
Éducation, santé et profession de la foi à Ville-Marie
Les « Frères maistres d’escolle »
L’un des premiers devoirs, que leurs titres de concession imposaient aux seigneurs, était l’éducation des Français, citadins et colons. M. de Maisonneuve avait d’abord confié ce soin à Marguerite Bourgeoys, dont l’œuvre fut continuée et développée par la Congrégation de Notre-Dame pour l’instruction des filles; et le Séminaire dota l’institut de fonds nécessaires.
Depuis 1664, les Sulpiciens avaient eux-mêmes fait l’école aux petits (( montréalistes )). Mais en 1686, le Séminaire abandonna à de pieux laïques, sous sa direction, l’enseignement primaire des garçons. M. Souart, qui s’était fait « le premier maître d’école de Ville-Marie », pourvut la fondation d’une somme de 1 000 francs. Un autre Sulpicien, M. de La Faye, donna une maison, à l’angle des rues François-Xavier et Notre-Dame.
Les premiers instituteurs, qui firent partie de cette congrégation laïque, furent Mathurin Rouillé, Nicolas Barbier, Pierre Gaulin, Jacob Thoumelet, que le Séminaire avait choisis pour cette œuvre importante.
Benoist Basset et Philibert Boy vinrent se joindre dans la suite aux fondateurs. (Archives du Séminaire de Montréal: «Titres et papiers des Écoles».)
Les instituteurs vivaient en communauté au séminaire même et portaient le nom de frères. On ne voit nulle part qu’ils aient jamais reçu de salaire pour leurs services, les Messieurs de Saint-Sulpice pourvoyant à tous leurs besoins. Cet esprit de renoncement et de dévouement désintéressé s’est continué après eux, et le public a pris l’habitude de l’imposer à leurs successeurs.
Pour se créer des revenus, la communauté acheta en 1687 un arrière fief à la rivière Saint-Pierre au prix de 4 500 livres dont 3 000 comptant. En 1691, les Frères établirent leur logis à l’école même.
L’entreprise paraissait bien lancée et viable, quand elle commença à péricliter. Thoumelet quitta l’institut et se maria, Barbier fut tué par les Anglais en 1691.
Deux ans plus tard, MM. Rouillé et Boy, voulant se joindre aux Frères Hospitaliers, qui venaient de fonder l’Hôpital Général, remirent leur école et ses biens à M. Dollier de Casson.
Messire de La Faye se porta acquéreur et l’on dressa procès-verbal des biens meubles et immeubles, qui appartiennent aux écoles de Ville-Marie.
En 1695, le Sulpicien Chaigneau, qualifié à cette occasion de premier maître d’école, fit un accord avec Pierre Gadoys au sujet du terrain, pour lequel il y avait depuis longtemps contestation. (Archives du Séminaire de Montréal: «Titres et papiers des Écoles.) À partir de ce moment plus de traces de l’instruction des garçons, jusqu’à ce que les Frères Hospitaliers s’en fussent chargés plusieurs années après.
Une tentative d’enseignement privé avait été faite en 1683 par François La Bernard de Laprairie. À cette fin il avait loué une maison de bois (pièces sur pièces) au coin des rues Notre-Dame et Saint-Sulpice. Il avait, entre autres obligations, celle de décorer la maison à la procession du Saint-Sacrément.
Hospitaliers, Jésuites et Récollets
Depuis 1688, un Canadien de naissance, François Charron, s’occupait de fonder à Montréal un hôpital général pour les hommes malades ou invalides et les vieillards. Comme toujours, le Séminaire de Saint-Sulpice fournit le terrain requis pour la fondation projetée. Il ajouta plus tard au premier don de « dix arpents en carré » d’autres concessions de terre de plus grande étendue. (Archives du Séminaire de Montréal: «Titres de l’Hôpital Général»).
Au mois de mars 1693, M. Dollier de Casson, supérieur du Séminaire, signait les titres de propriété du nouvel hôpital, qui allait être construit entre la rivière Saint-Pierre et le fleuve, au sud-ouest de la Pointe Callières.
Dans le même temps qu’il faisait construire son édifice, François Charron jetait les bases d’un institut d’hospitaliers, qui prirent le nom de Frères de la Croix de Saint-Joseph. Le peuple les appela communément les Frères Charron, du nom de leur fondateur. Monseigneur de Saint-Vallier approuva la nouvelle communauté, à laquelle Louis XIV accorda des lettres patentes pour l’établissement de l’hôpital, le 15 avril 1694. (Édits et Ordonnances Royaux», 1854, vol. I, p. 277).
Une bâtisse en pierre de 30 par 90 pieds, à trois étages, donna bientôt asile aux pauvres enfants, orphelins, estropiés, vieillards, infirmes et autres nécessiteux de leur sexe, pour y être logés, nourris et secourus, comme le roi l’avait ordonné.
Pierre Le Ber et J. Fredin furent les deux premiers compagnons du fondateur et dotèrent l’institution de rentes et de biens-fonds. Ils ne s’engagèrent cependant jamais eux-mêmes par des vœux; mais ils consacrèrent leur vie à l’œuvre de charité. Le Ber demeura toujours à l’hôpital comme pensionnaire, s’adonna surtout aux œuvres d’art. Il pratiqua davantage la peinture. « S’il n’a pas eu la gloire d’y exceller, il eut du moins le mérite d’être le premier Canadien qui ait cultivé les arts. » (Sœur Fauteux: « Histoire de l’Hôpital Général des Sœurs de la Charité», tome I, p. 16).
Les Sœurs de la Congrégation possèdent de lui un portrait de leur vénérable fondatrice.
M. Charron était parvenu à réunir cinq autres compagnons pour commencer son institut religieux. C’étaient Nicolas Datte, Jean Janto, Alexandre Romain Turpin, Mathurin Benoist Durant, et François Hadancour. Avec leur fondateur, ils firent tous profession religieuse en 1702. Les Frères portaient comme costume distinctif une soutanelle noire, un manteau, des manchettes et un rabat blancs, et une croix de laine sur la poitrine.
L’Institut paraissait solidement établi. Les premières années furent prospères. Mais bientôt l’œuvre devint languissante et ne résista point à l’épreuve du temps. Tout sombra dans le relâchement et la banqueroute.
En même temps que se fondait la communauté des Frères Charron, deux grands Ordres religieux, depuis longtemps déjà dans la colonie, s’établissaient à Montréal. Les pères Jésuites, vers 1692, construisirent une maison de missionnaires et une église, à l’endroit où s’élève le monument Vauquelin, entre le Palais de Justice et l’Hôtel-de-Ville. Dès 1694, les Pères donnèrent des leçons de latin et de sciences à la jeunesse de Montréal, en préparation aux études classiques, que quelques-uns allèrent poursuivre au Séminaire de Québec.
L’église ne fut jamais paroissiale, mais servait plutôt de chapelle publique pour les dévotions particulières.
Partiellement détruite par le feu en 1754, elle fut restaurée en 1756. («Acte de notoriété de l’incendie et du rétablissement de la maison et de l’église des pères Jésuites», 12 juin 1790. — Greffe du notaire J. Papineau).
Depuis 1681, il était question d’un établissement de Récollets à Montréal. Ils avaient d’abord obtenu une concession de terre près de la chapelle Notre-Dame de Bonsecours. Des difficultés surgirent qui retardèrent leur venue jusqu’en 1692. Au mois de mars de cette année, des lettres patentes royales les autorisèrent à fonder un couvent à Ville-Marie.
Le père Joseph Denys de La Ronde, Canadien de naissance, fut chargé de l’entreprise. Monastère et église furent érigés en dehors des murs au sud de la rue Saint-Pierre, à l’est de Notre-Dame. Cette partie de Montréal fut appelée le faubourg des Récollets. («Édits et Ordonnances Royaux», 1854, vol. I, p. 275).
À l’inauguration de leur chapelle, un fâcheux incident causa bien des ennuis aux bons religieux. Avant la cérémonie, à laquelle devaient assister l’évêque de Québec et le gouverneur de Montréal, Mgr de Saint-Vallier remarqua que le prie-Dieu d’honneur avait été réservé au représentant de l’autorité civile. L’évêque, froissé de cette marque de déférence des Pères pour le gouverneur qu’il aimait peu et estimait encore moins, donna l’ordre d’enlever le prie-Dieu.
M. de Callières, arrivant peu après, fit remettre le prie-Dieu en place, ce qui ne se fit pas sans opposition.
Pour mettre fin à la chicane, le gouverneur commanda d’interrompre la cérémonie. L’évêque, indigné du procédé autoritaire de M. de Callières, jeta l’interdit sur l’église des Récollets, défendit aux Pères d’y faire aucune cérémonie, d’administrer aucun sacrement. Dans un monitoire, pour expliquer l’interdit qu’il venait de porter, il s’attaqua à la conduite privée du gouverneur.
Le Conseil Supérieur, saisi de l’affaire, blâma Mgr de Saint-Vallier, mais ne voulut pas se prononcer davantage en matière de préséance et renvoya l’affaire au Conseil d’État de sa Majesté. (« Procédés de l’évêque de Québec, du Conseil Souverain et des parties en cause ». — Archives de la Marine: « Collection Moreau St-Mery », vol. 5, folios 186 à 270).
Des ordonnances royales furent dans la suite rendues pour déterminer les honneurs et préséances auxquels avaient droit les officiers publics, civils et militaires selon leurs rangs. Le gouverneur, comme représentant du roi, devait occuper la place d’honneur dans toutes les cérémonies publiques.

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