L’abbé Falardeau : Il faut accepter la violence
Utilisant à son profit un passage de la Bible, l’abbé Hubert Falardeau a stigmatisé un auditoire de plus de 250 personnes en disant : « Bienheureux les violents, car ils raviront la terre. » Il faut des manifestations pour se faire entendre, a-t-il précisé, et il faut aussi accepter la violence. Depuis trois ans qu’il organise des manifestations et des réunions pour les gens défavorisés de la ville, le bilan de ce travail, selon lui, n’est autre que : « Rien de l’air. »
Il faut casser des vitres ! Pour que ça bouge au Canada – puisqu’on ne peut employer le mot Québec – a-t-il dit, on fera ce qu’il faudra ; on ne fera pas comme Abernaty, le leader noir pacifiste.
Cet appel à la violence de l’abbé Falardeau concerne-t-il seulement l’aspect social ou aussi l’aspect politique indépendantiste ? A demandé un journaliste.
Comparant le « Temple » au Québec et les « vendeurs » à l’éstablishment anglophone et fédéraliste, il a répondu : « Quand le Christ est entré au Temple, il en a chassé violemment les vendeurs à coups de fouet. »
Si la violence est le seul moyen pour s’exprimer et faire valoir ses opinions, a-t-il ajouté, nous la ferons. « J’ai essayé les autres moyens et ça n’a rien rapporté. »
La Société nationale populaire (SNP) organisait hier soir un panel au théâtre du Gesû. Outre l’abbé Falardeau, on notait la présence de MM. Jacques-Larue Langlois, journaliste ; Raymond Lemieux, président du Mouvement pour l’intégration scolaire (MIS) ; Me Serge Ménard, criminaliste ; Marcel Pepin, président de la CSN ; Me Henri Vinet, notaire et Me Robert Lemieux, criminaliste.
Monsieur Raymond Lemieux, président du MIS, répondant aux questions de l’auditoire a décrit la position de son mouvement sur la question scolaire et nationale à Saint-Léonard : précisant bien qu’il ne faisait pas un appel à la violence, mais une constatation, il a déclaré que si on continuait, pour des intérêts personnels financiers ou politiques, à mettre des bâtons dans les roues à la volonté populaire qui s’est clairement manifestée par l’élection de deux candidats du MIS et le référendum sur la langue d’enseignement, le groupement qu’il dirige céderait peut-être sa place à des « gens partisans de la violence pour faire valoir les idées de la majorité. »
Monsieur Lemieux a fait un bref historique des manifestations au Québec et devant l’ampleur de celles-ci, il a constaté que si l’escalade d’un côté et de l’autre continue, je crois que l’échéance, où il y aura révolution armée, est proche,
Me Robert Lemieux, qui s’est occupé de défendre certains néo-flquistes qui, sans avoir encore subi leur procès sont derrière les barreaux depuis plus de deux ans “parce qu’on leur a défendu tout cautionnement”, c’est dit d’avis que “nous assisterons bientôt à un affrontement total” au Québec entre les partisans de l’indépendance et de l’Ordre établi.
Pour sa part, M. Jacques-Lrue Langlais a admis qu’il faudrait peut-être en arriver à la solution de l’abbé Falardeau si on ne permettait pas aux défavorisés et indépendantistes de manifester. La manifestation, a-t-il dit, est le dernier recours qu’il leur reste pour faire valoir leur opinion puisque les média d’information sont à la solde des capitalistes et fédéralistes.
Les autres participants au panel ne sont toutefois pas allés aussi loin que les premiers. Tous, cependant, ont défendu le droit à la manifestation qu’on a comparé à un droit naturel dans une saine démocratie.
On ne s’est pas gêné pour attaquer la “sauvagerie” des policiers et la “teneur biaisée” des médias d’information sur l’événement du 24 juin.
Me Serge Ménard a voulu faire la part des choses en demandant aux participants de ne pas s’en prendre si durement aux policiers. Il a comparé la police de la ville au “bras” du corps, suggérant qu’on devait voir en le comité exécutif de Montréal la “tête”.
Pour sa part, le notaire Vinet a suggéré qu’on remplace le chef de police et qu’on modifie la loi qui lui donne arbitrairement le pouvoir de permettre ou de refuser la tenue de toute manifestation.
Quant au président de la CSN, M. Marcel Pepin, il a fait remarquer que la manifestation est une forme de dialogue. « C’est une conversation, a-t-il dit, qu’on veut forcer parce que l’autre ne veut pas nous écouter. »
« Le droit de manifester est un droit sacré dans notre société et le jour où nous accepterons que ce droit soit biffé, nous serons des lâches. »
Le thème du panel portait sur le droit à la manifestation.
(C’est arrivé le 22 juillet 1968. Texte publié dans le journal La Presse).
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