
Un casse-tête des plus chinois pour messieurs du jury
Lettres de menaces envoyées à une femme blanche par un « fils du ciel » – Verdict aujourd’hui
Un jury de langue anglaise, en cour d’Assises, a un vrai casse-tête chinois à résoudre, en décidant aujourd’hui du sort d’un céleste, nommé Hum Keep, ancien secrétaire de la société chinoise Chee Kong Tong, loge maçonnique orientale, actuellement devant ses « pairs » sous l’accusation d’avoir envoyé des lettres anonymes en la menaçant de mort, à Auréa Parenteau, la supposée femme blanche de Chew York, 981, rue Saint-Urbain. Tout le procès repose sur les expertises du docteur Rosario Fontaine, médecin légiste, et de M. Paul Rioux, expert en écritures.
Hier, tout le jour durant, le juge Wilfrid Lazure, écouta patiemment une analyse des supposées menaces, qui auraient été écrites avec le pinceau traditionnel des Chinois, de la main gauche par dessus le march, et en caractère des plus modernes. Me Paul Désy, avocat de la défense, prétend qu’un autre Chinois, dans un but de vengeance aurait joué ce vilain tour et au prévenu, Hum Keep, et à la plaignante, Mme Chew York, tandis que Me Ivan Sabourin, assisté de Me Raymond Noël, avocat de la poursuite privée, produit exhibits, originaux, agrandissements pour démontrer au jury que les menaces ont été écrites par Keep.
Les fameuses lettres
Les deux lettres de menaces adressées à Auréa Parenteau en guise de souhaits du Nouvel An se lisent comme suit : « All your family have die, dead after this date, not any longer. » « All family die and dead at once. Die to be quick. » Cet anglais original impressionna le jury et deux témoins de la Couronne en conclurent que l’écriture du prévenu dans des lettres mises au dossiers avait une grande analogie avec ces menaces de mort. Le docteur Fontaine, après une analyse fort intéressante, déclara au tribunal :
Mon opinion basée sur les similarités dans les deux écritures est que le prévenu Hum Keep a écrit ces deux lettres de menaces.
Maître Paul Désy cita ensuite de nombreux experts internationaux en écriture et souligna surtout la déclaration suivante d’Osborne, une autorité dans toute l’Europe : « Trop de similitudes dans les documents les rendent sujets à des erreurs nombreuses et tendent vers une conclusion erronée. »
Mais ces similitudes suffisent aussi pour former une opinion, reprit le docteur Fontaine, qui conclut en affirmant qu’il est sûr que le prévenu a écrit ses deux messives de la main gauche et il s’expliqua ainsi :
Il y a tremblement dans les lettres du commencement à la fin et ceci prouve hors de tout doute un travail exécuté par la main gauche.
- Croyez-vous à une imitation par une autre personne ? Demanda Me Désy.
- Non.
- Mais des experts et non des moindres disent ce tremblement que vous venez de souligner est une preuve presque certaine d’une imitation ?
- Je répète que mon opinion est formée et je crois que Hum Keep a écrit les menaces. Et si ce sont des imitations, elles sont pauvres, bien pauvres.
Monsieur Paul Rioux, professeur, corrobora le témoignage du docteur Fontaine et dit à son tour que les menaces reprochées au prévenu ont été écrites de la main gauche. Puis Me Sabourin, vu la chaleur torride de la salle d’audience, demanda un ajournement à ce matin, à 10 heures. Les jurés prêtèrent serment de ne pas parler de l’affaire avec qui que ce soit et furent autorisés à retourner dans leurs familles pour la nuit. Hum Keep reprit aussi sa liberté provisoire, avec son cautionnement initial.
Le matin
Après l’assermentation des jurés, Me Ivan Sabourin fit entendre Auréa Parenteau. Ce témoin relata avoir reçu deux lettres la menaçant de mort avec sa famille, la première le lendemain de Noël et la seconde la veille du jour de l’An. Ici la Couronne demanda au témoin :
- Hum Keep vous avait-il fait des menaces auparavant ?
- Je m’objecte à une telle question, reprit Me Désy. Nous prétendons, et c’est-là notre défense que le prévenu n’a pas envoyé ces lettres.
Le juge Lazure donna raison à la défense puis le mari de la plaignante Chew York, témoigna dans le même sens que sa femme. Le témoin donna un détail intéressant à la défense en affirmant que c’est George Hum. Un chef maçonnique, qui a payé toutes les dépenses occasionnées par ce procès devant le jurés.
(Texte paru dans les Chroniques judiciaires du quotidien Le Canada le 1er juin 1937).

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