Automobile volée ou non ?

Automobile louée pour deux heures et gardée trois mois

Question de droit importante autour d’un contrat de location

Le loueurs d’automobile qui font leur commerce à l’enseigne du « Conduisez vous-même » (Drive yourself) sont en butte à bien des ennuis. Des clients perdent la mémoire au point d’oublier de ramener l’auto louée, et, dans plusieurs cas, des accusations de vol ont été portées en correctionnelle. Hier encore, devant le juge Amédée Monet, un prévenu, qui s’intitule publiciste, citoyen de Québec depuis son mariage en juin, subissait son enquête judiciaire, accusé de vol par M. Eddy Archambault, 5569, boulevard Saint-Laurent, de la société Eddy’s drive Yourself. Maître Paul-H. Lévesque, avocat de la poursuite, fit entendre le plaignant, qui produisit un contrat de location d’auto, en date de 6 juin 1940, pour 24 heures. On lui ramena la voiture 3 mois plus tard, à la fin de septembre. Dans l’intervalle, Archambault, qui ne cultive pas les automobiles comme on cultive des choux, avait porté une plainte de vol contre son client.

Avant la décision du tribunal, Maître Eugène Simard, avocat de la défense, se leva pour exposer :

– L’inculpé a pu garder la voiture plus longtemps que ne le voulaient les termes de son contrat, mais il est agent de publicité, et il a obtenu du travail pour un quotidien, dans la région de Québec, pendant plusieurs semaines. Au cours de ce voyage, il s’est marié et il a gardé l’auto du 6 juin au 28 septembre 1940. Je ne crois pas que le tribunal ait la preuve de l’intention frauduleuse. Il ne détenait pas non plus la voiture sans apparence de droit, puisqu’il avait un bail. Je crois que l’article 347 du code pénal, qui explique le vol et ses éléments, ne s’applique pas, et, pour toutes ces raisons, je demande au tribunal de renvoyer l’accusation.

Maître Lévesque, très à l’aise, déclare à son tour :

– Le prévenu ne peut avoir la sympathie du tribunal, même si l’on met de côté le doute qui est toujours contre lui à l’enquête judiciaire. Lorsqu’il a décidé de retourner l’auto, après l’émission du mandat d’amener, il a cru bon de le faire par l’intermédiaire de son avocat.

– Y a-t-il vol ? Demande le juge Monet.

– Je croix que le vol existe, répond Me Lévesque. J’admets qu’il a eu des jugements contradictoires, les juges Wilfrid Lazure et C.-E. Guérin ayant décrété, contrairement à ma prétention, alors que le juge Maurice Tétreau a déjà déclaré que ces clients qui ne reviennent pas commettaient un vol. Dans le cas devant ce tribunal, il se peut que l’affaire soit portée plus loin, s’il y a lieu. Les garagistes qui louent des autos ont 500 demandes par jour, et nous tenons à savoir définitivement de quelle façon agir. Si l’auto a été loué frauduleusement, il y a vol. Au jury de décider si le fait de louer pour un jour et de garder la voiture trois mois constitue le vol. Le tribunal des enquêtes judiciaires n’a pas à décider ce point.

– Je ne crois pas que le retard ait de l’importance, souligne le tribunal.

– Au jury de dire au procès si, au moment de signer, le prévenu a commis une fraude, et, à l’appui de ma prétention, je citerai le jugement dans la cause Rex versus Schmidt, rapporté à la page 168 des Causes Criminelles Canadiennes. Je me suis contenté d’argumenter en droit, mais en appréciant les faits, je dois souligner que le prévenu a donné une fausse adresse lors de la signature du contrat.

– Je crois que ce point important devrait être décidé au procès, décide le juge Monet.

– Mais si vous êtes convaincu qu’il n’y a pas de preuve, votre devoir est de libérer l’inculpé immédiatement, dit Me Simard. La fausse adresse s’explique. L’inculpé s’est marié et a demeuré chez son beau-père.

– J’admets le contrat, dit encore le tribunal. Mais si vous gardez la voiture plus longtemps que les périodes spécifiées, vous avez alors la voiture sans apparence de droit.

– C’est l’accusé qui a reconduit l’auto, insiste Me Simard.

– Je crois qu’il s’agit de possession sans apparence de droit dans le cas présent. Il y a doute, et, à l’enquête, le doute est contre le prévenu.

À ce stage, Me Lévesque explique au tribunal que les juges Lazure et Guérin, même en renvoyant des accusations, ont déclaré que l’apparence de droit cessait lors de l’expiration du contrat de location. Ici, l’avocat de la poursuite expose :

Le juge Lazure a déclaré, dans son jugement, qu’il ne s’agissait pas de vol d’automobile, mais du vol de « l’usage de l’auto ». Quant au juge Guérin, il s’agissait de fausses représentations, mais non pas d’un vol.

Maître Simard veut présenter une défense à l’examen volontaire, mais le tribunal lui conseille d’aller au procès. Me Georges Mercure cite donc le prévenu à son examen, et le prévenu est envoyé devant le jury de la cour d’Assises, demeurant libre sur parole dans l’intervalle.

(Cette nouvelle date du 28 novembre 1940).

Voir aussi :

La mort est une dette que chacun ne peut payer qu’une fois. (William Shakespeare, Antoine et Cléopatre). Photo : Megan Jorgensen.
La mort est une dette que chacun ne peut payer qu’une fois. (William Shakespeare, Antoine et Cléopatre). Photo : Megan Jorgensen.

Laisser un commentaire