
Violons anciens et violons modernes
par Jean-Jacques Le François
Toute chose vieillit, se désagrège, et disparaît.
C’est dans l’ordre et rien n’échappe à cette loi de la nature.
Une croyance populaire veut cependant que le violon fasse exception à la règle. Bien plus, au lieu de subir « des ans l’irréparable outrage », il deviendrait meilleur avec le temps. C’est ainsi que, périodiquement, il est question, dans les journaux, du prix fabuleux de tel violon ancien que l’on vient de « découvrir ».
Le violon est né en Italie, vers 1550. Deux luthiers de Crémone, Andréa Amati et Gasparo da Salo, avaient imaginé de modifier la viole en la réduisant de grandeur, en voûtant la table de fond (qui était plane dans les violes), et en portant de sept à quatre le nombre des cordes. Ils obtinrent ainsi un instrument nouveau, remarquable par sa sonorité brillante : le violon.
Et Stradivarius parut. Élève de la famille Amati et artisan remarquable, il a laissé des chefs-d’œuvre qui n’ont été approchés que par les violons de Guarnerius et de Jacques Bockay.
Les autres luthiers des XVIIe et XVIIIe siècles ont peut-être fabriqué quelques bons instruments mais pas un n’a égalé le maître de Crémone.
Cela se passait il y a trois cents ans. Il est donc normal qu’aujourd’hui, s’ils existent encore, les violons italiens soient vermoulus, décrépits, fendus, bourrés de colle et de taquets, sinon en morceaux.
Ils ont servi pendant des siècles. Ils ont fait le plaisir des Dames et des princes. De pauvres bougres les ont raclés aux carrefours et dans les cafés. Leur temps est fait. Ils ont vécu. Ils sont finis, morts, durcis, desséchés par les ans. Ce sont des cadavres, des momies, qui n’ont de valeur qu’au point de vue antiquité. Et c’est une formidable absurdité de prétendre qu’avec les siècles, ils ont acquis puissance et sonorité.
Et puis. Stradivarius travaillait pour gagner sa vie. Il n’entreprenait pas la construction d’un instrument pour les siècles futurs mais pour le client qui le lui avait commandé. Et les clients du grand Antonio se recrutaient parmi les princes et les grands musiciens de son temps (Entre autres, Corelli et Vivaldi). Car Stradivarius, de son vivant, jouissait d’une grande réputation. C’est donc que ses violons – neufs – étaient d’excellents instruments.
De même, il est illogique de soutenir que nos artisans modernes soient incapables de faire mieux que les ouvriers italiens. Car, enfin, tout a progressé. Y compris la fabrication des instruments de musique. Ceux qui ont vu les instruments de M. Henri Selmer – ses hautbois, ses flûtes, par exemple – ont pu se rendre compte du très haut degré de perfection atteint par nos luthiers modernes. Pourquoi le violon ferait-il exception ?
Ah non ! Les maîtres luthiers du vingtième siècle, Paul Kaul en tête, ont démontré qu’ils pouvaient faire mieux que les menuisiers italiens dont pas un, sauf Stradivarius, n’a su faire un travail fini.
On entend dire que les anciens possédaient un vernis merveilleux qui conférait aux violons une sonorité magnifique et beaucoup de puissance. Malheureusement, la formule du vernis magique serait perdue.
Fantaisie ! Le vernis n’est qu’un bouche-pores. Il rend la caisse sonore de l’instrument imperméable au son qui ne doit s’en évader que par les ouïes. Et puis, comme tout vernis, il protège le bois et lui donne une teinte agréable.
Quant à la formule de Crémone, il suffit de dire que nous avons à notre disposition, aujourd’hui, tous les ingrédients dont les luthiers italiens pouvaient se servir dans la fabrication de leurs vernis – térébenthine de Venise, gomme lacque, copal d’Angola, succin, aloès, gomme gutte, safran, essence de lavande, colophane, huile de lin, huile de ricin, bitume de Judée, etc. — et que toutes les combinaisons imaginables ont été expérimentées.
Si le vernis explique tout, comment se fait-il que tous les instruments anciens vernis au Crémone ont, entre eux, de grandes différences de puissance et de sonorité? Et encore, si le vernis explique tout, il suffirait de vernir au Crémone l’un de ces vulgaires violons fabriqués en série dans les usines japonaises, allemandes ou tchécoslovaques, pour en faire une merveille ?
Quel que soit le vernis utilisé – à condition que ce soit un vernis de luthier et qu’il soit appliqué en couches minces – il ne changera à peu près rien à la puissance, et à la sonorité de l’instrument.
La vérité, c’est qu’un violon sort de l’atelier bon ou mauvais. Les siècles et le vernis n’y ajoutent rien. Il se peut qu’à ses débuts, un instrument ait besoin d’un réglage. C’est normal. Et il ne faut pas en être scandalisé (on dit que le « Kreutzer » de Stradivarius a été rebarré onze fois en cinquante ans). Après cela, il sera bon pour longtemps.
La supériorité des vieux violons n’est qu’une mystification. Paul Kaul nous en montre l’origine dans son ouvrage intitulé « La Querelle des Anciens et des Modernes » :
« C’est J.B. Vuillaume, brocanteur génial, qui inventa et répandit le dogme de la supériorité italienne. Tarisio, son rabatteur, fit, dans toute la péninsule, la chasse aux vieux instruments ; il rafla tout, jusqu’aux débris. Et Vuillaume, dans son atelier rue Croix-des-Petits-Champs, puis dans son usine de la rue Demours, aux Termes, se livra avec allégresse à la plus fructueuse des opérations de prothèse. Il maria sans vergogne le bois neuf avec le bois vieux, fabriqua de l’ancien, en veux-tu? en voilà! et organisa une réclame savante et adroite qui passa pour un zèle artistique très méritoire. J.B. Vuillaume fut riche et honoré. Quelques bons violons neufs ont fait sa réputation de luthier ; ils sont l’œuvre de Barbé, de Bailly et d’autres pauvres bougres qui travaillèrent chez le grand homme à des prix de famine et moururent dans la misère, ignorés comme il convient. Un de ses bons instruments, joué par Sivori, put au moins servir à démontrer que la lutherie moderne est capable de satisfaire à toutes les exigences des virtuoses.
« À partir de Vuillaume, les marchands exploitèrent à fond la crédulité publique qui a besoin de légendes et d’idoles : Les Italiens, bons ou mauvais, atteignirent rapidement des prix tels qu’on ne put se dispenser d’en fabriquer de faux ».
Par exemple, les Guadagnini – qu’on dédaignait il y a trente ans – sont à la mode. Alors, on fabrique des Guadagnini. Et les faux Guadagnini pullulent !
Lorsque, dans une salle de concerts, vous entendez vanter les qualités sonores de l’instrument joué par l’artiste, approchez, allez voir le violon de près. Vous constaterez, la plupart du temps, que l’instrument est très bien « conservé », sans cassures. Vous avez devant vous un violon moderne déguisé en « vieux » et exécuté par quelque bon luthier de France.
Les certificats d’authenticité? Ceux qui les délivrent ne sont jamais des maîtres luthiers, mais des trafiquants qui n’ont jamais vu détabler un violon.
Il y a conspiration contre les instruments modernes. Cela se comprend. La légende des vieux violons est une trop belle source de bénéfices pour les brocanteurs et leurs agents pour qu’ils la fassent disparaître de l’esprit des masses. Au contraire, on accentue la réclame. Puisque ça paie !
Et les journaux à gros tirage fournissent à leurs lecteurs de fantastiques et abracadabrantes histoires de vieux violons.
En 1919, cependant, Lucien Capet a ébranlé la foi de plusieurs en jouant un violon moderne de Paul Kaul. Voici, relaté par le maître luthier lui-même, comment cela s’est passé : « Enfin, l’instrument parfait, celui qui fait oublier l’amertume de tant d’échecs précédents, le violon à la voix d’or est achevé. Il est digne du plus grand de tous les artistes, et Lucien Capet consent à le jouer en 1919. Les partisans du passé vont-ils s’incliner? C’est leur demander de renier les dieux qui exigent une adoration sans partage. Le violon moderne devra s’humilier, se déguiser, prendre la livrée et l’étiquette du Guarnerius et ce n’est qu’à l’abri d’un truquage et d’un mensonge qu’il osera chanter Beethoven en public. Moyennant ces précautions il reçoit un accueil triomphal. C’est le violon qu’il vous faut, disent les « connaisseurs », au violoniste imperturbable, et le généreux anonyme qui vous a fait ce cadeau mérite d’être loué sans réserve à la fois pour sa munificence et pour son discernement. Les concerts se succèdent; le triomphe s’affirme jusqu’au jour où je me décide à dénoncer la supercherie. Dans une lettre qui consterne les tenants de l’art italien, Lucien Capet confirme mes déclarations et en accentue la portée, car il met l’instrument au-dessus de tous les anciens. Aussitôt, changement d’avis. On a senti le danger. L’art italien discrédité, c’est le Pactole tari, c’est l’acheteur qui, désabusé, fuit la boutique du brocanteur. C’est Cappa, Grancino, Testore et tous les menuisiers d’outre-monts dans la poubelle, c’est l’étiquette italienne démonétisée comme un vieil assignat. « Ah! Mais non, il y a eu maldonne, ce Capet, quel talent! avec un crin-crin de ménétrier, il vous donne le frisson! »
Mais Capet envoya sa photographie à Paul Kaul avec cette dédicace: « Au grand luthier Kaul! l’inimitable, avec toute ma reconnaissance pour ses violons qui ont été pour moi une révélation. (signé) Lucien Capet (1919) ».
Et dans le numéro du 1er février 1920 du « Monde Musical », le maître des maîtres violonistes écrivit ceci : « Je suis en possession d’un violon extraordinaire que le maître luthier Kaul a fait tout spécialement pour moi. Je résumerai ma pensée en disant que parmi les plus beaux instruments italiens qui me sont passés par les mains, je n’en connais aucun qui puisse rivaliser avec le nouvel instrument. C’est un modèle que Kaul vient de créer spécialement pour moi et j’estime que s’il peut reproduire le même spécimen, il se place en tête, non seulement de toute la lutherie, mais de celle de tous les temps ! Voilà un mois que je joue cet admirable violon dans différentes salles de concerts et je ne puis plus m’en détacher. (signé) Lucien Capet ».
Jusqu’à sa mort, en 1928, Lucien Capet a joué sur des violons Kaul. Au mois de juin 1931, le célèbre violoniste et compositeur, Georges Enesco, eut à l’essai, pendant quelques jours, un violon Kaul. Il s’attacha tellement à l’instrument qu’il l’acheta et l’emporta en Amérique.
« Ce qui est de première importance pour l’histoire de la lutherie, écrit le Docteur Persyn\ et le plus magnifique éloge pour Kaul, c’est que M. Enesco délaissait, pour un violon moderne, son « fameux Guarnerius coté un million de francs ».
L’année suivante, le maître commanda un second violon du même type. Et depuis 1931, Georges Enesco joue toujours un Kaul. Yehudi Menuhin, jouant avec Enesco le concerto en ré mineur, pour deux violons et orchestre, de J.S. Bach, lors d’une prise de disque (Columbia), fut tellement impressionné par la belle voix du second violon qu’il en demanda un semblable à Kauf.
Notons, en passant, que Paul Kaul vend ses violons. Les nombreux artistes qui possèdent un de ses instruments Font acheté. On sait que, pour des fins publicitaires, les antiquaires font souvent cadeaux d’instruments anciens aux artistes.
Et voici une lettre » du virtuose polonais Nicolas Niemczyk: « Je possède un violon du maître luthier Paul Kaul que je considère comme supérieur à tous les violons anciens et modernes que j’ai joués pendant toute ma carrière artistique, (signé) Nicolas Niemczyk ».
Qui donc est ce Paul Kaul, dont les instruments superbes font la joie des virtuoses et la rage des brocanteurs? Un Français. Né à Mirecourt – la Crémone française -, le 12 décembre 1875. Il vit encore. Son père était luthier. Son grand père était luthier.
Paul Kaul ne s’est pas contenté de copier servilement les anciens. Il a travaillé, étudié, cherché, afin de créer. Il a réussi.
Ses instruments – j’en ai eu plusieurs entre les mains – tant au point de vue lutherie qu’au point de vue sonorité et puissance, sont des merveilles. Paul Kaul fait honneur à la France.
Jean-Jacques Le François,
Licencié en sciences sociales, économiques et politiques.

Violons de la Nouvelle-France. Photo de GrandQuebec.com.
Voir aussi :
Bonjour j aimerais savoir ou m informer pour des violons que j aimerais vendre ; des Antonius Stradiuarius Cremonenlis 17.. et un autre Antonius Stradivarius Cremonensis 1713 made in Czechoslovakia et un autre c est seulement ecrit dedans ;Art no 1433 annee 1979 made in china merci j attends de vos nouvelles