Bécot électoral, le crêpe du battu et le beau garçon
Un « attentat à la pudeur » qui se résume à un baiser sur le front
Et la vie continue…
Bécot électoral. Il s’agit d’un beau gaillard du Nord de la ville de Montréal. (Donner le nom du garçon serait un crime contre la paix publique, il serait assiégé de demandes en mariage). Ce gars a subi son enquête judiciaire hier, devant le juge Amédée Monet. C’est sous l’accusation d’attentat à la pudeur, crime punissable de l’emprisonnement à perpétuité. Aussi du fouet par-dessus le marché. Mais disons que sa faute (si faute il y a) se résume à avoir décoché au front d’une pure fillette de quinze ans, un chaste bécot. Un bécot « électoral » puisque le prévenu va au domicile de sa victime. Il va lui demander un crêpe à accrocher à la porte d’un candidat battu… (Sois discret, Dodoffe).
Cette enquête, tenue dans le plus strict huis clos, doit se terminer ce matin, alors qu’à l’instigation de Maître Antoine Sénécal, avocat de la défense, le Tribunal entendra la version de ce satyre en « crêpe ».
Le principal témoin, la maman de la supposée victime, y alla toutes voiles dehors. À un moment donné, elle déclara qu’elle donnerait le fouet à ce « séducteur », si elle le pouvait. Maître Sénécal la pria de se calmer, sans plus, et madame écouta médusée.
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À l’ouverture de l’audience, le tribunal demande à la mère si elle a retenu les services d’un avocat, mais madame de s’écrier :
– Les faits sont assez clairs que je n’ai pas besoin d’avocat.
La maman est priée de quitter la salle d’audience, comme tous les autres témoins, et la jeune fille relate sa mésaventure :
– Le soir des élections, monsieur, notre voisin a sonné à la porte et m’a demandé un crêpe afin de le placer sur la porte d’un candidat battu. Je lui demandai de me suivre dans le hangar, parce que j’ai bien peur des rats. Au retour il m’a embrassé sur le front après m’avoir dit : « Embrassez-mois et regardez-moi bien dans les yeux ». Après, il m’a demandé pardon, et, lorsque je lui dis que je raconterais tout à maman, il m’a embrassée de nouveau, cette fois sur la joue. Je me suis levée et l’ai jeté dehors.
– Il vous a embrassée sur le front ? Demande Maître Sénécal avec sa notoire délicatesse.
– Oui.
– Il avait toujours son paletot ?
– Bien sûr.
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Madame X témoigne à son tour et dit :
– Il m’a demandé un crêpe au restaurant, mais je ne croyais qu’il irait à la maison. Il a embrassé ma fille de force, et le lendemain il m’a avoué sa culpabilité en remerciant ma fille de l’avoir repoussé parce que cet homme, Votre Honneur, dit qu’il est un passionné et qu’il ne se contrôle pas (seconde vitesse, pleas, Adolf!). Si je pouvais lui donner le fouet, je lui en flanquerais, une de ces «dégénérés ».
Maître Sénécal expose :
– C’est le soir des élections, la fillette est jolie et le prévenu l’aurait embrassé, mais mon client nie cette étreinte. Je ne vois pas là un attentat à la pudeur. Il y en a beaucoup d’autres qui se sont embrassés le soir des élections…
Et avec leurs poings, souligne en riant le juge Monet.
Finalement, le tribunal ajourne le tout à ce matin pour entendre la version de l’inculpé.
(Cette session de la Cour du Québec a eu lieu le 3 novembre 1939).
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