Multiculturalisme

Pays Basque et le Canada

Pays Basque et le Canada

Pays Basque et le Canada

Par Claude de Bonnault

Il est un peuple en France qui n’est pas français, et même qui, en Europe, n’est pas européen. Un peuple à la destinée fabuleuse, venu à travers les siècles d’on ne sait où pour aller il ne sait où, du mystère au mystère, du plus lointain des âges au plus lointain de l’espace. Ce peuple, c’est les Basques, les Basques, amoureux de la mer, toujours hantés par le regret de l’Atlantique perdue, condamnés, de génération en génération, à poursuivre sur tous les océans l’insaisissable mirage d’un continent évanoui.

Peuple heureux, les Basques, d’avoir une histoire belle comme une légende, une histoire qui n’est qu’une longue légende.

Bayonne est le grand port du Labourd, du pays basque. Ciboure, Saint-Jean-de-Luz, Biarritz, le Cap Breton, en sont d’autres.

De Bayonne, de Ciboure, de Saint-Jean-de-Luz, de Biarritz, du Cap Breton, que de navires ont mis le cap à l’ouest. Et depuis combien de temps ! Depuis toujours peut-être… Au XIIe siècle, nous dit-on, la route de Terre-Neuve n’était déjà plus pour eux une route nouvelle. Et, depuis des générations et des générations, Terre-Neuve elle-même aurait cessé d’avoir pour eux aucune nouveauté.

Aux âges primitifs, des animaux ont parfois servi de guides aux migrations des peuples. Et le vol des palombes aurait très anciennement dirigé les pas des Basques. A Terre-Neuve, la baleine les aurait menés.

Mais ce n’était plus alors un conducteur sacré ; ce n’était qu’un gibier.

De bonne heure, devant les pêcheurs de la côte Atlantique, le poisson avait fui. De bonne heure les pêcheurs s’étaient lancés à la poursuite du poisson.

Et ils l’avaient retrouvé. Ils en avaient trouvé un autre, la morue. Loin, très loin, toujours plus loin, les avait entraînés la baleine. Au delà de Basques étaient descendus à Terre-Neuve. Au Canada, ils auraient abordé.

Aux Canadiens, indigènes, ils auraient appris leur langue. La France au XVI’ siècle régnait sur Terre-Neuve. La France, c’est-à-dire les Basques. De 1640 à 1712, la France a possédé une partie de l’île, la moitié quand ce n’était pas tout. Jusqu’en 1712, les Basques ont dominé à Terre-Neuve. Jusqu’en 1712, les Basques l’ont ravitaillée. Jusqu’en 1712, les Basques l’ont défendue contre les Anglais. Le 22 octobre 1712, le gouverneur des Français de Terre-Neuve cédait sa capitale aux Anglais.

Jusqu’au 10 octobre avaient attendu les capitaines basques pour s’éloigner de l’île condamnée. Les Basques avaient tenu jusqu’au bout.

Du Labourd à Terre-Neuve sont venus des Basques. En nombre. Du Labourd au Canada – quand le Canada s’est peuplé de Français – ont émigré quelques Basques. Fort peu. De Bayonne, de Ciboure, de Biarritz, des autres ports, ont été transportés au Canada plusieurs noms de famille comme on n’en rencontre qu’en pays basque, de ces noms aux formes étranges, aux consonances uniques au monde. Etchepare, Etcheverry, Irumberry, Salaberry, Etchinique. Bizarres assemblages de lettres portant en eux le secret d’une langue inconnue, l’énigme d’une race…

Aussi Jean-Baptiste d’Etchcverry avait-il cru devoir faire à sa clientèle la concession de rendre son nom plus facile à prononcer. Il l’avait traduit en français. Jean-Baptiste Maisonbasse, – puisque tel il était devenu – établi orfèvre à Montréal, de 1718 à 1744, n’y dut pas faire de mauvaises affaires. Les Canadiens – avaient-ils gagné quelque argent – n’avaient rien de plus pressé que d’acheter de la vaisselle plate.

Sont également venus au Canada pour y représenter le Labourd, l’antique tractus Lapurdensis, des gens, des familles qui s’appelaient comme auraient pu s’appeler des Français d’ailleurs, des Français qui n’auraient pas été des Basques. La Lande de Gayon – si vieux dans l’échevinage bayon nais – Béhic – bien vieux aussi – Martel, du Tasta, des noms, des traditions, des héritages de nobles souvenirs.

Il y a, il y a eu Basques et Basques. De bons et de mauvais Basques. Un mauvais Basque, Martin d’Etchinique (ou de Chinique ou Chiniquy).

Peut-être, plus simplement, un Basque habile ou trop habile. Peu de matelots, amenés par le commerce au Canada, y sont restés. Martin de Chinique en est un. Il était à bord du Rubis, ce vaisseau qui aurait dû être béni puisqu’il portait un saint, Mgr de Lauberivière, cinquième évêque de Québec, ce vaisseau maudit puisque voyageait, avec lui, la terrible épidémie du typhus. Chinique en fut atteint, mais Chinique en fut soigné, à Québec, et Chinique en guérit (1740). Là où il avait retrouvé la santé, Chinique décida de demeurer pour le reste de ses jours. Ce n’était pas un illettré. De son instruction, il sut profiter. On le voit peu après capitaine d’un navire marchand. Vint l’année 1759 et vinrent les Anglais. Longtemps après, Chinique prétendait avoir servi de pilote à la flotte anglaise, et même, précisait-il, au vaisseau amiral. Se vantait-il ? Que de Canadiens ont voulu en avoir fait autant que lui, ont cherché, rétrospectivement, à se faire passer pour des traîtres ! Que de pilotes, si on les écoutait tous, auraient eu l’escadre de Saunders !

Chinique réussit. Il voulait se faire bien voir des Anglais. Il obtint leurs bonnes grâces : des places, des titres, des sinécures. Capitaine et pilote du Roi, gardien de la Maison de la Trinité, c’est-à-dire membre du Conseil d’Administration de l’École de pilotage du Canada.

Matelot basque, Martin d’Etchinique. Capitaine Basque, Michel de Salaberry. Capitaine de navire marchand. Poussé par son métier et par sa bonne étoile vers les côtes de la Nouvelle France, vers la même époque que son compatriote. Marié à Québec, en 173 5. Remarié à Beauport, près de Québec, en 1750. Salaberry ou plutôt Irumberry de Salaberry. Un Basque de Ciboure, un Basque maritime. Mais descendant de Basques montagnards, Irumberry de Salaberry, au pays de Cize et à Saint-Jean-Pied-de-Port, héritiers en droite ligne des comtes de Lavedan et de Bigorre, des ducs de Gascogne, des premiers rois de Navarre. Des couronnes en France, des services au Canada. Michel de Salaberry, capitaine, armateur, propriétaire du navire qu’il commandait, Michel de Salaberry s’est bien employé pour le commerce, Michel de Salaberry s’est bien employé pour le Roi. Et le Roi l’a récompensé. Il le nomma en 1750 capitaine de flûte ; en 1754, lieutenant de vaisseau.

Michel d’Irumberry de Salaberry, de l’autre monde, eut lieu de se réjouir. Ce que tout homme souhaite quand il a des enfants, qu’il est digne d’en avoir, il l’a obtenu : un fils qui l’a surpassé. Ce fils fut conseiller législatif de la Province de Québec – et mieux encore un petit-fils plus grand que son père, plus grand que son aïeul. Charles-Michel de Salaberri – le colonel de Salaberry – fut un homme heureux. Sur la rivière Chateauguay, en 1813, il avait eu la chance de sauver son pays d’une invasion américaine ; il eut ensuite une chance plus rare : son pays lui en fut reconnaissant. On le compara, on le compare encore à Léonidas ; l’on voyait, l’on voit en lui un Léonidas qui n’était pas mort, un Léonidas que l’ennemi n’avait pas tourné.

Et l’on voulut qu’un de ses fils reçût au baptême le nom de Léonidas. M. de Salaberry, père du colonel, avait pu dire : « Aucun sujet canadien n’a fait pour son Roi des sacrifices aussi sensibles, car de quatre fils, j’en ai perdu trois dans l’armée ». Deux avaient été tués aux Indes orientales ; le plus jeune, en Espagne… O Basques, exilés partout, éternels pèlerins…

Publié dans l’Action universitaire, décembre 1952.

place des Basques

« La pensée d’un homme est avant tout sa nostalgie. » (Albert Camus, écrivain français, Le mythe de Sisyphe). Image : © GrandQuebec.com.

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