Des nouvelles pas fraîches

Mois international

Mois international

Le mois international

24 octobre — 24 novembre 1943

Ce mois-ci, c’est l’URSS qui domine la scène mondiale sur les deux plateaux : guerre et diplomatie.

Depuis la percée du front défensif allemand par un coup de choc irrésistible, à Krementchoug, les colonnes russes, véritables murailles de chars d’assaut et de fantassins, opérant en liaison avec l’aviation, ne cessent de pourchasser à travers les steppes, les armées boches des sources du Dnieper à la mer Noire. Depuis des mois, avec l’exception de la reprise de Zhitomir, c’est une retraite en vitesse de l’invincible armée du Führer. A ce rythme, l’Allemand sera peut-être bouté hors de Russie avant l’année nouvelle. Alléluia ! comme disent les orthodoxes.

Côté diplomatique, la conférence de Moscou éclipse Casablanca et Québec. Car, cette fois, malgré les intrigues de Berlin, voici que les trois grands Alliés, Amérique, Russie et Grande-Bretagne, affirment leur unité d’action militaire et politique. D’où le cri de triomphe de Roosevelt à sa conférence de presse. Non seulement se réalise la coordination des opérations stratégiques, condition de la victoire, mais aussi l’accord sur le plan international, gage de la stabilité d’après-guerre.

De la stratégie, rien n’a transpiré, mais la politique a livré le protocole établi par Eden, Hull et Molotov : formation d’une commission, où les Alliés régleront les questions internationales à mesure que les posent les événements; de plus, création éventuelle d’un organisme où prendront place les nations, petites ou grandes, formant la ligue de la paix.

En outre, la conférence tripartite s’est mise d’accord sur trois autres points : restauration de l’indépendance de l’Autriche; procès des chefs allemands coupables d’atrocités en pays occupés; établissement en Italie d’un régime de liberté démocratique, éliminant les chefs et institutions fascistes.

Clarté sur l’horizon futur, le discours de Staline du 6 novembre confirme la nouvelle orientation de Moscou qui, sous l’influence de Zhdanov et de Vishinski, se dégage du prosélytisme communiste et rejoint l’idéal démocratique. Il proclame le principe de la libération des pays conquis, leur droit de choisir leur forme de gouvernement, le jugement des criminels de guerre, la création d’un système de protection contre toute agression allemande et l’établissement parmi les peuples d’une collaboration économique, politique et culturelle. Staline stipule bien la liberté de la Pologne, mais quelles seront ses frontières ?

Car Moscou ne reconnaît pas celles d’avant-guerre. Indignés, les Polonais s’insurgent là-contre et contre toute soviétisation sous l’égide de Wanda Wasilewska. Hélas ! les relations diplomatiques sont rompues et le sage Sikorski n’est plus là.

Dans le camp de l’Axe, malgré les instances d’Hitler auprès d’Antonesco, de Filof et de Horthy, les satellites refusent tout envoi de troupes. Au contraire, tous, sans oublier la Finlande et la Bulgarie, manœuvrent en faveur d’une paix immédiate pendant que les Nazis annulent en Suède leurs commandes de blocs de granit qui devaient servir aux monuments de la victoire hitlérienne.

En Italie, c’est le chaos autour de Victor-Emmanuel : démissionnera, ne démissionnera pas. Badoglio, persona non grata, se maintient par la loi d’inertie au milieu des six partis politiques, que Sforza domine sans les unifier, d’où piétinement sur place qui durera jusqu’à la prise de Rome.

Quant à Mussolini, s’est-il suicidé ? Chez ce mégalomane, déprimé par la neurasthénie, c’est possible.

En France, Laval qui s’est plié aux pires ignominies avec la crainte d’être supplanté par Doriot, finasse encore et cherche des contacts avec le Comité de libération en vue de l’avenir.

Autour de Pétain, les « kolloborateurs », y voyant une tactique qui les amnistierait, ont imaginé de faire rétablir par le maréchal la constitution qu’il a supprimée. C’est l’incohérence avant le sauve-qui-peut.

Dans Alger-la-Blanche, le Comité de libération s’occupe d’organiser les territoires français libres. Devant la faiblesse politique de Giraud, mise en relief par son voyage aux États-Unis, le Comité a supprimé sa co-présidence, laissant à de Gaulle seul la direction des affaires. Ce changement s’est opéré avec l’agrément du délégué américain, Robert Murphy, qui, ayant trouvé son chemin de Damas, cherche maintenant à convertir le State Department.

L’entrevue de Cordell Hull et du général de Gaulle a fait énormément progresser la nouvelle entente. Dû en grande partie aux intransigeances du délégué – général Helleu, le conflit libano-français est en train de recevoir une solution honorable grâce à Catroux, le plus habile des négociateurs. Le Liban recevra sa liberté et la France conservera son droit de regard.

Dans le secteur italien, contrastant avec l’avance russe, règne une apparente stagnation. Il semble qu’avant la tempête, c’est le calme où se prépare le grand coup ! De l’autre côté de l’Adriatique, le général Tito bouscule sérieusement les Nazis, mais dans la mer Egée, les Britanniques ont dû évacuer Leros et Samos. Sur l’océan, par compensation, les Alliés ont coulé 60 sous-marins en août, septembre et octobre, soit un total de 150 en six mois, et perdu la moitié moins de bateaux que durant la période précédente.

Dans les airs, l’aviation anglo-américaine a mis en éclipse totale la Luftwaffe, qui commence à manquer de carburant. Les destructions sont énormes et les pertes de vie se chiffrent à 102,886, en fin octobre, pour douze villes seulement. Sous des bombes de mille livres lâchées de mille avions, Berlin saute, flambe et croule. « Est-ce le châtiment. Dieu des armées ? »

En Asie, les Australo-Américains, ayant mis l’Australie à l’abri de l’invasion par leurs victoires et leurs captures, infligent de lourdes pertes aériennes et navales aux Nippons. II semble que ces derniers, qui traversent une crise politique avec le suicide de Nakano, se soient rangés à la seule défensive dans le Pacifique. Sentant d’où peut venir la défaite, ils tentent en Chine de nouvelles conquêtes, qui élimineraient le danger de bases aériennes à proximité de leurs villes de bois.

Pour sa part, le Canada réunit maintenant en Italie un corps d’armée au complet. Mais, dans nos villes, après les espions genre Simone, circulent encore des figures douteuses : des Otto Strasser, des Thomas Mann et des Eniil Ludwig. Que font ici tous ces Boches ? Voici qui est mieux : la Croix rouge canadienne continue de secourir les enfants grecs, d’envoyer des médicaments en Russie, des vivres à nos prisonniers de guerre et cent mille colis chaque mois aux prisonniers français laissés en Allemagne par Pétain et Laval.

Gustave Lanctot.

L`Action Universitaire, décembre 1943.

Revue publiée par l’Association Générale des Diplômés de l’Université de Montréal.

camp d'internement allemand

Prisonniers de guerre allemands dans une salle de classe du camp d’internement numéro 42, le 18 juin 1844. Source de l’image : Bibliothèque et Archives Canada.

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