Vols, assauts et vandalisme
La crainte s’est emparée d’un grande nombre de locataires des Habitations Jeanne-Mance
Depuis 17 ans (ce texte date du 7 juin 1976) se dressent au cœur de la ville les Habitations Jeanne-Mance, témoins de la première implantation d’habitations à loyer modique.
Qu’en est-il aujourd’hui? Claude V. Marsolais s’est rendu sur les lieux et a recueilli les commentaires de certains locataires. On apprend que malgré des problèmes d’insécurité et de vandalisme.
Vers 10 heures du matin, j’avais l’impression de déambuler dans une oasis de tranquillité sur les terrains des habitations Jeanne-Mance dans le centre-ville. On pouvait entendre le gazouillis des oiseaux perchés sur les arbres et une volée de pigeons tournoyaient au-dessus des maisons en rangée.
Je marchais dans les allées lorsque j’entends un homme s’exclamer: « maudite Rang de sauvages ». Il me montre un arbre fraîchement tailladé par une hache en vitupérant de plus belle contre l’incivisme des gens. Il est le responsable de l’entretien. Les actes de vandalisme, ajoute-t-il, ne se comptent plus.
En y regardant de plus près, je remarque qu’un très grand nombre de fenêtres au niveau des logements du rez-de-chaussée ont été fracassées. On m’avait prévenu que les gens étaient très réticents à ouvrir leur porte à des inconnus tellement ils sont craintifs. À tout hasard, je m’engage dans une des tours et je sonne porte, l’entends une voix féminine qui demande: « qui est là? » Malgré explications, elle refuse d’ouvrir. Je tente ma chance un peu plus loin.
Cette fois, on est moins circonspect mais la chaîne de sécurité sur la porte empêche de voir les occupants. Après les présentations d’usage, l’occupante, une dame dans la soixantaine, tire finalement la chaîne et explique ses hésitations par la crainte que lui inspirent les voyous qui hantent le complexe d’habitations à loyer modique. « Ils passent leur temps à briser des vitres et à interrompre le fonctionnement des ascenseurs. Ils ont même tiré une balle de carabine dans un appartement au quatrième », confie-t-elle.
Malgré cette insécurité, elle se sent bien aux Habitations Jeanne-Mance et estime que l’administration est accommodante.
Partout, on sent cette crainte. La plupart des locataires hésitent à ouvrir leur porte et les conversations n’ont lieu qu’au niveau du corridor d’entrée.
Une dame âgée qui a déjà été assaillie par un adolescent dira qu elle ne sort jamais sans sa poivrière à succion. « Lorsque je croise une bande de jeunes je sors toujours ma poivrière prête à riposter à la moindre attaque. »
Sur une population de 2,400 personnes, les Habitations Jeanne-Mance comptent 1,000 enfants, 600 retraités et 25 pour cent d’assistés sociaux.
Dans l’ensemble, les vieillards et les assistés sociaux sont satisfaits de leur logement et du coût de leur loyer, Les bénéficiaires de l’aide sociale payent $70 par mois, électricité incluse.
Un cas pathétique
Un ouvrier d’origine algérienne qui habite avec sa femme et ses 4 enfants dans un logement des maisons en rangée s’est élevé contre le taux exagéré du coût de son loyer. À chaque mois, l’administration lui soutire 25 pour cent de son salaire brut et il a peine a joindre les deux bouts.
Gagnant un peu plus de $660 brut par mois, il doit verser un loyer mensuel de $210 à la Corporation des habitations Jeanne-Mance et payer son électricité.
« Je suis complètement découragé, dira-t-il, car je ne peux rien me permettre d’extravagant même pas un petit voyage un fois par année. Quand je suis entré ici, il y a 9 ans, je payais $60 par mois et d’année en année à mesure que j’essayais d’améliorer mon sort, l’administration me tenait à sa merci en me faisant toujours payer plus cher. Je pense que leur façon d’agir encourage les gagne – petits à devenir des assistés sociaux permanents. »
Une autre femme s’inquiète de l’augmentation de loyer qu’elle devra subir maintenant que sa fille va bientôt joindre le marché du travail. C’est qu’aux Habitations Jeanne-Mance le loyer est calculé selon l’ensemble des revenus de la famille.
L’Age d’or
Par ailleurs, au Club de l’Age d’or, sis dans l’édifice que loge le gardien, des retraités jouent aux cartes pendant qu’un peu plus loin des dames s’affairent à monter des tentures. Ces dernières se disent enchantées de vivre aux Habitations Jeanne-Mance bien que l’une d’entre elles regrette avec nostalgie son quartier d’origine. Elles parlent d’abondance de leur récent voyage dans une cabane à sucre qui leur a procuré des souvenirs inoubliables.
En regard de la sécurité aux Habitations Jeanne-Mance, elles n’ont aucun motif de plaintes parce qu’elles logent dans la tour d’habitations en face du poste de police no 4 et à proximité de l’édifice du gardien. Un vieux monsieur signale toutefois qu’il y a déjà eu un vol à son logement.
Il semble que plus on est éloigné du poste de police et du gardien de service plus on ressent une certaine insécurité. Ce serait le cas des personnes qui habitent dans la partie sud de la rue Maisonneuve à proximité de la rue Sainte-Catherine.
(Ce texte a paru le 7 juin 1976 dans le quotidien montréalais La Presse).
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