
Extension des frontières septentrionales du Québec et les autochtones
En 1898, puis en 1912, le Québec revendiqua et obtint l’extension de ses frontières septentrionales. C’est ainsi que son territoire fut délimité par la ligne de rivage, depuis la baie James jusqu’à l’est de la baie d’Ungava. Par cette extension territoriale historique, le Québec choisit de se différencier davantage encore du reste des provinces canadiennes car il intégrait alors une réalité géographique et humaine qui allait construire, durant la seconde moitié du XXe siècle, un fait politique marquant, celui d’ajouter à la question nationale québécoise, la nécessité d’assumer un destin nordique.
La question du Nord s’est ainsi articulée au Québec sur des choix stratégiques de développement régional, mais cette question est aussi devenue particulièrement exemplaire d’un nouveau type de conflit. En effet, des rivalités de pouvoirs antagonistes s’exercent aujourd’hui sur un même territoire au nom d’idéologie, de justifications et de représentations divergentes : celles de la minorité inuite, des Québécoise souverainistes ou libéraux, des Canadiens fédéralistes, de l’opinion internationale enfin…
Au Québec, l’idée d’une appropriation spatiale nordique n’était pas nouvelle. Elle avait construit, particulièrement depuis le XXe siècle, les fondements de la nordicité québécoise qui, comme l’avait démontré le géographe québécois Louis-Edmon Hamelin, constituait une partie de la matrice de l’identité nationale. Déjà, cette représentation québécoise des territoires nordiques, durant la seconde moitié du XIXe siècle, s’était nourrie d’un vaste mouvement de colonisation, dépassant les « pays d’en haut » pour affronter « le Nord » tout à la fis répulsif et régénérant, selon les termes du géographe québécois Christian Morissonneau.
Par cette intégration d’abord administrative, on avait symboliquement déplacé les frontières du mythe de la terre promise des confins du territoire québécois d’occupation historique aux limites septentrionales de l’espace national. Finalement, dès les années 1960, une question semblait se formaliser : le Québec pour devenir une nation, devait-il en permanence absorber de nouveaux Nords jusqu’à l’ultime frontière ?
La réponse ne tarda pas. Au début des années 1970, l’épopée du front pionnier de la baie James et l’exploitation des ressources hydroélectriques considérables du Moyen Nord de la province nourrissent alors le temps de la géographie héroïque moderne. Ce nouveau cycle pionnier engendra une certitude populaire : la viabilité de l’ambition nationale contemporaine québécoise dépendait bien en partie de sa capacité à exploiter les ressources nordiques. Nous étions passés en moins d’une décennie d’une vision politique passive, celle d’administrer le Nord, à un projet politique pionnier et actif, celui de mobiliser de gigantesques moyens pour en exploiter les richesses énergétiques.
Ce qui provoqua cette décision historique, c’est d’abord une collision frontale de représentations spatiales contradictoires du Nord. L’analyse de cet antagonisme demeure le socle d’une lecture géopolitique car,, jusqu’alors, le Québec ne s’était finalement heurté dans son projet nordique, et mollement encore, qu’aux gardiens du temps des prérogatives fédérales.
Le choc du projet de la Baie-James, c’est l’entrée en scène d’un nouvel acteur qui ne quittera plus le roman géographique nordique québécois : l’autochtone, l’indien cri de la Baie-James, l’Inuk des rivages arctiques.
Cet acteur, en l’espace de quelques mois, va rompre avec l’immobilité du temps nordique, en formalisant des revendications considérables, territoriales, culturelles, économiques, en formant une élite politique assistée d’avocats et en déclarant défendre une autre vision du Nord. Pour prendre une métaphore théâtrale, il semble qu’à ce moment, et quelles qu’étaient les stratégiques contradictoires des acteurs en présence, le Nord québécois entrait dans la même unité de temps (politique et de lieu (l’espace national). L’écho autochtone de cette ambitieuse vision du Nord vint donc troubler durablement le projet québécois.
En altérant les fondements intégrateurs de la régionalisation des territoires septentrionaux, les revendications territoriales et identitaires des minorités autochtones cries et inuites, au nord du 49e parallèle, engagèrent la province, dès le début des années 1970, à redéfinir sans cesse sa lecture d’une « question nordique » qui devint durablement un « problème nordique ».
Les trente dernières années du XXe siècle québécois, qui ont vu alterner au pouvoir gouvernements souverainistes et fédéralistes, ont été ainsi profondément marquées par l’installation d’une double ambition sur l’avenir du Nord. L’enjeu nordique, d’abord de nature énergétique, semblait contribuer à l’avenir économique et industriel provincial. Aussi, la mise en forme politique d’une ambition nationaliste québécoise conditionnait d’autant les stratégies de régionallisations arctiques en modifiant ses représentations endogènes. Dans la même unité de temps politique, les minorités inuites du Canada et, particulièrement, les élites inuites du Québec recomposaient brillamment l’hypothèse géopolitique d’un territoire arctique redécoupé en vastes régions accédant à une forme originale d’autonomie.
(Éric Cannobio. Géopolitique d’une ambition inuite. Le Québec face à son destin nordique. Les éditions Septentrion, 2009.)

Facebook
Twitter
RSS