Trois arrestations dans l’affaire Bouclier – certains membres de la police auraient joué un rôle louche
L’affidavit d’un agent d’annonce d’une feuille locale – Deux jeunes filles sont détenues – Quel rôle a joué un Italien dans cette affaire ? – Encore les « Pinkertons »
13 juillet 1930 : Le mystère qui entoure le meurtre d’Henri Bouclier soulève les rumeurs les plus contradictoires. On se souvient que Bouclier fut exécuté quelques heures après avoir fait des révélations au sujet d’un complot ourdi par la pègre pour mette à mort Son Honneur le maire Camillien Houde, maire de Montréal.
Car même si certains éléments d’introduction récente à l’Hôtel de Ville pouvaient être soupçonnés de se laisser fermer les yeux sur les agissements de la canaille à Montréal, la haute intégrité et la fermeté courageuse de notre premier magistrat resteraient toujours un rempart inaccessible à la corruption. En faisant disparaître Camillien Houde, la pègre aurait supprimé le principal obstacle qui nuit à un grand nombre d’intérêts.
Le prétendant à la couronne de feu Tony Frank dans la royauté de notre monde interlope a payé de sa vie un commencement d’indiscrétion.
On affirme, en divers milieux, que certains membres de la police ont joué un rôle très louche dans cette affaire et l’agent d’annonce d’une Taille locale aurait même signé sur te point un affidavit très détaillé devant la police provinciale qui a pris. sous la direction du nouveau chef Maurice Lalonde la responsabilité complète de la cause.
Nous espérons que M. Lalonde signalera son entrée définitive en fonction par un coup de maître. Jusqu’ici, la Police Provinciale. nous devons l’admettre à regret, à beaucoup plus souvent qu’autrement désappointé les contribuables dans la recherche des meurtriers.
Peu d’information
En attendant, le nouveau chef se montre aussi avare de déclarations que le capitaine Lucien Vaillancourt de la Police Municipale des Moeurs, qui est de ce temps-ci un homme très difficile à rejoindre.
On nous informe d’autre part que le supposé meurtrier de Jules-Henri Bouclier, trouvé assassiné près de Laval-sur-le-Lac le 1er juillet, serait actuellement détenu dans les cellules de la Sûreté Provinciale. Cet individu, un étranger. est détenu comme témoin très important et comparaitra lors de l’enquête du Coroner qui sera probablement tenue dès le commencement de la semaine.
Italien mystérieux
Des développements nouveaux font prévoir la capture prochaine d’an bomme récemment arrêté pour être intervenu lors d’une descente de Is police dans la maison habitée par Bouclier, rue Dorchester ouest. Cet homme que l’on recherche, est un Italien bien connu et était an des amis de Bouclier et habita avec ce dernier pendant un certain temps.
Deux jeunes filles que la police recherchait depuis la date du meurtre sont enfin détenues par les autorités. Ces deux jeunes filles aideront certainement pour beaucoup dans la solution du drame. Une des jeunes filles qui sont détenues comparaissait devant un tribunal local récemment. Elle n’est âgée que de 16 ans. Elle est Anglaise. La deuxième fille, qui est Grecque, est la compagne de la première et a le même âge.
Les deux jeunes filles connaissaient intimement Bouclier et son ami l’Italien. Elles demeurèrent pendant assez longtemps dans l’appartement de l’Italien sur la rue Dorchester. Tous les efforts pour obtenir quelque renseignement que ce soit de ces jeunes filles ont été inutiles. Elles refusent absolument de dire quoique ce soit concernant le meurtre de Bouclier.
Les deux jeunes, filles sont sous une surveillance spéciale dans une maison de détention. La police déclare qu’elles ne sont pas détenues à la prison des femmes, mais qu’elles sont gardées dans un endroit où on peut les rejoindre facilement. La journée du meurtre l’Italien et une des jeunes filles disparaissaient comme par enchantement. Malgré les plus grands efforts de la police, il a été impossible de retracer le couple jusqu’à samedi matin, alors que ls jeune fille fut retrouvée.
Le contrôle du vice
La police détient la preuve que Bouclier était l’intermédiaire d’un fort groupe da membres de la pègre qui tentait d’obtenir le contrôle du vice dans Montréal et aussi de s’assurer une protection efficace auprès des autorités. Plusieurs milliers de dollars étaient payés chaque semaine: et cet argent était remis à Bouclier. Ce dernier le remettait à un autre individu qui était chargé de le faire parvenir aux autorités. Cependant cet argent ne semble pas avoir été remis à aucune des autorités. car les maisons appartenant au groupe de Bouclier reçurent visite sur visite de la police qui y fit de très nombreuses descentes.
Ces messieurs
Les témoins détenus actuellement à la Sûreté sont des étrangers, à l’exception d’un seul. Plus de cinquante personnes ont été interrogées par les détectives au sujet de cette affaire. Parmi ceux-ci, il a plusieurs associés ou amis de Bouclier. Les nommés E. Pageot, Le Niçois, César, Joseph et Taché sont parmi ceux qui furent longuement questionnés, car ils semblent avoir tous eu des relations très suivies avec la victime.
Nouvelle enquête
Le chef Lalonde, de la Sûreté Provinciale, présentera une nouvelle requête à la Cour Supérieure lundi, afin d’obtenir l’autorisation d’enlever certains documents du coffret de Bouclier. Ces documents lui permettront, croit le chef, de connaître la véritable cause de ce meurtre et d’éclaircir tout le mystère qui l’entoure. Le testament qu’a laissé Jules-Henri Bouclier est fait en faveur de deux Françaises, qui résideraient actuellement en France. Ces deux femmes sont supposées être des nièces de la victime du meurtre de Laval-sur-le-Lac. Ce testament fut fait en présence d’un notaire de Montréal au commencement de l’année 1929.
Sa fortune
D’après les documents retrouvés dans le coffret de Sûreté que Bouclier possédait au Royal Trust, il semble que la fortune de ce dernier n’était pas aussi élevée qu’on le croyait généralement. Bouclier avait, au 31 décembre dernier, un montant de $11.235 à ls banque d’Italie de San Francisco. Un autre livre de banque, montre également que Bouclier avait un montant d’environ $3,000 dans une banque locale.
Dans le coffret fut également trouvé les titres de quelques propriétés situées à Montréal et à San Francisco.
Quatre-vingt-dix-sept parts de la Franco – American Corporation, d’une valeur nominale de $25 chacune, ont été trouvées dans le coffret. Sa fortune totale peut se chiffrer à environ $60,000 & $75,000.
Chemisier et cocher
Après avoir fait son service militaire en 1892, alors qu’il fit partie de l’armée de Tunisie, Bourlier retourna à Paris et il exerça le métier de chemisier. Plus tard, il fut cocher de place. Il se rendit à San Francisco dès le début de la guerre. I! semble impossible de savoir exactement ce qu’il fit dans cette ville. Pour une raison inconnue il quitta subitement San Francisco au début de l’année 1928 et se rendit à Montréal. IL aurait cependant fait un court séjour à Chicago lors de ce voyage.
Immédiatement après son arrivée à Montréal, Bouclier s’intéressa beaucoup aux maisons de jeux et de prohibition. Apparemment il y vit un beau champ d’activité, car il eut vite obtenu le contrôle de plusieurs établissements de désordre. Au moment de sa mort, il était propriétaire ou contrôlait de nombreuses maisons dont la plus grande partie était située dans la partie centre de la ville.
Naturellement, Bouclier ne pouvait occuper une telle position dans le monde de la pègre sans se créer de nombreux ennemis jaloux de ses succès. De plus, à la suite de certains renseignements obtenus depuis sa mort, il semble que Bouclier était enclin à vendre ses amis, si cela pouvait lui être utile.
Les Pinkertons
L’agence Pinkerton dont l’étoile parait pâlir depuis longtemps aux États-Unis, s’est occupée activement des relations soi-disant existantes depuis longtemps entre la police et la pègre de Montréal. Souhaitons que cette agence américaine qui sert en quelque sorte de « tuteur » à notre police provinciale québécoise saura effacer le fiasco monumental qu’elle a remporté lors de l’incident de la fausse bombe Taschereau dans la vieille capitale.
(Texte publié dans Le Petit Journal, le 13 juillet 1930).
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