Le Québec en balade
La baladodiffusion est un mode de distribution médiatique né de deux développements technologiques récents. Elle s’explique d’abord par l’ubiquité des lecteurs MP3 portatifs, le iPod d’Apple en tête. Le deuxième ingrédient est la mise au point de la distribution électronique de fichiers RSS (Really Simple Syndication), permettant au lecteur de s’abonner et de recevoir automatiquement les nouvelles parutions.
D’après Sylvain Grand’Maison, créateur de l’émission Le Québec en baladodiffusion1, l’effervescence du format s’explique par sa flexibilité. «Le podcast, c’est ce qu’on en fait.» De prime abord, les émissions produites ne sont pas limitées à un temps de diffusion défini, puisqu’elles sont archivées sur un site Internet. Ensuite, c’est le créateur qui décide de la durée de sa production. En plus de ces deux avantages, la baladodiffusion offre selon Grand’Maison une plus grande liberté d’expression: «La radio est rendue tellement aseptisée que le podcast devient la solution pour ceux qui cherchent des gens qui ont quelque chose à dire.»
La plupart des créateurs ont d’abord été auditeurs avant de passer de l’autre côté du microphone. Laurent LaSalle, auteur de l’émission Headphones Required/Mets tes écouteurs2, confie que c’est surtout en écoutant This Week in Tech3 et Diggnation4 qu’il lui est venu l’idée de faire une baladodiffusion équivalente francophone. Il délaisse la technologie au profit de la musique lorsque son émission québécoise préférée, le Vu d’ici/Seen from here podcast5 adopte une cadence de publication ralentie. «Plutôt que de demander des comptes à quelqu’un qui se donnait la peine bénévolement de divertir mes oreilles, j’ai préféré produire ma propre émission pour combler le vide.»
Questions de langue et de public
Face à la francophonie du Québec, la prédominance de l’anglais dans le reste du Canada ainsi qu’aux États-Unis crée une certaine tension vis-à-vis du choix de la langue. Grand’Maison, qui compile une liste des émissions québécoises qu’il découvre au fil de ses furetages, estime que près de la moitié des productions (entre trente et quarante) sont exclusivement en anglais. «Au Québec, affirme Grand’Maison, la langue peut être une barrière et ceux qui ont eu le génie de démarrer assez tôt à faire du podcasting ici l’ont fait en anglais. […] Ce sont d’ailleurs eux qui ont le plus d’auditeurs.»
Il défend aussi l’importance d’un contenu en langue française produit au Québec : «Si tous les gens qui ont un contenu de qualité se mettent à faire leurs trucs en anglais, que reste-il pour les francophones? Faudra-t-il se tourner vers la France?» Le français permet de trouver un créneau et d’attirer les francophiles d’un peu partout à travers le monde. En guise d’exemple, Grand’Maison raconte: «J’ai reçu un courriel d’un gars qui habite au Koweït depuis huit ans. Il était simplement content d’avoir des nouvelles du Québec.»
Certains programmes optent pour le compromis et communiquent de façon bilingue. C’est le cas de Headphones Required/Mets tes écouteurs, où chaque segment alterne entre le français et l’anglais. «Plus de la moitié de mes auditeurs se trouvent dans des pays anglophones. Je considère donc, affirme LaSalle, que le bilinguisme est primordial pour maintenir ou augmenter mon auditoire.»
Les considérations linguistiques influencent aussi les interactions entre le Québec et le reste du pays. Grand’Maison, qui assistait récemment au rassemblement PodCamp Toronto, relate une expérience positive. «Comme francophone à Toronto, j’ai été très bien accueilli», confie-t-il. «La communauté du podcast est très généreuse, au Canada du moins. Il y a vraiment une grande fraternité, une grande entraide entre les gens. [Si] tu poses une question à un podcaster, c’est sûr qu’il va te répondre dès qu’il va le pouvoir, en donnant plus d’informations que tu n’en demandes.»
Petit à petit, les collaborations nationales commencent à prendre forme. Certains répertoires font découvrir aux francophiles les productions de la province. Par exemple, le Canadian Podcast Buffet, une émission anglophone visant à promouvoir les créations à travers le pays, accueille toutes les propositions. L’animateur de cette émission, Bob Goyetche, est bilingue; il fait la description des programmes qui lui sont envoyés dans la langue dans laquelle ils sont écrits.
Les aléas de la légalité
Trouver de la musique propre à la diffusion sans répercussions juridiques (c’est-à-dire sans violation de droits d’auteur) est un défi important de la préparation d’une émission. Pour répondre à ce besoin, des portails de musique gratuite ou modique comme Jamendo ou GarageBand ont été créés. La licence Creative Gommons permet le partage et la diffusion de ces créations: «C’est devenu rapidement une porte de sortie pour ceux à la recherche de musique podsafe», explique LaSalle.
Cette recherche d’airs pouvant être joués librement offre néanmoins une occasion d’interagir avec la scène locale et indépendante. «Il y a des hasards que je rencontre, raconte Grand’Maison, des petits groupes montants qui me donnent le droit d’utiliser leur musique pour un show. Ça fait un peu de pub pour eux gratuitement puis en même temps, ça me fait trouver du contenu unique.» De nombreux groupes ont aussi établi leur présence virtuelle sur MySpace, et ils sont en général inclinés à partager leurs créations.
Les frontières de la distribution électronique étant ambiguës, les animateurs ne savent pas toujours s’ils peuvent s’approprier les échantillons musicaux que certains groupes offrent sur leur site Web officiel. «Il y a une zone grise, explique LaSalle, où il est considéré tolérable de diffuser une pièce musicale disponible en téléchargement sur le site officiel.» Cela dit, la communication s’avère souvent fructueuse: «Je préfère demander directement à l’artiste ou l’étiquette en question la permission de diffuser des chansons tirées de leur catalogue (blanket license). À ma grande surprise, la grande majorité me donne l’autorisation, et certains d’entre eux vont même jusqu’à m’offrir des disques promotionnels.»
Tous les échanges ne sont pas concluants pour autant. Souhaitant diffuser «Montréal» d’Ariane Moffatt dans le cadre d’une émission spéciale de la Saint-Jean Baptiste, LaSalle dit «avoir été bombardé de questions au compte-goutte» par Audiogram. Déçu, il ajoute que même après avoir répondu à toutes ces questions, il n’a encore obtenu aucune réponse aujourd’hui (mars 2007).
Évocation vocale
L’attrait de la nouveauté peut expliquer la croissance de la baladodiffusion, mais c’est sa dimension sociale qui assurera sa pérennité, croient plusieurs. Selon les créateurs, ce format implique une certaine complicité entre l’auditeur et l’animateur. «On ne parle pas souvent de la relation de proximité qu’il y a avec le po-dcast, affirme Sylvain Grand’Maison. Le podcaster parle de façon beaucoup plus personnelle, plus naturelle. On se sent impliqué dans ce que les gens vivent.» À la différence des autres médias, l’écoute est plus active: «II y a un travail qui est fait par la personne qui écoute de reconstruire dans sa tête l’image de ce qu’elle entend.»
La proximité, au final, se traduit en une relation de confiance. « Je pense que les auditeurs ont tendance à accorder beaucoup plus d’importance aux choix musicaux d’un simple bénévole comme moi», soutient LaSalle. «[Les étiquettes québécoises underground] comprennent le médium, ce qui est très motivant. Devoir constamment m’assurer d’avoir les autorisations nécessaires me force la plupart du temps à encourager les musiciens indépendants, au bénéfice de mes auditeurs.»
Pour ceux qui seraient tentés par l’expérience, Grand’Maison appelle à l’ouverture d’esprit: «On ne peut pas avoir les mêmes attentes que l’on a envers une radio, s’attendre à tout et aussi à rien. Autant tout est possible en podcasting, autant rien n’est possible.» ®
1 quebecbalado.com
2 metstesecouteurs.com
3 twit.tv
4 diggnation.com
5 mcturgeon.com/blog
6 canadianpodcastbuffet.ca
Par Mathieu Ménard
Le Délit, diffusion libre sous condition de citer l’auteur et le journal.