Gaston Pilon, sa casquette et les $40 des chômeurs
L’ancien chef communiste admet avoir volé mais un but humanitaire – Il a trimé Schwartz
Gaston Pilon, ancien chef communiste connu, a subi son procès hier, devant le juge Amédée Monet, sous l’accusation d’avoir volé une somme de $40 que l’inculpé devait appliquer à l’ouverture d’une salle d’amusement pour les chômeurs célibataires. Dans un plaidoyer original, Pilon se déclara coupable, comme on le verra plus loin et le tribunal laissa le prévenu en liberté, jusqu’au jugement fixé au 14 mars 1939.
Maître Irénée Lagarde, avocat du ministère public, fit d’abord entendre William Schwartz, un organisateur de l’Aide aux chômeurs célibataires et le témoin déclara avoir entendu Pilon avouer son délit devant le révérend père Archange, à une assemblée de membres, tenue le 20 novembre 1938. Le témoin expose :
Le père et Pilon se sont « pris » et Pilon dit qu’il avait pris l’argent pour manger.
Pilon qui conduit sa propre cause demande à Schwartz:
N’avez-vous pas déclaré à cette assemblée que vos poches étant percées, l’argent serait en meilleur main dans les poches du citoyen Levasseur, chômeur comme nous ?
Je me souviens avoir prononcé ces paroles.
N’avez-vous pas la manie d’organiser des associations de chômeurs un peu partout ?
Oui.
N’est-il pas vrai que vous avez organisé à Toronto et dans l’ouest, pour saboter nos associations catholiques ?
Je pourrais vous poser la même question, réplique Schwartz.
Mais moi, j’ai adjugé le communisme pour revenir par un acte officiel à la religion catholique.
Le témoin admet encore que Pilon avait conclu un arrangement par lequel la poursuite en correctionnelle ne serait pas instituée contre lui si les chômeurs obtenaient leur salle et le témoin Wilfrid Perrier, 4141, rue Henri-Julien, déclare avoir vu à son logis Pilon recevoir une somme de $20 pour L’Aide aux chômeurs célibataires. Julien Châteauvert, 3780, rue Coloniale, un jeune manœuvre déluré surprend le tribunal en déclarant qu’il remit la somme de $20 à Pilon pour la fameuse salle et qu’il laissa tomber en une autre occasion un cinq dollars dans un chapeau.
Quel chapeau? Demande le prévenu.
Votre chapeau.
Ne dénaturez pas les faits. Ne vous ai-je pas présenté plutôt ma casquette ?
Oui, c’était votre casquette, citoyen Pilon.
Vous avez donné $20 aux chômeurs? Demande le juge Monet.
Oui. Moi, je travaillais. Mais j’ai donné cette somme dans les mains de Pilon et pas publiquement.
N’est-il pas vrai que vous n’avez fait « Pstt, Pstt »? demande encore Pilon.
Oui.
Le révérend père Archange, toujours souriant et bon, prête serment et tire l’affaire au claire en déclarant au tribunal :
Je connais parfaitement Pilon et Schwartz. On m’avait affirmé que M. Pilon avait gardé l’argent des chômeurs et à une assemblée il avoua son délit. Je n’ai pas vu M. Châteauvert remettre les #20 au prévenu.
Révérend père, demande Pilon, n’est-il pas vrai que si une autre salle était ouverte l’on ne devait pas procéder contre moi ?
Oui.
Et vous l’avez eu cette salle?
Oui, mais il était convenu entre tous les membres de ne pas dévoiler la chose pour ne pas nuire à l’association et j’ai pris sur moi d’ouvrir une nouvelle salle et j’ai trouvé les fonds suffisants, j’ai ici les reçus de maître Germain. L’association n’a pas souffert du manque de la somme gardée par Pilon.
Maître Lagarde s’objecte avec succès à la production de l’arrangement par lequel on s’engage à ne pas faire appréhender Pilon pour vol parce que cet écrit est en date du 12 février, 1939 alors que la plainte a été logée le 5 décembre 1938 puis le prévenu Pilon demande le privilège de faire un plaidoyer et déclare avec ses gestes habituels et une voix de stentor :
On m’accuse d’avoir pris $40 pour une salle aux chômeurs célibataires et en fait et en droit le $40 a été pris par moi, mais je dis aussi que la loi peut être humaine. Schwartz, mon accusateur est un organisateur professionnel de mouvements radicaux et si on envoie Pilon en prison pour $40 un pauvre diable aura disparu de la circulation mais en m’attaquant on attaquait d’autres plus élevés. Si j’ai commis une mauvaise action j’en ai empêché d’autres et Schwartz a organisé les troubles de Toronto et de Vancouver. Je le sais parce que c’est Saint-Martin et moi que l’avons « trimé ». Si je vais en prison, j’aurai au moins évité quelque chose à la société. J’ai dit.
Maître Larde reprend :
Voilà une drôle de mentalité. Je maintiens qu’il y a eu vol de commis et le prévenu admet ce vol. Si Pilon a volé qu’il en subisse les conséquences et je demande à ce que la loi suive son cours.
Le juge Moct ajourne son jugement au 14 mars 1939.
(Texte publié le samedi, 4 mars 1939, dans le quotidien Le Canada).
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