Maurice Chevalier : 4 fois 20 ans « Récital d’adieu? Peut-être… »
En tout cas, si Maurice Chevalier n’avait pas fait certaines allusions à l’idée que c’était « la dernière fois », nous n’aurions jamais eu l’impression qu’il présentait, effectivement, son dernier récital devant nous, le 7 septembre 1968.
Maurice Chevalier a donné tout simplement un excellent tour de chant traditionnel, comme il en donne depuis les années, que dis-je : depuis des générations!
Il n’est jamais tombé dans la nostalgie et il n’a pas montré de signes de fatigue, il a été, encore une fois, tout simplement prodigieux.
Je me permettrai de le taquiner un peu en parlant de « déformation professionnelle ». Maurice Chevalier a en effet tellement de métier qu’il ne pouvait se permettre, même en cette « dernière fois », d’être inférieur à lui-même. Il a été impeccable du commencement à la fin, exactement comme un employé silencieux qui fait sa pleine journée de travail, même si cette journée est sa dernière.
Cela n’est pas un récital d’adieu
Non, ce n’est pas un récital d’adieu, avec tout ce que cela comporte, que Maurice Chevalier a donné samedi soir: c’est un tour de chant régulier, bien monté et bien présenté, sans bavure et sans hésitation, en fait un tour de chant autrement plus divertissant que ceux que nous donnent à longueur de saison certains soi-disant « grands » du music-hall qui ont la moitié de ses années mais qui, malheureusement, n’ont pas la moitié de son métier.
J’ignore quelle force mystérieuse et invisible maintient Maurice Chevalier dans une telle forme, mais samedi soir, il nous a encore une fois émerveillés. Par son énergie, par sa lucidité, par son extraordinaire métier, bref, par sa jeunesse que l’on dirait éternelle. Le visage frais, le sourire franc et jeune, l’œil et le geste rapides, la mémoire infaillible, en somme, on ne croirait jamais que l’artiste qui est là devant nous aura 80 ans dans quelques jours. Ce n’est tout simplement pas possible. La vérité serait plutôt que Maurice Chevalier a quatre fois 20 ans!
Je suis ennemi de la formule qui veut que, pour être poli, ou aimable, ou bien élevé, on ait recours, en pareilles circonstances, à des expressions toutes faites qui ne veulent rien dire. Le cas Maurice Chevalier tient décidemment du miracle. D’accord, je n’irais pas jusqu’à dire qu’il pourrait continuer indéfiniment à faire ce métier, mais ce que nous avons vu ce samedi soir à la Place des Arts, c’est un artiste en pleine forme, quittant le plateau avant qu’il ne soit trop tard.
(Publié dans La Presse, le 8 septembre 1968, de l’auteur inconnu).
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