Un avocat « veut » être condamné à un mois de prison si son client ne se représente pas
Si nombre de justiciables mettent toute leur confiance dans leurs procureurs, il arrive aussi, à l’occasion, que certains avocats soient également prêts à parier gros jeu sur la conduite de leurs clients.
Et même quoique cela soit un tantinet peu fréquent à risquer leur propre liberté pour eux.
C’est pourtant ce qui s’est produit, hier (le 16 juillet 1965), devant le juge Armand Chevrette, alors que Maître Paul Aubut revenait à la charge pour obtenir la libération d’un homme d’affaires d’Anjou, accusé de s’être parjuré au moment de se porter caution pour Georges Aird, accusé de hold-up.
Ayant à peu près épuise tous les arguments possibles pour réclamer la remise en liberté de l’ex-fermier, Me Aubut lança finalement :
« Tiens, votre Seigneurie, je suis tellement sûr qu’il va être en cour pour son enquête que je vous demande immédiatement de me condamner à un mois de prison, s’il n’est pas là au moment requis. »
Puis, il ajouta :
« Pour être de bon compte, je vous demanderais en même temps de condamner mon confrère de la Couronne, Maître André Chalout, à la même période de trente jours aux cellules, si mon client est bel et bien là pour le moment désigné pour son enquête. »
Cette seconde suggestion fut évidemment accueillie par un solide éclat de rire de la part de quelques curieux qui se trouvaient alors à la salle 38 de la Correctionnelle.
Le juge l’invite à plus de sérieux
Vous êtes vraiment trop « suggestif », de commenter simplement le le juge Chevrette, en demandant à Maître Aubut de passer à des moyens de conviction plus… sérieux.
Et c’est ce que le procureur de l’accusé devait immédiatement faire.
Il souligna donc qu’il ne fallait pas présumer nécessairement de la mauvaise foi de l’accusé. Celui-ci pouvait fort bien avoir agi sans connaissance parfaite de cause en ce présentant à la cour avec un acte notarié qui déclarait que la maison où il vit est libre de toute hypothèque que ce soit.
« Mon client, dit-il, était sous l’impression très nette que sa propriété était libre de tous liens, et on ne peut évidemment pas lui demander d’en connaître autant, dans ce domaine-là, que les avocats civilistes les plus réputés de Montréal. »
Le tribunal demanda alors à Maître Aubut :
-Affirmez-vous que votre client était sous l’impression que sa propriété était effectivement claire de toute hypothèque ?
-C’est exactement cela que j’affirme et que j’entends ultérieurement prouver.
Le procureur de Vanier ajouta alors que le parjure dont son client est accusé n’était pas aussi grave qu’il le paraissait, parce qu’il s’était commis selon l’accusation de façon extrajudiciaire.
« Ce n’est absolument pas le même que que le témoin qui dit le contraire de la vérité en pleine cour, après avoir été publiquement assermenté. »
Maître Chalout continua toutefois à s’opposer à la libération provisoire du prévenu en soulignant notamment que non seulement il était question d’une hypothèque qui avait été radiée, puis reportée sur la propriété en question, mais d’une seconde qui, elle, n’avait jamais été touché au cours des diverses démarches entourant les préparatifs de « fourniture » du cautionnement de Aird.
Cautionnement de $2,000
Puis, il ajouta que la présomption de culpabilité était trop clairement établie devant la cour pour que celle-ci puisse en venir à la décision de libérer le prévenu.
Le juge Chevrette fit toutefois remarquer qu’on n’était pas au procès, mais à la comparution seulement : il pouvait évidemment y avoir des doutes sur l’intention de tromper la justice.
Au procès, ajouta-t-il, l’accusé peut présenter divers éléments de preuve pour démontrer qu’il était de bonne foi. Comme le facteur de base est la présence de l’accusé à ce procès, je crois devoir lui accorder un cautionnement immobilier de $2,000, ou un dépôt au même montant.
(Cela est arrivé le 16 juillet 1965. Publié dans La Presse, 17 juillet 1965).
Drames sanglants chez Thémis
Deux avocats meurtriers
Accident du travail ! disait le grand avocat français Henri-Robert, à qui on signalait une de ces agressions.
Mais il y à mieux: on connaît au moins deux cas d’avocats qui estimèrent leurs clients lésés soit par une décision de justice, soit par la plaidoirie d’un confrère et qui prirent fait et cause pour eux jusqu’à l’assassinat inclusivement. Ces deux cas ne datent pas de très longtemps. Ils sont l’un et l’autre postérieurs à la guerre.
Le premier se déroula en 1926 au tribunal de Nykoping, à une cinquantaine de milles de Stockholm: Un avocat, aussitôt prononcé le jugement qui condamnait son client, tira un revolver de sa poche et fit feu sur les juges: il tua le procureur du roi et un des témoins qui était venu assister à la fin du procès, et blessa un de ses confrères, après quoi il se suicida.
La deuxième histoire date de 1936 et se passa à Chicago. Me John Keogh, se tenant pour insulté par son adversaire, Me Christopher Kinney, I’abattit d’un coup de revolver, puis tira sur le président du tribunal qui ne fut pas atteint et finalement, comme son confrère suédois, tourna son arme contre lui-même. Quant aux avocats ou magistrats, tués ou blessés par des plaideurs, toute une colonne d’un grand quotidien ne suffirait pas à en dresser la liste.
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