Tantae molis erat . . . condere gentem – «Il était donc si difficile de fonder cette nation !. . .» — Cri d’orgueil et de fierté du poète latin, chantant les exploits des fondateurs de la puissance romaine. — Énéide, premier chant
Durant son séjour en France, Jeanne Mance avait fait doter son hôpital d’un fief, dont les revenus devaient être employés pour l’hospitalisation des pauvres. La « contrée Saint-Joseph », que lui concéda en franc-alleu la Compagnie de Montréal, comprenait alors 200 arpents de terre boisée, couvrant une partie du « quartier » Saint-Joseph actuel. Dès son retour au pays en 1650, elle en fit commencer le défrichement pour en cultiver le fond.
Quelques nouveaux colons étaient arrivés cette année-là, et la population de Ville-Marie devait maintenant dépasser la centaine.(D’après le «Vieux Montréal» de Morin, la population d’alors était de 196 âmes. Le chiffre nous paraît exagéré.)
Jusqu’alors on n’avait fait de la culture qu’autour du fort; mais de ce moment des colons se risquent à s’établir sur leurs terres, d’autres se construisent des maisons sur des terrains avoisinant le fort; et il se forme un embryon de ville au-dessus de la rue Saint-Paul.
Pour inciter les « engagés », comme on disait alors, à s’établir à demeure, le gouverneur en gratifia plusieurs d’une somme de 400 livres, en plus des concessions de terres que les habitants recevaient gratuitement et en toute propriété. Alors que la Compagnie distribuait des terres à tous ses colons, ses propres associés, qui avaient souscrit pour l’œuvre des centaines de mille livres, ne prenaient pour eux-mêmes aucune parcelle de ces biens-fonds. M. de Maisonneuve, qui gouverna la ville durant vingt-cinq ans, ne posséda jamais un pied de terrain en propre. (À notre connaissance, seul, de tous les Associés jusqu’en 1659, M. d’Aillebout s’est fait octroyer personnellement comme colon, des concessions de terres, qu’il a d’ailleurs mises en valeur pour l’avantage de la communauté. C. B.)
En vue de l’organisation de la future ville, il avait été nommé un syndic des habitants, chargé de leurs intérêts communs immédiats. Cet emploi était électif par triennat, et le titulaire était choisi dans une assemblée générale des habitants. Le 2 octobre 1651, le gouverneur remit au premier syndic, Jean de Saint-Père, les titres d’un vaste terrain, appelé « la Commune », pour la garde et le pâturage des animaux de ferme. Cet enclos public était situé à l’endroit que traverse aujourd’hui la rue de la Commune, de la Place Royale à la Place d’Youville.
De 1650 à 1652, les incessantes incursions des Iroquois, dans les fourrés, au bout des champs de culture, empêchèrent souvent les travaux de semence et de récolte. L’établissement de Ville-Marie, il faut bien le dire, ne progressait guère, malgré les courageux efforts des chefs et l’énergique endurance des habitants, qui se servaient aussi souvent du mousquet que de la pioche.
Au témoignage du père Ragueneau, il y avait à peine, en 1651, cinquante Français dans la petite colonie, déjà vieille pourtant de dix ans.
Montréal, depuis sa fondation, avait surtout servi de poste avancé pour la défense du territoire canadien contre les sauvages, dont la rancune haineuse, si malencontreusement provoquée par Champlain, se continuait désespérément rageuse et sanglante.
Ces années furent marquées des tristes exploits des barbares qui jetèrent partout la terreur et le découragement et menacèrent l’établissement d’une ruine complète.
Le 6 mai 1651, Jean Boudard et Jean Chicot, étant sortis de leur maison, furent surpris par une dizaine d’Iroquois, qui se mirent à les poursuivre. Chicot réussit pour un moment à se cacher sous un arbre abattu; Mais Boudard est pris, ainsi que sa femme, Catherine.
Mercier, venue à sa rencontre. Le mari est massacré sur place en défendant sa femme, et les sauvages lui tranchent la tête, qu’ils emporteront comme trophée. Quant à la malheureuse femme, faite prisonnière, on l’amènera pour la torturer au pays iroquois.
Chicot est ensuite découvert et sorti de sa retraite. Dans leur hâte de fuir, les sauvages se contentent de lui lever une partie de la chevelure; ce qui ne l’empêcha pas de vivre encore quatorze ans.
Quatre jours plus tard, durant la nuit du 10 mai, quarante Iroquois attaquent la brasserie, près du fort, et tentent d’y mettre le feu. Quatre hommes, en charge de cette petite industrie, réussissent cependant à les repousser. Dans le même temps d’autres agresseurs incendiaient la maison de Urbain Tessier, dit Lavigne, et celle de Michel Chauvin, dit Sainte-Suzanne, qui était retourné en France quelques mois auparavant. (Chauvin, marié à Québec en 1647 à Anne Archambault, avait été accusé de bigamie. Après des aveux faits au gouverneur, il s’enfuit en France et ses biens furent confisqués au bénéfice de sa femme canadienne. — Archives judiciaires de Montréal).
Le 18 juin, quatre Français sont attaqués par une bande d’Iroquois, alors que revenant de l’église, ils retournaient chez eux à la Pointe Saint-Charles. Ils eurent tout juste le temps de se jeter dans une redoute, construite au milieu d’un abatis. Accourus au bruit de la fusillade, Urbain Tessier, Charles Le Moyne et quelques soldats de la garnison, envoyés par le gouverneur, abattent une vingtaine d’ennemis et forcent les autres à s’enfuir à travers bois. Quatre colons avaient été blessés durant l’échauffourée. Un seul, Léonard Lucault, dit Barbot, mourut deux jours plus tard.
Pour empêcher sa colonie d’être à la fin anéantie par des attaques sans cesse renouvelées, le gouverneur obligea tous les habitants à se retirer dans le fort avec leurs familles. Il mit aussi une garnison dans l’hôpital, et renforça la place de deux pièces de canon et de pierriers aux fenêtres du grenier. Des meurtrières furent percées à divers endroits de la bâtisse, même dans la chapelle, qui servit pour un temps de magasin d’artillerie.
Ces sages précautions étaient à peine prises que, le 26 juillet, deux cents Iroquois se lèvent tout à coup d’un fossé à l’arrière de l’hôpital. Faisant entendre leurs cris de guerre, leurs vociférations habituelles, ils se précipitent à l’assaut du paisible bâtiment de charité et essayent vainement d’y mettre le feu.
Le major Lambert Closse, à la tête de seize soldats, résiste avec succès aux attaques vigoureuses et opiniâtres, qui se succèdent avec une ardeur désespérée de six heures du matin à six heures du soir. Ce long et épuisant combat ne coûta la vie qu’à un seul Français, Denis Archambault, qui fut tué accidentellement par l’éclatement d’un canon de fonte.
On ignore les pertes des assaillants. Elles devaient cependant être lourdes, étant donné la position avantageuse des assiégés. Protégés par les murs de l’hôpital, où ils étaient tous retranchés, ils avaient tout le temps d’ajuster exactement leur tir et d’abattre leur homme.
Mais les sauvages faisant l’impossible pour emporter leurs morts et leurs blessés, on ne connaît presque jamais les pertes qu’ils subissent.
Un dernier trait démontrera d’abondance l’implacable sauvagerie des barbares indigènes venant se briser contre la force de résistance et l’énergique endurance de nos ancêtres.
Le 16 juillet 1652, Martine Messier, femme de Antoine Primot, est brutalement attaquée par trois Iroquois, qui s’étaient cachés dans les blés, guettant leur proie. Les trois assassins la saisissent, la frappent à coups de hache. La malheureuse tombe évanouie, et l’un des bandits s’apprête à lui lever la chevelure. Reprenant ses sens, la victime saisit son agresseur avec une telle violence qu’il ne peut se dégager qu’en la frappant de sa hache. La croyant morte, le lâche s’enfuit.
Quelques Français accourent aux cris de la victime, et l’un d’eux veut l’aider à se relever. Mais à ce moment, revenant à soi, elle décharge un rude soufflet sur ce charitable auxiliaire. Les autres, surpris d’un accueil si peu gracieux, lui demandent pourquoi elle frappe ainsi celui qui lui témoigne de la compassion et de la charité.» — Parmenda, répondit-elle, je croyais qu’il voulait me baiser.». On continua par la suite de l’appeler Parmenda. Une femme tombée contre trois hommes qui s’enfuient. . . Ne serait-ce comme le prélude des futurs exploits des fils de Charles Le Moyne ? (Dollier de Casson: « Histoire du Montréal », p. 85. Martine Messier était la mère adoptive de Catherine Thierry, femme de Charles Le Moyne et mère de ceux que l’on a appelés les Machabées de la Nouvelle-France. La vertu ne se donne pas que par le sang. L’héroïsme sauvage de Martine Messier ne serait-il pas passé tout entier, par l’éducation de sa fille adoptive, dans l’âme des plus glorieux fils du Canada français?)
(Histoire de Montréal par Camille Bertrand, archiviste, paléographe aux Archives nationales, tome premier (1535-1760).

L’histoire de la conquête. « l’implacable sauvagerie des barbares indigènes venant se briser contre la force de résistance et l’énergique endurance de nos ancêtres. » Écritures des archives.
Les Iroquois se battaient jusqu’au dernier des siens pour protéger leurs terres contre les envahisseurs, mais la force des armes à feu les a exterminés. Vérité historique.