Bail écrit et preuve verbale

De la preuve d’une convention qui est contraire au bail

Les clauses d’un bail écrit ne peuvent pas être contredites par une preuve verbale

La clause formelle défendant au locataire de transporter ses intérêts dans le bail est une clause absolue qui permet au locateur d’obtenir l’annulation immédiate du bail s’il est transporté à un tiers.

Le fait que le locataire révoquerait ce transport qu’il a fait du bail ne peut pas faire tomber l’action que le locateur aura prise pour faire annuler le bail.

Si le locataire se défend à cette action en plaidant que le locateur a consenti au transport du bail, il devra, pour réussir, amener une preuve formelle par écrit de ce consentement car la preuve verbale n’est pas admise.

C’est d’ailleurs pourquoi l’honorable juge Alfred Duranleau, de la Cour supérieure, a maintenu avec dépens l’action en annulation de bail intentée par Dame Louis Lalanne, veuve de Georges-Amédée Duclos, de Saint-Jérôme, à William Karp, de Montréal, numéro 182423, C.S.

La demanderesse avait loué un emplacement pour cinéma au numéro 6519 rue St-Laurent au défendeur. Le bail stipulait formellement par écrit que le défendeur n’avait pas le droit de transporter ses intérêts dans le bail à un tiers et que s’il le faisait, le bail serait automatiquement annulé.

Or le défendeur a transporté le bail à sa famille. Immédiatement la demanderesse a pris action en annulation.

Le défendeur a contesté l’action en plaidant plusieurs points. Premièrement, disait-il, l’action doit tomber car aussitôt qu’il a vu que la demanderesse refusait de reconnaître le transport, il a annulé ce transport, qu’il avait lui-même porté à la connaissance de la demanderesse. Deuxièmement, le défendeur plaidait que, bien que le bail stipule une prohibition de transport, la demanderesse, après la signature du bail, avait consenti su transport. D’ailleurs elle savait que c’est la fille du défendeur et non ce dernier qui occupait les lieux et les exploitait car elle aurait elle-même payé le loyer. Conséquemment, concluait-il, l’action doit tomber.

C’est le contraire cependant qui arriva car le Tribunal maintint l’action avec dépens, rejeta la défense et annula le bail en s’exprimant ainsi sur les faits et le droit en la matière :

« La défense du défendeur est fondée sur deux moyens principaux : 1 – le prétendu consentement de la demanderesse au transport du bail en question à sa fille Sybil-Bernice Talpet, 2 – la prétendue résiliation du dit transport subséquente à l’action.

La principale question à résoudre est de savoir si le défendeur a fait preuve légale du prétendu consentement de la demanderesse et si la dite révocation de cession, postérieure à l’action, est bien fondée en fait et en droit.

Il est de principe qu’il ne peut-être dérogé à une clause prohibitive de cette nature dans un bail que par une autre convention ayant la même autorité que le bail lui-même. Il s’ensuit que lorsque le bail est par écrit, la dérogation a une clause de cette nature doit être également constatée par écrit ou doit être établie par le serment de la partie adverse. Nulle preuve testimoniale est admissible pour faire la preuve d’une telle dérogation.

Le défendeur a soutenu que la preuve orale devait être permise parce qu’il existerait un commencement de preuve par écrit de la déposition de la demanderesse, ainsi que dans le fait du paiement du loyer durant plusieurs mois, au moyen de chèques signés par « Broadway Théâtre Co » par S.-B. Harp.

Même en supposant que la preuve du consentement allégué pourrait être permise s’il existait un commencement de preuve par écrit, le Tribunal est d’avis que le témoignage de la demanderesse n’est pas suffisant pour constituer un commencement de preuve par écrit ; les dépositions de la demanderesse en effet sont formelles et ses raisons sont plausibles.

Quant aux chèques, le Tribunal estime également que, dans les circonstances établies en cette cause, ils ne peuvent constituer un commencement de preuve par écrit invoqué par le défendeur et permette d’établir oralement le consentement du locateur à la cession des droits du bail en question.

Le défendeur plaide en second lieu que la continuation de l’action n’a pas sa raison d’être puisque la cession de bail dont se plaint la demanderesse a été révoquée.

Il sembla au Tribunal que cette prétendue révocation n’a pas été faite bona fide et qu’elle n’existe pas que le papier puisque la dite révocation n’a été suivie d’aucun changement dans l’exploitation de la place d’affaires louée laquelle est encore en la possession de la fille du défendeur. Cette révocation serait-elle sérieuse et véridique qu’en loi elle ne pouvait mettre fin à l’action de la demanderesse : suivant les termes de l’article 1638 C.C, une stipulation défendant au locataire de céder ses droits au bail, sous peine de résiliation « ipso facto » et de plein droit, doit être suivie à la rigueur ».

Dans ces circonstances le Tribunal juge que le défendeur n’a pas fait sa preuve et il maintient l’action avec dépens. Le bail est donc annulé et le défendeur condamné à payer indemnité. Maître J.-A. Budyk représentait la demande auprès du tribunal.

(Cette sentence a été dicté par le Tribunal, le 2 novembre 1939).

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