Les sous des buandiers chinois de Montréal se transforment en canons
La Chine s’éveille!… le Dragon Sacré du Céleste Empire sort enfin de son long sommeil pour faire face à l’envahisseur japonais. Dans tous les pays de l’univers, les descendants de Confucius se désintéressent de leurs fers à reposer ou de leurs chop-sueys pour suivre les évènements qui bouleversent l’Extrême-Orient. À Montréal, les clans de Tongs oublient leurs querelles intestines et la métropole est témoin d’un spectacle qu’elle n’a jamais connu : la colonie jaune enfin unie.
Il n’est plus question de Dart Koon ou de Chee King Tung : finis les chamaillages au sujet de loteries ou fumeries d’opium : les Chinois se révèlent ardents patriotes et leur unique but est maintenant de venir en aide à leurs frères qui là-bas, dans les rizières et les champs de pavots versent leur sang pour défendre le sol des ancêtres.
La Chine n’a pas besoin d’hommes. Elle en a même trop. Ce qu’elle réclame, c’est de l’argent, ce sont des munitions!
Rue de La Gauchetière
Depuis quelques jours, la rue La Gauchetière où ont élu domicile ces impassibles petits hommes à pommettes safran, est en effervescence. Tout le long du jour. les piétons peuvent voir se presser, angle des rues Clark et Lagauchetière, buandiers et restaurateurs, affairés à lire les plus récentes nouvelles du front de Tien-Tsin, affichées sur un immense tableau noir.
Peu de commentaires: les Orientaux n’aiment pas bavarder inutilment. On hoche la tête, les petits yeux bridés brillent de joie ou de colère, puis chacun regagne son chez-soi, déguster le riz du souper ou boire quelques minuscules tasses de thé.
Les Chinois de la colonie locale ne se contentent cependant pas de s’intéresser passivement à l’invasion nipponne. Ils veulent agir sans tarder. Leur cri de guerre n’est pas « aux armes, citoyens », mais plutôt, « à la banque, citoyens! »
Souscription publique
L’Association de Bienfaisance Chinoise, fondée en 1932 lors de l’occupation de la Mandchourie par les Japonais, est déjà en pleine action. Une souscription sera faite incessamment parmi les sujets chinois domiciliés parmi nous afin de prélever les fonds nécessaires à l’achat de munitions. Les sous péniblement gagnés à décrasser les chemises des Faces-Pâles ou accumulés à rôtir près des fourneaux. seront transformés en balles. en mitrailleuses, en canons, en remèdes pour les blessés. C’est une souscription nationale dans toute l’Amérique et ceux de Montréal entendent bien faire leur part.
Rassemblement
L’un des organisateurs les plus influents chez les Nationalistes, M. George Wong, vient d’être élu déléguée à Nankin où se réuniront les représentants des diverses colonies asiatiques d’Amérique, dans le but de donner une nouvelle constitution à la Chine.
Le général Chiang Kai Shek dont les armées sont beaucoup plus disciplinés et modernisées qu’on puisse le croire, ne réclame pas d’hommes. Il n’existe aucun recrutement de volontaires hors du pays envahi. Les troupes sont même trop nombreuses et la nourriture fait défaut. Ce qu’il faut, et d’urgence, ce sont les précieux dollars, base de toute guerre. L’armée chinoise est puissante, mais les ravitaillements sont rares: les munitions font défaut, et l’on a beau pressurer de taxes les malheureuses populations du territoire envahi, les ressources financières s’épuisent rapidement. II faut en toute hâte acheter des uniformes, des fusils, des avions, des chars d’assaut: lorsque ce but sera atteint, le Japonais sera chassé du sol qu’il occupe sans déclaration officielle de guerre.
La Chine s’éveille ?
Depuis des siècles la Chine subit le joug des puissances étrangères, mais les divisions intestines ont toujours été la cause des humiliations imposées. Les Mongols et les Tartares mirent à feu et à sang les provinces conquises. La civilisation des fantassins du pays du Soleil Levant n’amena guère de changements. Anglais, Français, Allemands et Russes se sont emparés tour à tour du monopole de l’industrie, puis voici que le Japon s’en mêle, désireux d’étendre ses possessions.
Les Chinois endurcissent sans trop maugréer domination étrangère, mais se rebiffent dès que leur enne- mi héréditaire veut empléter sur leur patrie. Les Japonais remportent certains succès, mais leurs victimes ne s’en font pas, confiants que tôt ou tard, même s’il faut pour cela attendre dix, vingt ou trente ans ils sauront submerger par leur supériorité numérique les fils du Mikado. C’est d’ailleurs ce qui se produit déjà en Mandchourie et dans le Ébhol où ils épouseront les filles de paysans et de coolies. C’est la chrysanthème qui s’unit au lotus. Ce dernier se révèlera la plante la plus vivace.
La souscription nationale dans la colonie locale chinoise au Québec est déjà organisée. Les cotisations seront versées dès que possible et les Chinois de Montréal prouvent qu’ils comprennent le sens magnifique du mot patriotisme.
(C’est arrivé en août 1937).
Pour en apprendre plus :
- Le quartier chinois de Montréal
- La communauté chinoise au Québec
- La guerre entre le Japon et la Chine en 1937