vient de vivre la période la plus difficile de sa vie. La bactérie « mangeuse de chair», appelée plus communément streptocoque bêta hémolytique, a causé la perte de sa jambe gauche et s’est propagée jusqu’à la cage thoracique. Mais les médecins et un fort traitement aux antibiotiques auraient réussi à la stopper avant qu’il ne soit trop tard.
Selon le docteur D’Amico, M. Bouchard se trouvait encore dans un état critique, hier, mais sa vie ne semblait plus en danger. « II n’est pas encore sorti du bois, mais presque. Jusqu’à maintenant, sa grande forme physique l’a beaucoup aidé », a précisé le médecin, qui a aussi souligné le « moral extraordinaire » de son patient.
Sans traitement, la bactérie mangeuse de chair peut ronger jusqu’à deux centimètres de chair à l’heure. À l’hôpital Saint-Luc, ce fut le branle-bas de combat. La jambe était très abîmée ; il a fallu amputer à mi-cuisse. « Après mûre réflexion, M. Bouchard a dit que sa vie et celle de sa famille étaient beaucoup plus importantes que sa jambe », a relaté le docteur D’Amico. L’intervention s’est déroulée dans la nuit de jeudi.
Pour le thorax et l’abdomen, qui étaient aussi infectés, les traitements aux antibiotiques ont fini par faire effet.
Lucien Bouchard était encore intubé, hier matin, aux soins intensifs. Si l’infection est éliminée, il pourrait quitter les soins intensifs dans quelques jours. Son médecin espère qu’il sera remis d’ici trois à quatre mois. « Avec la force de caractère qu’il a, je suis très confiant qu’il pourra reprendre ses activités dans quatre ou cinq mois », a-t-il ajouté.
Quant à la note gribouillée hier matin par M. Bouchard, plusieurs y ont vu une volonté absolue de vivre. « II a tellement de courage. Je suis persuadé qu’il va guérir et qu’en bout de ligne, il reviendra plus fort », a déclaré le député bloquiste Nie Leblanc. « II a une force morale formidable, a poursuivi un grand ami de M. Bouchard, Marc-André Bédard ( ancien ministre péquiste ). Je suis convaincu qu’il saura relever ce nouveau défi, même s’il est énorme. »
D’autres y voient plutôt un ultime message politique. C’est le cas du premier ministre Parizeau : «C’est un message extraordinaire, qu’il nous passe à nous tous… Continuez… continuons».
(Publié dans La Presse le 2 décembre 1994).
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