L’éducation musicale au Québec
L’Université s’en préoccupe
par Eugène Lapierre
Des fondations nouvelles et des événements singuliers ont depuis quelques années attiré l’attention des intellectuels sur l’importance de la musique. Montréal, hier encore dépourvu de symphonie, en possède maintenant deux qui fonctionnent avec régularité ; les Virtuoses Canadiens, que nous avait enlevés l’étranger, nous sont revenus : une troupe d’opéra comique et d’opérette, les Variétés Lyriques, parvient a se maintenir et l’on parle d’un Opéra Comique de Montréal ! Enfin, pour ne pas tout énumérer, nous ne mentionnerons qu’un autre groupe nouveau-venu, la courageuse Société Casavant qui espère donner en 1940-41, une autre saison de récitals d’orgue. Bref, le mouvement musical s’accentue a Montréal et il faut s’en réjouir.
À l’occasion de tout ceci, un travers psychologie est à signaler : celui de toujours voir, dans les institutions qui naissent, des défis narquois a l’existence des autres institutions, institutions qui luttent souvent dans des sphères beaucoup plus difficiles et qui ne peuvent compter, notamment, sur le snobisme…
II y a en musique – ne l’oublions pas – tout le domaine de l’enseignement. Force est bien de constater qu’il n’y a guère d’amélioration de ce côté-la, malgré les manifestations nouvelles énumérées plus haut, malgré aussi l’activité inconcevable de la radiophonie. Conséquemment, nous voulons cette année, de temps à autre, attirer l’attention du public universitaire sur l’importance de l’éducation musicale, importance qui passe de beaucoup celle des institutions de concert. Celles-ci, en effet, dépendent de celle-la. Si l’on néglige l’enseignement musical et son organisation, les grands orchestres, les théâtres lyriques, les stations radiophoniques pourront un jour constater une telle pénurie de musiciens, qu’on devra faire appel aux artistes étrangers. Il faut prévenir pareil danger. Au lieu de toujours crier à l’abus on doit supprimer les conditions qui le font naitre. Or dans l’état actuel de l’enseignement, une musique bien a nous ne peut se développer.
Pour qu’une telle musique puisse apparaitre, l’aide universitaire est nécessaire; nous croyons que l’Université a, là, une mission d’orientation, nous croyons qu’elle seule peut donner aux musiciens la culture nécessaire à constituer un corps de doctrines. Ce n’est pas tout de jouer des gamines, d’exécuter des airs de coloratura ou de réussir des variations casse-cou sur la flute – si joli que tout cela soit! II faut aussi voir à former les compositeurs essentiels et à leur donner une culture. Par bonheur, l’Université s’est émue de la situation: une commission s’occupe actuellement d’uniformiser les programmes des six écoles de musique qu’elle s’est annexées depuis 1923. C’est un effort notable et depuis longtemps désiré.
Le Conservatoire National étudie présentement un autre projet plus immédiatement pratique, celui d’inviter cette année les élèves de toutes les facultés de l’Université et même les professeurs qui pourraient jouer un tant soit peu d’un instrument d’orchestre, a se réunir une fois par semaine à la Bibliothèque St-Sulpice aux fins de constituer peu à peu un orchestre universitaire. Plusieurs sociétés de ce genre ont vu le jour récemment aux États-Unis. M. Angelo Fassio, chef d’orchestre de New-York, vient d’offrir sa bibliothèque musicale au Conservatoire (plus de cinq cents œuvres) et il se met au service de tous ceux qui voudraient se joindre aux élèves du Conservatoire pour faire une étude sérieuse des belles œuvres du répertoire. On a trouvé aux États-Unis que lorsqu’un esprit est cultive, l’art musical lui est plus facile qu’a d’autres et que l’expression, que le style s’en ressent. II s’agit la d’une tentative qu’on ne pourra s’empêcher de trouver intéressante.
La musique est une culture de plus en plus nécessaire. Deux autres sphères doivent être au premier plan de nos préoccupations, si nous voulons agir de façon efficace sur révolution de la musique chez nous. Ce sont le domaine de la musique religieuse et celui du folklore.
Tous deux sont à la base de la constitution d’une École digne de ce nom. L`École russe, entre autres, dont l’ascension fut si rapide ne s’est pas autrement constituée. Ici, notre actif est réel. D’autres que nous, et c’est heureux, ont reconnu le talent de la musique religieuse aux Canadiens-français. Les évêques américains, depuis soixante-quinze ans, sont constamment venus chercher dans la Province de Québec leurs organistes ou leurs maîtres de chapelle, quand ils se proposaient des reformes.
Encore aujourd’hui, un diocèse entier, celui du Vermont, est tributaire de l’Université de Montréal pour la reforme de la musique dans ses quatre-vingt-six paroisses.
N’oublions pas que la seule œuvre élaborée et reconnue que nous ayons produite est d’inspiration religieuse: Jean le Précurseur, de Guillaum Couture. N’oublions pas non plus que Montréal a plus d’orgues a trois claviers que Londres et Paris réunis, – si extraordinaire que cela paraisse et si souvent que nous l’ayons écrit – inutilement !
Enfin nous dirons, en terminant , un mot du folklore. Ce sera à l’effet de féliciter la Société Saint-Jean-Baptiste et M. l’abbé Charles-Émile Gadbois de Saint-Hyacinthe des concours de chansons populaires qu’ils ont organisés.
La réussite de la Bonne Chanson de Saint-Hyacinthe est miraculeuse. Plus de 10,000 familles reçoivent la Revue! Ceux qui se trouvaient au concert du Pare Lafontaine, le lundi soir, 12 aout dernier ont été témoins de l’enthousiasme qui circulait parmi une foule de plus de cinq mille personnes a qui Ton faisait chanter nos vieux refrains ! Ceux-la ont compris l’utilité du folklore pour l’éducation musicale de la foule et même pour son éducation tout court. La musique peut être une culture en bas comme en haut !
Eugène Lapierre.
Directeur du Conservatoire National
L`Action Universitaire, septembre 1940.

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